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Concevoir une abbaye contemporaine : le silence a la parole !
par Mandana Bafghinia, publié le 2017-09-18
Alliance entre koinos bios (vie en commun) et monos bios (vie intérieure), telle est la vie d’un moine au cœur d’une abbaye. Le concours de l’abbaye cistercienne de Val-Notre Dame, expose les enjeux de cet idéal cistercien. S’agit-il de la nostalgie historique d’une forme close ou d’un manifeste contemporain, celui d’une forme ouverte sur la nature ?

Lancé par les moines de l’abbaye cistercienne d’Oka en 2004, le concours en deux étapes visait la construction d’une nouvelle abbaye à Saint-Jean-de-Matha dans la région de Lanaudière, située entre la rue Montagne coupée et la rivière Assomption. Depuis sa première construction en 1881, trois fois détruite par le feu, Notre-dame-du-lac abritait 178 moines. À l’aube du XXIe siècle, la communauté n’en compte plus qu’une trentaine et l’étalement urbain montréalais appelait une relocalisation.

Lors de la première étape du concours, 59 concurrents ont présenté des propositions. Composé d’architectes, d’historiens (architecture et géographie), d’une théologienne et de représentants de la communauté cistercienne d’Oka, le jury a retenu quatre équipes pour une seconde étape :
• Pierre Thibault,
• Manon Asselin architecte + Louis Brillant architecte,
• Atelier BRAQ,
• Naturehumaine/ Aedifica.
Deux mentions ont été attribuées aux équipes : MEDIUM + Anne Bordeleau, Croft Pelletier.
Les moines avaient défini un programme à travers trois défis, trois paramètres : une facture d’architecture contemporaine (conception et matériaux et l’acoustique) capable de respecter les principes traditionnels d’une abbaye, une alliance entre vie spirituelle et vie publique et enfin une contemplation extérieure/intérieure dans l’environnement.

Mentionnons toutefois que deux projets ont été jugés à l’unanimité, celui de Pierre Thibault et celui de Naturehumaine et qu’un vote à la majorité a finalement retenu le projet de Pierre Thibault comme laureat.

Si les règles du concours appelaient de nouvelles approches du patrimoine religieux, les réponses se sont étrangement rencontrées sur un élément similaire : l’image d’un carré, induisant l’idée d’une promenade principale autour d’un espace vide ou patio. Une analyse volumétrique des quatre projets fait apparaître deux catégories. La première se caractérise par un toit monolithique qui circule sur une surface, en gardant la simplicité d’un seul niveau géométrique. La deuxième catégorie consiste dans un jeu volumétrique de différents niveaux autour d’un carré central, ce qui donne un aspect plutôt muséal, terme relevé dans les commentaires du jury. C’est le cas par exemple du projet de l’atelier BRAQ. De son côté le projet de Manon Asselin et Louis Brillant semble se situer à la jonction des deux catégories relevant à la fois d’une approche monolithique et d’un jeu de niveaux. Chez Pierre Thibault, la solution proposée déploie sur un même niveau et un toit léger et flottant sur des pilotis qui séparent l’espace public, l’hôtellerie, l’église, la bibliothèque de l’espace monastique proprement dit. Quant à l’atelier Naturehumaine, il justifie la forme carrée par une citation de Saint Bernard : « Dieu est quadruple, Il est longueur, hauteur, largeur et profondeur ».


Dans le projet de Manon Asselin et Louis Brillant, la vie monastique se distingue par une méditation sur la nature, l’eau, la pierre. Une présentation poétique du projet met l’accent sur le travail de jardinage. Pour l’implantation du bâtiment, les commentaires du jury sont unanimes et convergent sur le projet de Pierre Thibault en précisant que l’enveloppe extérieure est l’élément clé d’harmonisation avec le paysage. Les trois autres finalistes ne répondaient pas à ce critère. Les présentations des planches à l’aquarelle et un mouvement qui culmine vers l’église pourraient avoir eu un effet positif sur la décision du jury.

Prenons maintenant un peu de recul historique en tentant de situer la question posée par ce concours dans la longue trajectoire typologique des monastères. Quelles que soient leurs spécificités — bénédictine, augustinienne et à la fin cistercienne —, les abbayes sont centrées sur une église articulant toute la vie conventuelle, un dortoir, le cloître et d’autres éléments. Dans un ordre classique, les caractères principaux du type cistercien sont la simplicité, la sobriété et une tour centrale basse. Au final, chaque abbaye, selon sa règle, est porteuse d’une architecture et d’une filiation qui la relie à un « type » dont sont issus les moines qui l’ont fondée. Si nous marchons à travers les trames de cette longue histoire, avant d’en vouloir en changer les nœuds, nous devons acquérir une bonne compréhension de sa nature afin de nous assurer que ce que nous construisons nous fera atteindre un objectif de changement. Depuis Le Corbusier et le couvent de La Tourette en 1955-60, une nouvelle traduction a changé l’image classique de l’abbaye. Le traitement de ce projet marque des idées innovantes en termes de lumière, d’inscription sur le site, avec une architecture nouvelle sur pilotis et une pyramide inversée. À la Tourette, Le Corbusier a travaillé avec Iannis Xenakis, compositeur et architecte, sur trois termes distincts : vie individuelle, vie collective et vie spirituelle et trois fonctions : habiter, étudier, prier. L’église a été détachée du reste des bâtiments, et le symbolisme religieux, minimal, est resté manifeste : le cloître, des passages qui montent, descendent et traversent les espaces, une façade harmonique par la structure de pans de verre ondulatoires, des vitrages verticaux dans des panneaux géométriques. Les cellules ont été isolées acoustiquement pour permettre la méditation.

L’abbaye se révèle donc, et avant tout, comme un endroit paisible pour ses habitants : les moines. L’objet même de la vie monastique doit rester prédominant et doit être traité avec délicatesse. Dans le projet construit depuis plus d’une décennie par Pierre Thibault, des indices témoignent à la fois d’une qualité de la finition, de jeux de la lumière entre les espaces, d’un beau langage tectonique : une architecture encore conçue à l’écart de la culture numérique désormais dominante. Pour une vue aérienne, verticale, une forme massive et grise se détache du paysage au lieu d’ancrer le complexe monastique dans la nature. Sur le plan horizontal, la conception globale, simple et contrôlée de l’architecture, se relève clairement discernable lors de la première arrivée par la périphérie du complexe, une route qui traverse une topographie abrupte et qui aboutit à un parking, partie sans doute la moins séduisante du projet.
D’après Ricardo L. Castro dans un article de Canadian Architect (paru en 2010) : « … le projet gagnant reflète de manière encourageante l’état de l’architecture au Québec au cours de la première décennie du XXIe siècle ». Une question reste en suspens cependant : comment assurer la cohérence entre le signe et la réalité du lieu ? L’abbaye de Notre Dame du Lac peut se présenter à la manière dont Hegel définissait l’architecture : des techniques et des dispositifs, appelés à représenter la vérité d’un contexte historique. La représentation peut également signifier d’autres choses, que l’architecture fonctionne comme une métaphore linguistique, comme moyen de parler, ici, dans le silence, pour communiquer le sens de ce que l’on peut dénommer, après d’autres, une « architecture parlante ».
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