La Nordicité: des idées pour un vrai problème
par Antony Gasnier, Moumtaz Kaoukji, publié le 2016-11-30
Organisé à Montréal en 2013, le concours d’idées « Nordicité » proposait de réfléchir à de nouvelles installations urbaines ainsi qu’à des espaces publics adaptés aux conditions hivernales en vue de « célébrer la place qu’occupe l’hiver dans notre quotidien». Ce concours international qui mobilisa 24 équipes professionnelles et 12 équipes étudiantes œuvrant dans le domaine de l’aménagement et du design offrait aux lauréats une rémunération et une diffusion médiatique (sites internet, médias sociaux). Comment les architectes et designers peuvent-ils améliorer la forme urbaine de manière à vivre l’hiver au quotidien?
L’Association du design urbain du Québec, le Bureau du design de la ville de Montréal et Vivre en Ville ont organisé le concours « Nordicité » en rappelant que le Canada fait partie de cette liste sélective de pays ayant des températures pouvant atteindre les -40o. Ces organismes entendaient solliciter la créativité des participants, de manière à recevoir des propositions originales et intelligentes de nature à inciter « l’action participative » des citoyens. Un accent sur la déambulation était mis de l’avant pour revitaliser les espaces extérieurs de la ville de manière à stimuler leur appropriation et à favoriser leur fréquentation. Sur les 61 équipes inscrites, seules 24 équipes professionnelles et 12 étudiantes ont remis une proposition en 2013.
Les récompenses se divisaient en deux catégories,1000$ pour les professionnels et 500$ pour les étudiants, auxquelles s’ajoutait un Prix du public offrant un bon d’achat d’une valeur de 150$ dans le catalogue CODE (souvenir du bureau de design)et, plus modestement, la mention Vivre en Ville offrait une publication de Vivre en Ville au choix.
L’ouverture internationale du concours n’a sans doute pas eu l’effet escompté puisque la majorité des participants provenait de la région de Montréal et, à quelques exceptions, de Québec. De l’examen général des propositions se dégage une nette tendance à proposer des abris hivernaux : interprétation qui allait somme toute à l’encontre de la commande initiale qui invitait à une célébration de l’hiver et non à la recherche de solutions pour des abris temporaires.
Trois familles de projets regroupant des intentions similaires ont émergé des commentaires du jury : « des modes de transport, des interventions plus artistiques ou encore des lieux de destinations propres à l’hiver. […] La dualité entre l’utilisation en été versus l’hiver a été mise de l’avant et a séduit plusieurs des membres. Enfin, la question de faisabilité des propositions, bien qu’il s’agisse d’un concours d’idées, a également été soulevée».
Du point de vue du transport, seul le volet professionnel a recueilli plusieurs propositions mettant de l’avant des modalités telles que la mise en place d’un réseau de ski de fond à travers Montréal.
Plusieurs projets risquent des « installations artistiques ». L’unique installation étudiante (non lauréate), présentée par Audrey-Maude Gosemick, Marie-Renée Vial, Camille Lepage-Mandeville et Matthieu-Nicolas Devito propose un tissage coloré du nom de Délaissé Hivernal. Une installation disposée à travers les arbres de Montréal afin « de redonner couleurs et chaleurs » aux parcs et rues délaissés en hiver. Du côté des professionnels, on peut trouver une résille métallique ancrée aux façades aveugles qui collectera la neige tombée pour en faire des tableaux abstraits rappelant les paysages hivernaux. Cette résille peut être modulable par les passants en but de créer un nouveau motif à chaque nouvelle neige. Une proposition nommée Le bal des neiges par Annie Breton et Frédérick Boily jouait sur la dimension ludique de l’élément hivernal.
Pour ce qui revient à opposer l’hiver à l’été, à plus grande échelle, l’équipe étudiante, formée par Clémentine Hederer, Maya Gana et Nancy Dubeau suggéraient l’installation de plusieurs éléments à travers la rue Prince Arthur jusqu’au square St-Louis. Nommée La station chalet, cette proposition de glace et de bois peut être dispersée tel des chalets urbains en hiver qui s’adaptent aux terrasses des commerces en été ainsi que des zones sportives (curling, snowpark). Dans le même registre, une équipe professionnelle composée d’Olivier Legault et de Raphaël Thibodeau, proposait l’élaboration d’espaces éphémères dans les parcs afin que les communautés puissent participer à des activités de regroupements sportives et sociales. Cette idée nommée Montréal hivernal, devait être utilisée de manière à favoriser la citoyenneté, à utiliser les parcs comme canevas permettant l’implantation d’activités hivernales et la création de rivalités amicales entre quartiers : le tout afin d’apprécier l’hiver.
Comme il arrive fréquemment dans les concours d’idées, la décision du jury s’est voulue inclusive et les prix ont été répartis en deux ex aequo et une mention pour chacune des deux catégories pour un total de 6 gagnants sur 36 participants, soit 17% de la totalité des projets.
Plusieurs projets se sont démarqués comme « lauréats ». Korridor nordik, proposé par une équipe professionnelle composée de Francis Falardeau-laperle et Janie Hemond a su attirer l’attention du jury pour son côté « ambitieux, presque radical, qui s’implante au centre de la ville ». Ce projet qui se trouve être dans la famille des modes de transports proposait de convertir le réseau cyclable existant de Montréal en un réseau de ski de fond durant l’hiver. En effet, même si cette proposition reste dans la catégorie des utopies récurrentes le jury a souhaité soulever le caractère emblématique de ce mode de transport nordique destiné à créer « un réel impact sur le quotidien des Québécois ». Dans le même ordre d’idées, avec le projet Attention ça glisse, les étudiants Mikael Saint-pierre, Audrey Girard et Eadeh Attarzadeh proposent l’installation d’une série de glissades et de toboggans repartis sur le versant sud du Mont-Royal jouant avec les différentes topographies. Inquiet de la matérialité du projet, le jury a mentionné que les glissades auraient pu être « de glace et neige, exprimant et affirmant ainsi davantage l’hivernité du Québec. »
Dans le registre des comparaisons extrêmes entre étés et hivers Canadiens, l’une des équipes lauréates de la catégorie étudiant, proposa, avec le projet Hivernité, un système d’entreposage de la neige sous plusieurs places publiques afin de s’en servir l’été. Un processus qui, selon Manon Otto, pourrait assurer un approvisionnement en eau froide une fois la neige fondue par un système de drainage. Dans cette proposition les places publiques peuvent être utilisées autant en été qu’en hiver. Ce projet remarqué autant par son intelligence que sa pertinence suggère en effet un système durable pouvant répondre à certains problèmes écologiques. Dans le volet professionnel, le projet Backwash par Jean-Daniel Mercier et Alexandre Guilbeault s’est aussi démarqué par son adaptation saisonnière en proposant de transposer, en hiver, l’effet de rassemblement communautaire qu’offrent les piscines publiques estivales. Une fois vidées, les piscines peuvent être réappropriées de manière à y implanter des activités communautaires : lieux de projection cinématographique, aires de feu et de jasette, etc. L’encastrement fréquent des piscines dans le sol pouvant constituer un microclimat maintenant les occupants au chaud.
Pour ce qui est de la mention Vivre en Ville, le jury opta pour des approches permettant aux passants d’apprécier l’hiver de façon aussi artistique que participative. Intitulée opération déneigement, la proposition étudiante de Jean-Philippe Simard, Alexandre Hamlyn, Emilie Gagne-loranger et Julien Beauchamp, crée un espace « […] épargné des opérations de déneigement […] » grâce à l’installation de balises jaunes engendrant un espace d’appréciation hivernale tant pour son côté vierge, ludique que pour sa capacité à attirer la foule. Certains membres du jury envisagèrent même une certaine permanence bien que la tentative puisse être critiquée sur sa capacité à améliorer « […] l’expérience des conditions hivernales au quotidien. » En suggérant la congélation de plantes pendant leur floraison et leur disposition en place publique lors des périodes hivernales, la proposition professionnelle fut unanimement appréciée par les membres du jury pour une approche poétique mettant de l’avant la mémoire des saisons en soulevant la sensibilité et la qualité de la nature à transgresser le temps. Nommée lieux dormants, et conçue par Serina Tarkhanian ce projet, selon le jury, « […] offre une belle place pour l’art dans la ville. », révélant le caractère évolutif de ces œuvres, la fonte des glaces mettra en valeur les qualités « […] axées sur la sensorialité (odeur/toucher) de l’installation. »
Fait notable, pour un concours aussi ouvert, et à l’exception de trois projets (Lieux dormants, Hivernite et Korridor nordik), aucune proposition ne répondait clairement au principal questionnement du concours : comment les architectes et designers peuvent-ils se réapproprier la matière urbaine de manière à vivre l’hiver au quotidien? On pourra ainsi s’interroger sur une certaine propension qui tend aujourd’hui à transposer en concours d’idées de véritables problématiques qui appellent de véritables projets.
L’Association du design urbain du Québec, le Bureau du design de la ville de Montréal et Vivre en Ville ont organisé le concours « Nordicité » en rappelant que le Canada fait partie de cette liste sélective de pays ayant des températures pouvant atteindre les -40o. Ces organismes entendaient solliciter la créativité des participants, de manière à recevoir des propositions originales et intelligentes de nature à inciter « l’action participative » des citoyens. Un accent sur la déambulation était mis de l’avant pour revitaliser les espaces extérieurs de la ville de manière à stimuler leur appropriation et à favoriser leur fréquentation. Sur les 61 équipes inscrites, seules 24 équipes professionnelles et 12 étudiantes ont remis une proposition en 2013.
Les récompenses se divisaient en deux catégories,1000$ pour les professionnels et 500$ pour les étudiants, auxquelles s’ajoutait un Prix du public offrant un bon d’achat d’une valeur de 150$ dans le catalogue CODE (souvenir du bureau de design)et, plus modestement, la mention Vivre en Ville offrait une publication de Vivre en Ville au choix.
L’ouverture internationale du concours n’a sans doute pas eu l’effet escompté puisque la majorité des participants provenait de la région de Montréal et, à quelques exceptions, de Québec. De l’examen général des propositions se dégage une nette tendance à proposer des abris hivernaux : interprétation qui allait somme toute à l’encontre de la commande initiale qui invitait à une célébration de l’hiver et non à la recherche de solutions pour des abris temporaires.
Trois familles de projets regroupant des intentions similaires ont émergé des commentaires du jury : « des modes de transport, des interventions plus artistiques ou encore des lieux de destinations propres à l’hiver. […] La dualité entre l’utilisation en été versus l’hiver a été mise de l’avant et a séduit plusieurs des membres. Enfin, la question de faisabilité des propositions, bien qu’il s’agisse d’un concours d’idées, a également été soulevée».
Du point de vue du transport, seul le volet professionnel a recueilli plusieurs propositions mettant de l’avant des modalités telles que la mise en place d’un réseau de ski de fond à travers Montréal.
Plusieurs projets risquent des « installations artistiques ». L’unique installation étudiante (non lauréate), présentée par Audrey-Maude Gosemick, Marie-Renée Vial, Camille Lepage-Mandeville et Matthieu-Nicolas Devito propose un tissage coloré du nom de Délaissé Hivernal. Une installation disposée à travers les arbres de Montréal afin « de redonner couleurs et chaleurs » aux parcs et rues délaissés en hiver. Du côté des professionnels, on peut trouver une résille métallique ancrée aux façades aveugles qui collectera la neige tombée pour en faire des tableaux abstraits rappelant les paysages hivernaux. Cette résille peut être modulable par les passants en but de créer un nouveau motif à chaque nouvelle neige. Une proposition nommée Le bal des neiges par Annie Breton et Frédérick Boily jouait sur la dimension ludique de l’élément hivernal.
Pour ce qui revient à opposer l’hiver à l’été, à plus grande échelle, l’équipe étudiante, formée par Clémentine Hederer, Maya Gana et Nancy Dubeau suggéraient l’installation de plusieurs éléments à travers la rue Prince Arthur jusqu’au square St-Louis. Nommée La station chalet, cette proposition de glace et de bois peut être dispersée tel des chalets urbains en hiver qui s’adaptent aux terrasses des commerces en été ainsi que des zones sportives (curling, snowpark). Dans le même registre, une équipe professionnelle composée d’Olivier Legault et de Raphaël Thibodeau, proposait l’élaboration d’espaces éphémères dans les parcs afin que les communautés puissent participer à des activités de regroupements sportives et sociales. Cette idée nommée Montréal hivernal, devait être utilisée de manière à favoriser la citoyenneté, à utiliser les parcs comme canevas permettant l’implantation d’activités hivernales et la création de rivalités amicales entre quartiers : le tout afin d’apprécier l’hiver.
Comme il arrive fréquemment dans les concours d’idées, la décision du jury s’est voulue inclusive et les prix ont été répartis en deux ex aequo et une mention pour chacune des deux catégories pour un total de 6 gagnants sur 36 participants, soit 17% de la totalité des projets.
Plusieurs projets se sont démarqués comme « lauréats ». Korridor nordik, proposé par une équipe professionnelle composée de Francis Falardeau-laperle et Janie Hemond a su attirer l’attention du jury pour son côté « ambitieux, presque radical, qui s’implante au centre de la ville ». Ce projet qui se trouve être dans la famille des modes de transports proposait de convertir le réseau cyclable existant de Montréal en un réseau de ski de fond durant l’hiver. En effet, même si cette proposition reste dans la catégorie des utopies récurrentes le jury a souhaité soulever le caractère emblématique de ce mode de transport nordique destiné à créer « un réel impact sur le quotidien des Québécois ». Dans le même ordre d’idées, avec le projet Attention ça glisse, les étudiants Mikael Saint-pierre, Audrey Girard et Eadeh Attarzadeh proposent l’installation d’une série de glissades et de toboggans repartis sur le versant sud du Mont-Royal jouant avec les différentes topographies. Inquiet de la matérialité du projet, le jury a mentionné que les glissades auraient pu être « de glace et neige, exprimant et affirmant ainsi davantage l’hivernité du Québec. »
Dans le registre des comparaisons extrêmes entre étés et hivers Canadiens, l’une des équipes lauréates de la catégorie étudiant, proposa, avec le projet Hivernité, un système d’entreposage de la neige sous plusieurs places publiques afin de s’en servir l’été. Un processus qui, selon Manon Otto, pourrait assurer un approvisionnement en eau froide une fois la neige fondue par un système de drainage. Dans cette proposition les places publiques peuvent être utilisées autant en été qu’en hiver. Ce projet remarqué autant par son intelligence que sa pertinence suggère en effet un système durable pouvant répondre à certains problèmes écologiques. Dans le volet professionnel, le projet Backwash par Jean-Daniel Mercier et Alexandre Guilbeault s’est aussi démarqué par son adaptation saisonnière en proposant de transposer, en hiver, l’effet de rassemblement communautaire qu’offrent les piscines publiques estivales. Une fois vidées, les piscines peuvent être réappropriées de manière à y implanter des activités communautaires : lieux de projection cinématographique, aires de feu et de jasette, etc. L’encastrement fréquent des piscines dans le sol pouvant constituer un microclimat maintenant les occupants au chaud.
Pour ce qui est de la mention Vivre en Ville, le jury opta pour des approches permettant aux passants d’apprécier l’hiver de façon aussi artistique que participative. Intitulée opération déneigement, la proposition étudiante de Jean-Philippe Simard, Alexandre Hamlyn, Emilie Gagne-loranger et Julien Beauchamp, crée un espace « […] épargné des opérations de déneigement […] » grâce à l’installation de balises jaunes engendrant un espace d’appréciation hivernale tant pour son côté vierge, ludique que pour sa capacité à attirer la foule. Certains membres du jury envisagèrent même une certaine permanence bien que la tentative puisse être critiquée sur sa capacité à améliorer « […] l’expérience des conditions hivernales au quotidien. » En suggérant la congélation de plantes pendant leur floraison et leur disposition en place publique lors des périodes hivernales, la proposition professionnelle fut unanimement appréciée par les membres du jury pour une approche poétique mettant de l’avant la mémoire des saisons en soulevant la sensibilité et la qualité de la nature à transgresser le temps. Nommée lieux dormants, et conçue par Serina Tarkhanian ce projet, selon le jury, « […] offre une belle place pour l’art dans la ville. », révélant le caractère évolutif de ces œuvres, la fonte des glaces mettra en valeur les qualités « […] axées sur la sensorialité (odeur/toucher) de l’installation. »
Fait notable, pour un concours aussi ouvert, et à l’exception de trois projets (Lieux dormants, Hivernite et Korridor nordik), aucune proposition ne répondait clairement au principal questionnement du concours : comment les architectes et designers peuvent-ils se réapproprier la matière urbaine de manière à vivre l’hiver au quotidien? On pourra ainsi s’interroger sur une certaine propension qui tend aujourd’hui à transposer en concours d’idées de véritables problématiques qui appellent de véritables projets.