« Rêvons nos rivières » : à la recherche d’une valeur d’ensemble
par Jacques White, publié le 2017-11-26
Au Québec, les concours sont pour la plupart abordés comme un mode d’adjudication de contrats publics à des professionnels du design (pris dans un sens large), avec pour principal objectif de réaliser un projet déjà assez bien défini sur un site prédéterminé. Ils s’accompagnent de documents types qui reproduisent, d’un concours à l’autre, des conditions similaires de conception, de présentation et d’évaluation des propositions, lesquelles prennent souvent la forme d’esquisses avancées ou même de dossiers préliminaires étonnamment élaborés. D’une part, un programme fonctionnel et technique (PFT) établit à l’avance les attentes détaillées – et parfois les solutions – du donneur d’ouvrage à l’égard du projet à réaliser, dans le sillage de modélisations qui ont servi à valider en amont les besoins et les budgets. D’autre part, un règlement pré-formaté (repris d’un modèle du MCC, du MAMOT ou de la Ville de Montréal) regroupe les informations qui ont trait au processus du concours, mettant à l’avant-plan des exigences contractuelles de plus en plus prégnantes, conséquence directe de l’assimilation des concours à un mode alternatif d’adjudication de contrats publics.
Dans ce portrait plutôt constant qui trace, à force de répétition, les contours d’une pratique quasi-officielle des concours à l’échelle québécoise, la Ville de Québec a décidé d’emprunter une autre voie, remontant à l’essence même des pratiques internationales, mettant à l’avant-plan non pas les processus, mais la recherche de créativité, d’ingéniosité et d’innovation que les concours sont sensés encourager. Avec le concours international d’idées « Rêvons nos rivières », les responsables de l’aménagement de la Ville ont imaginé, élaboré, défendu et mis en œuvre un concours différent, qui ne visait d’aucune manière la réalisation d’un concept désigné gagnant ni aucune commande à son terme, mais qui sollicitait plutôt un large éventail de visions pour enrichir une réflexion plus globale sur l’avenir des quatre rivières qui sillonnent son très vaste territoire. Le concours devient ainsi un « concours sur le programme », où les propositions ne sont pas considérées comme des réponses à des questions posées à l’avance, mais comme une occasion de poser différemment les mêmes questions ou d’en poser de nouvelles. Bien plus, ce n’est pas sur le projet gagnant que se porte l’attention, mais sur l’ensemble des propositions que le concours produit, comme autant d’opportunités créées, ce que le Laboratoire d’étude de l’architecture potentielle de l’Université de Montréal valorise depuis sa création. D’ailleurs, un concours n’est-t-il pas d’abord destiné à générer des possibilités, plutôt que de simplement résoudre des problèmes ou de donner forme à un programme ? Suivant une telle approche, on retourne en quelque sorte à l’essence même de ce qu’est un concours, remontant à ses plus lointaines origines, mais dans un contexte on ne peut plus actuel.
Le concours « Rêvons nos rivières » en était un d’idées, ouvert (anonyme), pluridisciplinaire et d’envergure internationale, tenu en une seule étape. Il s’adressait aux « architectes paysagistes, designers urbains, architectes, urbanistes et autres professionnels du design de l’environnement, susceptibles de proposer des idées à la fois ambitieuses et réalistes qui sauront guider la transformation et la conservation des rivières de Québec, de leurs berges et des aires qui les bordent, naturelles ou urbanisées ». Le règlement du concours tenait sur à peine dix pages, une fraction du nombre habituel. On y retrouvait explicitement énoncées, d’entrée de jeu, les attentes de la Ville envers les concurrents. La motivation principale de la Ville à organiser ce concours était ainsi présentée : « La Ville de Québec considérera l’ensemble des propositions reçues, indépendamment des prix attribués, comme un bassin de pistes d’aménagement qui s’ajouteront aux idées existantes pour éventuellement créer un plan directeur d’aménagement des rivières sur le territoire de la ville. Ce plan directeur servira à son tour de référence pour la planification de tout projet public, privé ou public-privé aux abords des rivières. » Ainsi, c’est sur la valeur d’ensemble des propositions reçues en réponses aux questions posées par la Ville que reposait ce concours, l’attribution de prix ne servant en fait qu’à encourager la participation et à mettre en lumière, parmi toutes les idées reçues, celles qui mériteraient une attention particulière pour présenter le plus grand potentiel d’influencer l’avenir des rivières de Québec, tant en regard de leur appropriation citoyenne que de leur pérennité au plan environnemental.
Il convient de préciser ici que des circonstances particulières ont joué un rôle majeur dans la détermination du type de concours et des conditions de sa mise en œuvre. La volonté de la Ville d’agir rapidement, devant conclure le concours plusieurs semaines avant la date inéluctable des élections municipales (5 novembre 2017), ne permettait pas d’envisager un concours en deux étapes. Pourtant, l’étendue du territoire à couvrir et la complexité des enjeux l’aurait pleinement justifié, les propositions étant évidemment plus élaborées dans un concours avec finalistes (rémunérés) que dans un concours ouvert anonyme (sans rémunération). Mais d’un autre côté, un concours ouvert permettait à la Ville de plus facilement rencontrer son objectif d’obtenir un vaste éventail d’idées pour élaborer un éventuel plan directeur de manière plus inspirée. Il a donc fallu créer une formule hybride, comme un concours d’idées avec un échéancier assez compressé, mais avec des prestations plus substantielles qu’à l’habitude, permettant d’ainsi couvrir la très vaste étendue du territoire à considérer (que la Ville ne voulait d’aucune manière réduire), tout en embrassant plusieurs échelles d’interventions en parallèle : celle du territoire (avec quatre rivières mises en relations), des secteurs d’interventions (plusieurs par rivière, préalablement identifiés en groupes d’idéation) et l’échelle humaine (portant sur les mêmes secteurs, à rendre par des perspectives d’ambiance). Chacune de ces échelles correspondait précisément à l’une des trois planches exigées. Afin d’éviter la dispersion, la Ville a accepté que tous les secteurs d’intérêts ne soient pas couverts par chacun des concurrents, limitant ses demandes à au moins trois secteurs d’intérêts pour au moins trois des quatre rivières (Cap-Rouge, Saint-Charles, Beauport et Montmorency). Il était espéré – et cela s’est avéré – que l’ensemble des propositions reçues couvriraient au final la majorité des sites pressentis par la Ville pour y réaliser d’éventuels aménagements. Aussi, laisser libre le choix des sites permettait justement à la Ville de valider ou d’invalider ses anticipations, ce qui constitue en soi un autre apport intéressant aux réflexions en cours.
À première vue, il semble décevant que des 211 équipes inscrites au concours, seulement 21 aient donné suite avec une proposition complète. D’une part, cela s’explique par le caractère inhabituel du concours, comme un concours d’idées relativement court tenu en période estivale, en une seule étape, significativement plus exigeant qu’à l’habitude (internationale) au plan de la réflexion à engager sous de multiples aspects et sur un vaste territoire, ainsi qu’au plan de la prestation (3 planches A0 couvrant plusieurs sites). Mais au-delà de ce taux de réponse plutôt faible à première vue, c’est le sérieux et la richesse des propositions reçues qui se dégagent avec éloquence des quelques 63 planches (tout de même 70 m2 d’idées) qu’a dû évaluer le jury, guidé dans son travail par un ensemble de critères d’évaluation précis mais ouverts, rédigés de manière à solliciter l’imprévu, voire l’imprévisible.
Le jury a bien compris les particularités de ce concours, en ce qui a trait à la fois aux attentes de la Ville, aux propositions à fournir, aux enjeux à couvrir et aux immenses défis auxquels devaient s’attaquer les concurrents. Il a d’abord consacré l’entièreté de sa première journée de travail à visiter les lieux les plus souvent identifiés par les concurrents comme des secteurs d’intérêt, permettant du coup d’engager une lecture collective très riche de l’état des lieux et du potentiel du territoire. La journée des délibérations qui a suivi s’est avérée fertile en découvertes, en parfaite concordance avec les objectifs singuliers de ce concours, le jury ayant effectivement consacré le meilleur de ses énergies à bien saisir et à faire clairement ressortir, à force d’en discuter, la valeur d’ensemble de toutes les propositions reçues, plutôt que de s’attarder à les comparer dans le but de trouver laquelle ou lesquelles mériteraient d’être désignées gagnantes. Il n’est donc pas surprenant que le jury ait tenu, dans son rapport [1], à commenter l’ensemble des propositions reçues, non seulement les trois lauréates. Et lorsqu’il dut justifier le choix des propositions lauréates, était bien mis en évidence en quoi ces trois propositions lauréates sont complémentaires et forment conjointement une proposition cohérente, comme un triangle immuable dont aucun segment ne peut être retiré sans en briser l’intelligibilité. On ne saurait mieux résumer que le président du jury Jandirk Hoekstra, dans une vidéo présentée aux médias au moment même du dévoilement des résultats du concours [2], à quoi tenait ce concours et quels en ont été les bénéfices. Le jury, incontestablement, a pleinement compris et pris en charge la mission que la Ville lui avait confiée. Comme les concurrents, apparemment.
Sans être exemplaire en tout, puisque de sortir des sentiers balisés comporte forcément son lot de risques, d’incertitudes et d’espoirs partiellement satisfaits, ce concours ouvre la voie à d’autres possibilités qui manquent peut-être au Québec, plus axées sur des ambitions partagées et moins sur les procédures; autrement dit, des concours qui font une plus grande place aux opportunités et aux potentialités formidables du rêve, comme ceux auxquels on se donne la permission d’aspirer et qu’on souhaite voir un jour se concrétiser.
[1] https://www.ville.quebec.qc.ca/apropos/planification-orientations/environnement/eau/rivieres/docs/ConcoursRivieresVQ_RapportJury_FINAL.pdf
[2] https://www.youtube.com/watch?v=jkfirtodXPE&feature=youtu.be
Dans ce portrait plutôt constant qui trace, à force de répétition, les contours d’une pratique quasi-officielle des concours à l’échelle québécoise, la Ville de Québec a décidé d’emprunter une autre voie, remontant à l’essence même des pratiques internationales, mettant à l’avant-plan non pas les processus, mais la recherche de créativité, d’ingéniosité et d’innovation que les concours sont sensés encourager. Avec le concours international d’idées « Rêvons nos rivières », les responsables de l’aménagement de la Ville ont imaginé, élaboré, défendu et mis en œuvre un concours différent, qui ne visait d’aucune manière la réalisation d’un concept désigné gagnant ni aucune commande à son terme, mais qui sollicitait plutôt un large éventail de visions pour enrichir une réflexion plus globale sur l’avenir des quatre rivières qui sillonnent son très vaste territoire. Le concours devient ainsi un « concours sur le programme », où les propositions ne sont pas considérées comme des réponses à des questions posées à l’avance, mais comme une occasion de poser différemment les mêmes questions ou d’en poser de nouvelles. Bien plus, ce n’est pas sur le projet gagnant que se porte l’attention, mais sur l’ensemble des propositions que le concours produit, comme autant d’opportunités créées, ce que le Laboratoire d’étude de l’architecture potentielle de l’Université de Montréal valorise depuis sa création. D’ailleurs, un concours n’est-t-il pas d’abord destiné à générer des possibilités, plutôt que de simplement résoudre des problèmes ou de donner forme à un programme ? Suivant une telle approche, on retourne en quelque sorte à l’essence même de ce qu’est un concours, remontant à ses plus lointaines origines, mais dans un contexte on ne peut plus actuel.
Le concours « Rêvons nos rivières » en était un d’idées, ouvert (anonyme), pluridisciplinaire et d’envergure internationale, tenu en une seule étape. Il s’adressait aux « architectes paysagistes, designers urbains, architectes, urbanistes et autres professionnels du design de l’environnement, susceptibles de proposer des idées à la fois ambitieuses et réalistes qui sauront guider la transformation et la conservation des rivières de Québec, de leurs berges et des aires qui les bordent, naturelles ou urbanisées ». Le règlement du concours tenait sur à peine dix pages, une fraction du nombre habituel. On y retrouvait explicitement énoncées, d’entrée de jeu, les attentes de la Ville envers les concurrents. La motivation principale de la Ville à organiser ce concours était ainsi présentée : « La Ville de Québec considérera l’ensemble des propositions reçues, indépendamment des prix attribués, comme un bassin de pistes d’aménagement qui s’ajouteront aux idées existantes pour éventuellement créer un plan directeur d’aménagement des rivières sur le territoire de la ville. Ce plan directeur servira à son tour de référence pour la planification de tout projet public, privé ou public-privé aux abords des rivières. » Ainsi, c’est sur la valeur d’ensemble des propositions reçues en réponses aux questions posées par la Ville que reposait ce concours, l’attribution de prix ne servant en fait qu’à encourager la participation et à mettre en lumière, parmi toutes les idées reçues, celles qui mériteraient une attention particulière pour présenter le plus grand potentiel d’influencer l’avenir des rivières de Québec, tant en regard de leur appropriation citoyenne que de leur pérennité au plan environnemental.
Il convient de préciser ici que des circonstances particulières ont joué un rôle majeur dans la détermination du type de concours et des conditions de sa mise en œuvre. La volonté de la Ville d’agir rapidement, devant conclure le concours plusieurs semaines avant la date inéluctable des élections municipales (5 novembre 2017), ne permettait pas d’envisager un concours en deux étapes. Pourtant, l’étendue du territoire à couvrir et la complexité des enjeux l’aurait pleinement justifié, les propositions étant évidemment plus élaborées dans un concours avec finalistes (rémunérés) que dans un concours ouvert anonyme (sans rémunération). Mais d’un autre côté, un concours ouvert permettait à la Ville de plus facilement rencontrer son objectif d’obtenir un vaste éventail d’idées pour élaborer un éventuel plan directeur de manière plus inspirée. Il a donc fallu créer une formule hybride, comme un concours d’idées avec un échéancier assez compressé, mais avec des prestations plus substantielles qu’à l’habitude, permettant d’ainsi couvrir la très vaste étendue du territoire à considérer (que la Ville ne voulait d’aucune manière réduire), tout en embrassant plusieurs échelles d’interventions en parallèle : celle du territoire (avec quatre rivières mises en relations), des secteurs d’interventions (plusieurs par rivière, préalablement identifiés en groupes d’idéation) et l’échelle humaine (portant sur les mêmes secteurs, à rendre par des perspectives d’ambiance). Chacune de ces échelles correspondait précisément à l’une des trois planches exigées. Afin d’éviter la dispersion, la Ville a accepté que tous les secteurs d’intérêts ne soient pas couverts par chacun des concurrents, limitant ses demandes à au moins trois secteurs d’intérêts pour au moins trois des quatre rivières (Cap-Rouge, Saint-Charles, Beauport et Montmorency). Il était espéré – et cela s’est avéré – que l’ensemble des propositions reçues couvriraient au final la majorité des sites pressentis par la Ville pour y réaliser d’éventuels aménagements. Aussi, laisser libre le choix des sites permettait justement à la Ville de valider ou d’invalider ses anticipations, ce qui constitue en soi un autre apport intéressant aux réflexions en cours.
À première vue, il semble décevant que des 211 équipes inscrites au concours, seulement 21 aient donné suite avec une proposition complète. D’une part, cela s’explique par le caractère inhabituel du concours, comme un concours d’idées relativement court tenu en période estivale, en une seule étape, significativement plus exigeant qu’à l’habitude (internationale) au plan de la réflexion à engager sous de multiples aspects et sur un vaste territoire, ainsi qu’au plan de la prestation (3 planches A0 couvrant plusieurs sites). Mais au-delà de ce taux de réponse plutôt faible à première vue, c’est le sérieux et la richesse des propositions reçues qui se dégagent avec éloquence des quelques 63 planches (tout de même 70 m2 d’idées) qu’a dû évaluer le jury, guidé dans son travail par un ensemble de critères d’évaluation précis mais ouverts, rédigés de manière à solliciter l’imprévu, voire l’imprévisible.
Le jury a bien compris les particularités de ce concours, en ce qui a trait à la fois aux attentes de la Ville, aux propositions à fournir, aux enjeux à couvrir et aux immenses défis auxquels devaient s’attaquer les concurrents. Il a d’abord consacré l’entièreté de sa première journée de travail à visiter les lieux les plus souvent identifiés par les concurrents comme des secteurs d’intérêt, permettant du coup d’engager une lecture collective très riche de l’état des lieux et du potentiel du territoire. La journée des délibérations qui a suivi s’est avérée fertile en découvertes, en parfaite concordance avec les objectifs singuliers de ce concours, le jury ayant effectivement consacré le meilleur de ses énergies à bien saisir et à faire clairement ressortir, à force d’en discuter, la valeur d’ensemble de toutes les propositions reçues, plutôt que de s’attarder à les comparer dans le but de trouver laquelle ou lesquelles mériteraient d’être désignées gagnantes. Il n’est donc pas surprenant que le jury ait tenu, dans son rapport [1], à commenter l’ensemble des propositions reçues, non seulement les trois lauréates. Et lorsqu’il dut justifier le choix des propositions lauréates, était bien mis en évidence en quoi ces trois propositions lauréates sont complémentaires et forment conjointement une proposition cohérente, comme un triangle immuable dont aucun segment ne peut être retiré sans en briser l’intelligibilité. On ne saurait mieux résumer que le président du jury Jandirk Hoekstra, dans une vidéo présentée aux médias au moment même du dévoilement des résultats du concours [2], à quoi tenait ce concours et quels en ont été les bénéfices. Le jury, incontestablement, a pleinement compris et pris en charge la mission que la Ville lui avait confiée. Comme les concurrents, apparemment.
Sans être exemplaire en tout, puisque de sortir des sentiers balisés comporte forcément son lot de risques, d’incertitudes et d’espoirs partiellement satisfaits, ce concours ouvre la voie à d’autres possibilités qui manquent peut-être au Québec, plus axées sur des ambitions partagées et moins sur les procédures; autrement dit, des concours qui font une plus grande place aux opportunités et aux potentialités formidables du rêve, comme ceux auxquels on se donne la permission d’aspirer et qu’on souhaite voir un jour se concrétiser.
[1] https://www.ville.quebec.qc.ca/apropos/planification-orientations/environnement/eau/rivieres/docs/ConcoursRivieresVQ_RapportJury_FINAL.pdf
[2] https://www.youtube.com/watch?v=jkfirtodXPE&feature=youtu.be