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«7 doigts de la main», 4 mousquetaires, une salle de spectacle et du cirque
par Jean-Pierre Chupin, publié le 2014-03-19
On accuse parfois le processus de mise en concours de retarder l’édification d’un projet. Dans le cas du Centre de diffusion culturel Guy-Gagnon, organisé dans l’arrondissement de Verdun à Montréal en 2011, les choses furent rondement menées : 4 équipes d’architectes parmi les plus en vues étaient au rendez-vous, le jury a parfaitement fonctionné, les critères ont été bien respectés, mais au vu des retards pris pour le déclenchement de la construction, on réalise que le problème ne vient pas du concours, mais du manque de respect des engagements financiers au niveau municipal. Un petit cirque politique en retardant un autre.

En 2014, le projet lauréat n’a toujours pas été construit. Ce projet, important pour l’arrondissement de Verdun, mais au budget somme toute modeste, ne passera pas inaperçu dans l’histoire des concours au Québec, car il permet plusieurs comparaisons et ce n’est pas la moindre de ses vertus. Avant d’évoquer la rencontre au sommet entre 4 équipes de concepteurs qui se retrouvent pour la première fois rassemblées en finalistes dans le même contexte, soulignons quelques paradoxes. Ce concours permet en effet de mettre en évidence que certaines controverses sont plus souvent révélées que provoquées par la mise en concours. La situation est paradoxale puisque les 4 projets ont déjà fait le tour du monde après avoir fait l’objet d’une publication dans le numéro annuel publié en 2013 du magazine International Competitions dirigé par notre complice américain Stanley Collyer depuis Louisville. Imprimé en Chine, diffusé à plusieurs milliers d’exemplaires, les projets du concours pour l’Édifice Guy-Gagnon ont trôné dans le même volume qui a révélé les finalistes du grand concours international pour le Musée national des beaux-arts du Québec aux côtés de grands concours organisés à Taiwan, en Écosse, aux É.-U., en Allemagne, en Grande-Bretagne ou encore au Danemark. Autant dire que ces quatre projets ont déjà passablement voyagé, comme la célèbre troupe de cirque « Les 7 doigts de la main » qui a longtemps utilisé ces espaces communautaires en bordure du Saint-Laurent avant de courir le monde. Il reste qu’à l’automne 2013, des associations d’usagers tentaient encore de mobiliser les acteurs municipaux, profitant des élections, pour que soient enfin investis les fonds réservés et dument destinés à l’École de cirque de Verdun (ÉCV).

La commande visait le réaménagement d’un ancien aréna pour accueillir un lieu de diffusion des arts de la scène et du cirque comprenant une salle de spectacle d’environ 400 places. Le mandat posait clairement les ambitions : « Dans le souci d’une oeuvre architecturale de qualité, translucidité, matérialité et inventivité devront être au rendezvous. Cette requalification du bâtiment exige un remodelage de l’enveloppe du bâtiment, en harmonie avec son site sur le bord du fleuve Saint-Laurent ». Mais, dans ce court résumé éditorial, ce qui retiendra d’abord notre attention concerne le fonctionnement du jugement autour de critères bien énoncés et sérieusement pris en compte par le jury au cours du processus. Les deux rapports qui ont été rendus publics résument clairement la façon dont les équipes ont été sélectionnées avant de résumer les étapes du jugement des propositions. La chose est suffisamment rare pour être soulignée. Les rapports sont souvent édulcorés, quand ils ne sont pas purement et simplement occultés. C’est un tort, car en lisant un vrai rapport détaillé, on prend la mesure des dynamiques et des enjeux et on réalise rapidement que les risques de controverses s’en trouvent amoindris.

4 équipes de mousquetaires de la qualité architecturale se sont affrontées à cette occasion. Éric Gauthier représentait FABG, Manon Asselin le consortium TAG/JLP, Gilles Saucier et André Perrotte leur agence éponyme, tout comme Dan Hanganu représenta son équipe. Le jugement n’a pas dû être aisé, car la qualité et l’expérience étaient effectivement au rendez-vous. Le projet de FABG a remporté la mise sur la base d’une grande flexibilité spatiale, appréciable pour un équipement destiné à tout faire, mais on ne pouvait manquer de remarquer aussi la promesse du hall latéral, écrin lumineux d’une chaude couleur ambrée très ouvert sur le fleuve. Toutes les propositions ont d’abord misé sur le potentiel du site, oubliant un peu l’arrimage urbain pour penser le paysage fluvial. Pour Saucier + Perrotte, il s’agissait de « tirer parti du caractère bucolique du lieu en créant une forme architecturale qui s’imposera dans ce paysage de manière unique ». Une stratégie d’unification des éléments du programme a permis de travailler au recouvrement des ensembles dans le sens d’une monumentalité assumée, une forme forte caractéristique des recherches de cette équipe renommée. Une ambition analogue émerge du projet TAG/ JLP avec de surcroît une emphase que d’aucuns trouveront exagérée sur le « patrimoine potentiel », c’est-à-dire sur ce que les concepteurs ont affiché comme le cinquième élément d’une séquence monumentale du « patrimoine architectural moderne du paysage fluvial de Montréal » : une séquence qui partirait de la croix du Mont-Royal pour rejoindre Verdun en passant par le Biodôme, le Pavillon Français de l’Expo 67 (désormais transformé en casino) et Habitat 67 : ne craignons pas les comparaisons ! Avec un projet que l’on trouvera légèrement plus tourmenté, en comparaison de la grande sobriété conceptuelle affichée par la « neutralité » du projet de FABG, la proposition de l’équipe Hanganu travaillait d’une part les deux frontalités (défi auquel les autres équipes ont visiblement renoncé d’emblée), tout en articulant ces façades sur ce qui fait la marque de la maison Hanganu : un grand espace central et moderne en double hauteur éclairé de façon zénithale et destiné à mettre en relation la ville et le bord du fleuve dans une promenade architecturale.

Quels étaient ces critères de jugement qui ont scandé le processus jusque dans le rapport final du jury ? Sous l’emblème, plutôt vague, de la « Force identitaire », on a cherché à jauger de 5 niveaux qualitatifs :

1. L’atmosphère (terme ancien de nouveau en vogue, mais somme toute intemporel) ;
2. La qualité de la relation du bâtiment avec son site en bordure du fleuve et la ville dans un souci de transparence ;
3. la fonctionnalité et l’innovation de l’ensemble (une double injonction possiblement paradoxale, mais il en faut pour faire cogiter les concepteurs) ;
4. Les questions d’intégration, de volumétrie et de matérialité ;
5. L’inévitable « faisabilité technique et potentiel de respect du budget ».

On ne paraphrasera pas ici ce que le rapport de jury a pris le temps de résumer pour chaque projet et en fonction de chacun de ces critères. On se contentera d’inviter le lecteur à la lecture de ce long rapport à la rubrique « généralités » de la fiche du concours et on l’invitera à la découverte de ces excellentes propositions qui constituent un véritable rassemblement de ce que l’histoire appellera sans doute un jour « l’École québécoise des années 2000 ».

Tous ces architectes ont participé à la diffusion de la culture de l’innovation et surtout à l’édification d’un Cirque — avec un grand C — et cela n’a absolument rien de péjoratif quand on prend la mesure de l’expertise québécoise, de niveau mondial, en la matière.
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