Ou comment enterrer l'imagination
par Jean-Pierre Chupin, publié le 2014-04-16
S'il ne sert à rien d'organiser un concours, quand on ne croit pas aux vertus de l'émulation et du jugement collectif, il faudrait surtout se garder d'organiser un concours d'idées quand on craint les surprises de l'imagination et de l'expérimentation. Le premier volet du concours d'idées Green Line (Toronto, 2012), présenté dans la récente mise à jour du CCC, assumait l'exercice d'idéation pour susciter le débat public, mais on comprend mal l'intérêt du second volet, intitulé « Underpass Solutions », qui imposait aux concepteurs de s'en tenir aux « idées réalistes et réalisables ».
Les éditoriaux qui accompagnent chaque mise à jour du Catalogue des Concours Canadiens ne sont pas rédigés comme des tribunes d'opinions et ne visent pas plus la promotion des concours qu'ils ne cherchent à encenser les lauréats ou à consoler les perdants. Par contre, en tant que chercheurs consacrant une part importante de nos activités scientifiques à la documentation et à la compréhension des concours et des pratiques contemporaines du projet, tant au Canada que dans le monde, il nous appartient de saisir cette occasion pour souligner que l'usage des concours d'idées requiert un minimum de respect des équipes de conception. Dans son règlement sur les concours internationaux, l'Union Internationale des Architectes insiste pour distinguer, peut-être abusivement, entre concours d'idées et concours de projets. Certains souligneront l'abus de langage, car cela sous-entendrait presque que les projets ne contiennent pas d'idées. On comprendra toutefois que la distinction relève d'une clarification des objectifs de chaque type de concours. Organiser un concours de projets, c'est toujours mesurer le degré de faisabilité et d'adéquation des propositions, c'est donc toujours une forme de réalisme, puisque le projet gagnant n'est pas forcément le plus audacieux ou le plus innovant. La célèbre réponse d'Adolf Loos, au grand concours du Chicago Tribune en 1922, est restée dans les mémoires justement pour sa capacité critique, mais les organisateurs attendaient bien une « solution », outre leur souhait de faire événement, en bons professionnels de la communication. Par contre, le fait d'organiser un concours d'idées suppose une volonté d'ouvrir la question à toutes les formes possibles de réponses, y compris, et peut-être surtout, ces réponses qui remettront en cause la question, le site, l'idée même d'une réalisation. Un concours d'idées, ouvert, peut-être la meilleure façon de préparer un grand concours de projet en permettant justement une reformulation de la problématique basée cette fois sur les propositions des concurrents.
Dans le cas du volet « Solutions souterraines » du concours d'idées Green Line (2012), les 15 projets reçus ont été à la hauteur de la double injonction contradictoire imposée par les organisateurs : médiocres, confus, inintéressants. Il s'agissait de s'adresser à ces lieux de franchissement, il y en a au moins 8 le long des 5 km de la ligne d'électrification qui traverse la ville de Toronto, ces passages souterrains, le plus souvent inquiétants, pour lesquels les concepteurs étaient invités à régler les questions de mobilité, de sécurité et de visibilité. La commande insistait sur la nécessité de fournir des idées « réalistes et réalisables », y compris en s'en tenant à une modestie budgétaire, sans que cette limite fasse vraiment l'objet de précision. La question était très intéressante, potentiellement une vraie « question de concours », d'autant qu'il ne manque pas de situations comparables dans le contexte canadien. Réfléchir à la qualité de ces passages souterrains vaut bien cet exercice d'intelligence collective qu'est le concours, la chose est entendue.
Dès lors quel est le problème ? En parcourant les 15 propositions qui se trouvent sur le site des organisateurs ( http://www.greenlinetoronto.ca/index.html ) et que nous nous contentons de relayer pour compléter la documentation, on ne trouvera pas vraiment de modèles au sens propre du terme. On trouvera des passages mal dessinés (voir le projet en fer à cheval), des projets verts au sens figuré (la tentative de constituer un arc de verdure est plutôt élégante), et des projets verts au sens propre (un concurrent n'ayant rien trouvé de mieux que de recouvrir les voies de circulation d'un tapis synthétique de couleur verte. On trouvera encore des marquages urbains, comme on en faisait pour les premiers ponts à hauban au XIXe siècle, celui de Bristol par exemple, sauf que dans le cas présent, il s'agit d'un souterrain. Puis du côté des projets fonctionnels et utilitaristes, on trouvera un essai de « théâtre souterrain », qui sera particulièrement troublé par le bruit assourdissant des passages de trains (la coupe trahissant la faiblesse de l'idée). Sur le plan sonore, on trouvera justement un projet (lauréat) misant sur la confection de murs acoustiques destinés à recevoir des interventions artistiques. Ailleurs, un autre mur en forme de grand miroir tente de faire disparaître la passerelle derrière un mur électronique, ou encore un projet de dispositif permettant de contourner les inondations de passages souterrains (ou comment créer un problème juste avant de le résoudre), et on trouvera surtout des idées de concurrents totalement inhibés par la commande contradictoire du concours au point de régurgiter le message. C'est par exemple le cas du projet de « Watershed refuge » qui conclut : « Les solutions prennent acte des réalités fiscales qui touchent aujourd'hui les gouvernements municipaux et les parties prenantes. Ces solutions sont soumises à un filtrage de ce qu'il est possible de réaliser et de reproduire dans les autres passages souterrains ».
Heureusement pour le monde des idées, mais cela n'a pas eu l'heur de plaire aux membres du jury, plusieurs concurrents ont misé sur la « lumière au bout du tunnel » et ont proposé différents dispositifs d'éclairage ou d'illumination fonction des passages, des passants et des situations. L'un joue sur les champs magnétiques, n'oubliant pas après tout qu'il s'agit d'un vaste corridor électrique, l'autre tentant une décomposition en forme d'arc-en-ciel : toujours utile dans ce type de souterrains, même aussi courts.
Si un concours peut aussi conduire à des exemples à ne pas suivre, le concours Green Line « Underpass Solution » s'offre lui-même en contre-exemple de ce à quoi un bon concours d'idées devrait servir. Car un concours d'idées ne recherche pas la « solution », mais de l'imagination, il cherche à valider la complexité de la question, ou même à identifier les équipes les plus innovantes. De l'idée avant tout !
Les éditoriaux qui accompagnent chaque mise à jour du Catalogue des Concours Canadiens ne sont pas rédigés comme des tribunes d'opinions et ne visent pas plus la promotion des concours qu'ils ne cherchent à encenser les lauréats ou à consoler les perdants. Par contre, en tant que chercheurs consacrant une part importante de nos activités scientifiques à la documentation et à la compréhension des concours et des pratiques contemporaines du projet, tant au Canada que dans le monde, il nous appartient de saisir cette occasion pour souligner que l'usage des concours d'idées requiert un minimum de respect des équipes de conception. Dans son règlement sur les concours internationaux, l'Union Internationale des Architectes insiste pour distinguer, peut-être abusivement, entre concours d'idées et concours de projets. Certains souligneront l'abus de langage, car cela sous-entendrait presque que les projets ne contiennent pas d'idées. On comprendra toutefois que la distinction relève d'une clarification des objectifs de chaque type de concours. Organiser un concours de projets, c'est toujours mesurer le degré de faisabilité et d'adéquation des propositions, c'est donc toujours une forme de réalisme, puisque le projet gagnant n'est pas forcément le plus audacieux ou le plus innovant. La célèbre réponse d'Adolf Loos, au grand concours du Chicago Tribune en 1922, est restée dans les mémoires justement pour sa capacité critique, mais les organisateurs attendaient bien une « solution », outre leur souhait de faire événement, en bons professionnels de la communication. Par contre, le fait d'organiser un concours d'idées suppose une volonté d'ouvrir la question à toutes les formes possibles de réponses, y compris, et peut-être surtout, ces réponses qui remettront en cause la question, le site, l'idée même d'une réalisation. Un concours d'idées, ouvert, peut-être la meilleure façon de préparer un grand concours de projet en permettant justement une reformulation de la problématique basée cette fois sur les propositions des concurrents.
Dans le cas du volet « Solutions souterraines » du concours d'idées Green Line (2012), les 15 projets reçus ont été à la hauteur de la double injonction contradictoire imposée par les organisateurs : médiocres, confus, inintéressants. Il s'agissait de s'adresser à ces lieux de franchissement, il y en a au moins 8 le long des 5 km de la ligne d'électrification qui traverse la ville de Toronto, ces passages souterrains, le plus souvent inquiétants, pour lesquels les concepteurs étaient invités à régler les questions de mobilité, de sécurité et de visibilité. La commande insistait sur la nécessité de fournir des idées « réalistes et réalisables », y compris en s'en tenant à une modestie budgétaire, sans que cette limite fasse vraiment l'objet de précision. La question était très intéressante, potentiellement une vraie « question de concours », d'autant qu'il ne manque pas de situations comparables dans le contexte canadien. Réfléchir à la qualité de ces passages souterrains vaut bien cet exercice d'intelligence collective qu'est le concours, la chose est entendue.
Dès lors quel est le problème ? En parcourant les 15 propositions qui se trouvent sur le site des organisateurs ( http://www.greenlinetoronto.ca/index.html ) et que nous nous contentons de relayer pour compléter la documentation, on ne trouvera pas vraiment de modèles au sens propre du terme. On trouvera des passages mal dessinés (voir le projet en fer à cheval), des projets verts au sens figuré (la tentative de constituer un arc de verdure est plutôt élégante), et des projets verts au sens propre (un concurrent n'ayant rien trouvé de mieux que de recouvrir les voies de circulation d'un tapis synthétique de couleur verte. On trouvera encore des marquages urbains, comme on en faisait pour les premiers ponts à hauban au XIXe siècle, celui de Bristol par exemple, sauf que dans le cas présent, il s'agit d'un souterrain. Puis du côté des projets fonctionnels et utilitaristes, on trouvera un essai de « théâtre souterrain », qui sera particulièrement troublé par le bruit assourdissant des passages de trains (la coupe trahissant la faiblesse de l'idée). Sur le plan sonore, on trouvera justement un projet (lauréat) misant sur la confection de murs acoustiques destinés à recevoir des interventions artistiques. Ailleurs, un autre mur en forme de grand miroir tente de faire disparaître la passerelle derrière un mur électronique, ou encore un projet de dispositif permettant de contourner les inondations de passages souterrains (ou comment créer un problème juste avant de le résoudre), et on trouvera surtout des idées de concurrents totalement inhibés par la commande contradictoire du concours au point de régurgiter le message. C'est par exemple le cas du projet de « Watershed refuge » qui conclut : « Les solutions prennent acte des réalités fiscales qui touchent aujourd'hui les gouvernements municipaux et les parties prenantes. Ces solutions sont soumises à un filtrage de ce qu'il est possible de réaliser et de reproduire dans les autres passages souterrains ».
Heureusement pour le monde des idées, mais cela n'a pas eu l'heur de plaire aux membres du jury, plusieurs concurrents ont misé sur la « lumière au bout du tunnel » et ont proposé différents dispositifs d'éclairage ou d'illumination fonction des passages, des passants et des situations. L'un joue sur les champs magnétiques, n'oubliant pas après tout qu'il s'agit d'un vaste corridor électrique, l'autre tentant une décomposition en forme d'arc-en-ciel : toujours utile dans ce type de souterrains, même aussi courts.
Si un concours peut aussi conduire à des exemples à ne pas suivre, le concours Green Line « Underpass Solution » s'offre lui-même en contre-exemple de ce à quoi un bon concours d'idées devrait servir. Car un concours d'idées ne recherche pas la « solution », mais de l'imagination, il cherche à valider la complexité de la question, ou même à identifier les équipes les plus innovantes. De l'idée avant tout !