Quelle vie après la mort ? Le concours pour la reconstruction de l'église Saint-Paul d'Aylmer
par Nicholas Roquet, publié le 2014-08-20
Organisé en 2009 par la fabrique d’une paroisse de la ville de Gatineau, le concours d’idées en une étape pour la reconstruction et la réutilisation de l’église incendiée Saint-Paul d’Aylmer (construite en 1894) n’a attiré que neuf propositions d’architectes au Canada et a été peu diffusé hors des médias de la région de l’Outaouais. Pourtant, ce concours récent est digne d’intérêt autant pour la qualité du jury (ses membres comptent trois experts de calibre national en matière de patrimoine) que pour celle des propositions primées. Surtout, les résultats offrent un regard peu commun sur l’attitude actuelle des architectes face au patrimoine ruiné : faut-il le laisser tel quel, le restaurer à son état d’origine ou profiter d’un événement catastrophique pour repenser le monument autrement ?
Heureusement relativement rare, ce type d’intervention constitue en effet un révélateur particulièrement puissant de l’évolution des approches à la conservation architecturale. Lorsque le campanile de Saint-Marc à Venise s’est subitement écroulé en 1902, l’architecte et restaurateur Luca Beltrami a prononcé cette phrase restée célèbre : Dov’era, com’era. À ses yeux, l’Italie n’avait alors d’autre choix que de reconstruire l’ouvrage là même où il se trouvait, en respectant à la lettre son apparence d’origine. De même, lorsque la cathédrale Notre-Dame de Québec a été détruite par le feu en 1922 (seuls les murs extérieurs sont restés debout), les architectes Raoul Chênevert et Maxime Roisin ont entrepris d’en reconstruire à l’identique le somptueux décor intérieur mis en place au XVIIIe siècle.
Pourtant, dès le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’étendue des destructions et surtout la montée en puissance du modernisme architectural ont conduit à d’autres solutions plus circonspectes. Ainsi, à Coventry, l’architecte britannique Basil Spence a choisi de laisser debout les murs ruinés de la cathédrale médiévale en guise de mémorial au martyre de la ville bombardée. Pour accommoder le culte, il a érigé à côté une nouvelle nef, à structure de béton armé et façades de grès (1962).
Ce mélange de respect et de distance à l’égard du monument ancien caractérise également plusieurs projets d’architecture moderne au Canada, dont les plus remarquables sont la reconstruction de la cathédrale Saint-Boniface à Winnipeg (1972) et celle de la chapelle du Sacré-Coeur de la basilique Notre-Dame à Montréal (1978).
Chacun à leur façon, ces projets affirment le fait de la destruction comme une rupture irrémédiable dans la vie du monument. À Saint-Boniface, Étienne Gaboury a érigé un modeste vaisseau sur les ruines du choeur et exposé le reste aux éléments, transformant ainsi les murs de la nef d’origine en une sorte d’immense et solennelle antichambre à ciel ouvert. À Montréal, les architectes Jodoin Lamarre Pratte ont recréé les boiseries sculptées de la chapelle du Sacré-Coeur, mais sans leur polychromie d’origine ; au-dessus, ils ont fait flotter une austère voûte en bois qui protège, sans y toucher, ce décor reconstruit. Laissée à nu et baignée de lumière zénithale, cette chapelle tient davantage de la trace que d’une présence encore vivante.
Contrairement aux exemples précédents, l’église Saint-Paul d’Aylmer n’est pas un monument religieux ou architectural majeur. Pourtant, les prémices du concours et les propositions pour sa reconstruction révèlent clairement l’émergence d’une approche nouvelle au patrimoine religieux. En effet, dans le Québec du XXIe siècle, la reconstruction d’une église est devenue avant tout un problème d’échelle et d’usage. Comment adapter un vaste intérieur à la pratique religieuse plus modeste d’aujourd’hui ? Si l’on se résout à faire cohabiter culte et usages profanes, comment assurer la cohérence entre le signe et la réalité du lieu ? Enfin, comment conserver la centralité d’une église dans sa communauté, alors qu’en perdant son caractère sacré elle devient un édifice comme les autres ? Dans la mesure où le programme demandait aux concurrents non seulement comment reconstruire, mais aussi quelles pouvaient être les vocations futures du lieu, les trois projets primés par le jury ont tous dû confronter ces questions.
Traitant les murs de l’église comme une enveloppe neutre et disponible, les architectes Brault/Lapointe Magne (projet lauréat) ont proposé d’intervenir de façon minimale sur l’extérieur, mais d’en réinvestir l’intérieur au moyen de nouveaux volumes fortement caractérisés. Dans la nef, une coque de bois suspendue du toit et détachée du sol définit un lieu de culte plus intime. Grâce à sa configuration variable, celui-ci peut aussi se transformer en salle de spectacles. L’ancien sanctuaire accueille quant à lui un cylindre haut de quatre étages, ouvert sur le ciel, où sont logés les espaces communautaires et locatifs.
Les architectes Labonté Marcil (2e prix) ont misé sur une stratégie opposée : ici, c’est avant tout le travail sur le paysage environnant qui détermine le sens et les usages collectifs du lieu. Affectée en partie au culte, en partie à une bibliothèque publique, l’église s’ouvre à l’est sur un vaste parvis à caractère festif, comprenant une scène, un auditorium gazonné et un marché public. Ce nouvel îlot institutionnel est clos par un ensemble d’habitations collectives alignées sur rue. Le questionnement le plus radical vient toutefois des architectes Jodoin Lamarre Pratte (3e prix). Alors que les projets précédents restituent l’effet de masse de l’église d’origine, on propose ici d’exploiter la qualité fragmentaire des ruines en les enveloppant d’une résille d’acier. L’accès principal aux espaces publics se fait désormais par une rampe creusée menant au sous-sol ; en hauteur, ce parcours se poursuit par des plateformes et passerelles projetées dans le vide de la nef. Surtout, les usages deviennent nomades : le culte n’est qu’un événement potentiel parmi d’autres dans un espace public transparent à la vue.
Aucun de ces projets n’est pleinement abouti, et tous hésitent à transgresser le type familier hérité de la deuxième moitié du XIXe siècle : volumétrie avec clocher et toit à deux versants ; disposition axiale du parcours ; subdivision en nef, transept et choeur. Par ailleurs, l’instabilité des murs incendiés et l’ampleur des investissements requis ont mené, depuis la tenue du concours, à la démolition complète de l’église. Mais même non réalisés, ces projets posent des hypothèses susceptibles de développement quant à l’avenir de nombreuses autres églises du Québec appelées à être délaissées en tout ou en partie par le culte.
Heureusement relativement rare, ce type d’intervention constitue en effet un révélateur particulièrement puissant de l’évolution des approches à la conservation architecturale. Lorsque le campanile de Saint-Marc à Venise s’est subitement écroulé en 1902, l’architecte et restaurateur Luca Beltrami a prononcé cette phrase restée célèbre : Dov’era, com’era. À ses yeux, l’Italie n’avait alors d’autre choix que de reconstruire l’ouvrage là même où il se trouvait, en respectant à la lettre son apparence d’origine. De même, lorsque la cathédrale Notre-Dame de Québec a été détruite par le feu en 1922 (seuls les murs extérieurs sont restés debout), les architectes Raoul Chênevert et Maxime Roisin ont entrepris d’en reconstruire à l’identique le somptueux décor intérieur mis en place au XVIIIe siècle.
Pourtant, dès le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’étendue des destructions et surtout la montée en puissance du modernisme architectural ont conduit à d’autres solutions plus circonspectes. Ainsi, à Coventry, l’architecte britannique Basil Spence a choisi de laisser debout les murs ruinés de la cathédrale médiévale en guise de mémorial au martyre de la ville bombardée. Pour accommoder le culte, il a érigé à côté une nouvelle nef, à structure de béton armé et façades de grès (1962).
Ce mélange de respect et de distance à l’égard du monument ancien caractérise également plusieurs projets d’architecture moderne au Canada, dont les plus remarquables sont la reconstruction de la cathédrale Saint-Boniface à Winnipeg (1972) et celle de la chapelle du Sacré-Coeur de la basilique Notre-Dame à Montréal (1978).
Chacun à leur façon, ces projets affirment le fait de la destruction comme une rupture irrémédiable dans la vie du monument. À Saint-Boniface, Étienne Gaboury a érigé un modeste vaisseau sur les ruines du choeur et exposé le reste aux éléments, transformant ainsi les murs de la nef d’origine en une sorte d’immense et solennelle antichambre à ciel ouvert. À Montréal, les architectes Jodoin Lamarre Pratte ont recréé les boiseries sculptées de la chapelle du Sacré-Coeur, mais sans leur polychromie d’origine ; au-dessus, ils ont fait flotter une austère voûte en bois qui protège, sans y toucher, ce décor reconstruit. Laissée à nu et baignée de lumière zénithale, cette chapelle tient davantage de la trace que d’une présence encore vivante.
Contrairement aux exemples précédents, l’église Saint-Paul d’Aylmer n’est pas un monument religieux ou architectural majeur. Pourtant, les prémices du concours et les propositions pour sa reconstruction révèlent clairement l’émergence d’une approche nouvelle au patrimoine religieux. En effet, dans le Québec du XXIe siècle, la reconstruction d’une église est devenue avant tout un problème d’échelle et d’usage. Comment adapter un vaste intérieur à la pratique religieuse plus modeste d’aujourd’hui ? Si l’on se résout à faire cohabiter culte et usages profanes, comment assurer la cohérence entre le signe et la réalité du lieu ? Enfin, comment conserver la centralité d’une église dans sa communauté, alors qu’en perdant son caractère sacré elle devient un édifice comme les autres ? Dans la mesure où le programme demandait aux concurrents non seulement comment reconstruire, mais aussi quelles pouvaient être les vocations futures du lieu, les trois projets primés par le jury ont tous dû confronter ces questions.
Traitant les murs de l’église comme une enveloppe neutre et disponible, les architectes Brault/Lapointe Magne (projet lauréat) ont proposé d’intervenir de façon minimale sur l’extérieur, mais d’en réinvestir l’intérieur au moyen de nouveaux volumes fortement caractérisés. Dans la nef, une coque de bois suspendue du toit et détachée du sol définit un lieu de culte plus intime. Grâce à sa configuration variable, celui-ci peut aussi se transformer en salle de spectacles. L’ancien sanctuaire accueille quant à lui un cylindre haut de quatre étages, ouvert sur le ciel, où sont logés les espaces communautaires et locatifs.
Les architectes Labonté Marcil (2e prix) ont misé sur une stratégie opposée : ici, c’est avant tout le travail sur le paysage environnant qui détermine le sens et les usages collectifs du lieu. Affectée en partie au culte, en partie à une bibliothèque publique, l’église s’ouvre à l’est sur un vaste parvis à caractère festif, comprenant une scène, un auditorium gazonné et un marché public. Ce nouvel îlot institutionnel est clos par un ensemble d’habitations collectives alignées sur rue. Le questionnement le plus radical vient toutefois des architectes Jodoin Lamarre Pratte (3e prix). Alors que les projets précédents restituent l’effet de masse de l’église d’origine, on propose ici d’exploiter la qualité fragmentaire des ruines en les enveloppant d’une résille d’acier. L’accès principal aux espaces publics se fait désormais par une rampe creusée menant au sous-sol ; en hauteur, ce parcours se poursuit par des plateformes et passerelles projetées dans le vide de la nef. Surtout, les usages deviennent nomades : le culte n’est qu’un événement potentiel parmi d’autres dans un espace public transparent à la vue.
Aucun de ces projets n’est pleinement abouti, et tous hésitent à transgresser le type familier hérité de la deuxième moitié du XIXe siècle : volumétrie avec clocher et toit à deux versants ; disposition axiale du parcours ; subdivision en nef, transept et choeur. Par ailleurs, l’instabilité des murs incendiés et l’ampleur des investissements requis ont mené, depuis la tenue du concours, à la démolition complète de l’église. Mais même non réalisés, ces projets posent des hypothèses susceptibles de développement quant à l’avenir de nombreuses autres églises du Québec appelées à être délaissées en tout ou en partie par le culte.