Mains ouvertes au futur Centre SANAAQ
par Joëlle Tétreault, Jean-Pierre Chupin, publié le 2021-12-09
Les centres communautaires sont des lieux d’échange et de rencontre pour une communauté permettant la pratique de loisirs récréatifs, culturels ou sociaux. S’y construit notamment le sentiment d’appartenance de diverses communautés. Mais la conception d’espaces capables de promouvoir la diversité et l’inclusion reste un processus complexe. Pour donner suite aux critiques formulées par Makivik, représentante des Inuits du Nunavik, le centre de Peter McGill a été renommé Centre SANAAQ : vocable inspiré d’un ouvrage inuit de l’auteure Mitiarjuk Nappaaluk datant de 1950, il désigne quelque chose de fait à la main. Ce concept de main ouverte ou de main agissante rapproche les objectifs du concours des futures appropriations du centre communautaire. La mairesse de la ville de Montréal sera toutefois accusée d’appropriation culturelle en une controverse révélant que la valorisation des cultures autochtones, pourtant annoncée dans le programme du concours, ne s’est pas réalisée comme prévu.
Depuis 2013 la zone ouest de l’arrondissement Ville-Marie est considérée comme prioritaire pour la construction d’une nouvelle bibliothèque communautaire. L’absence de lieu de rassemblement, le manque de locaux pour les organismes communautaires ainsi qu’une insuffisance d’activités culturelles et de loisirs sur le territoire sont identifiés comme des carences en matière de services dans le district de Peter-McGill, imposant la tenue d’un concours.
Au printemps 2020, la ville de Montréal a lancé un appel de candidature pour un concours pluridisciplinaire visant l’aménagement du centre communautaire Sanaaq (anc. Peter-McGill) à l’emplacement de l’ancien Hôpital de Montréal pour enfants. Les concepteurs devaient composer avec des plans leur offrant 5310m2 de superficie brute et une contrainte budgétaire de 13 853 942$ avant taxes afin d’y aménager une bibliothèque, une zone de spectacle, des zones de travails et plusieurs autres espaces communautaires. District fort d’une démographie croissante en nombre et en diversité, l’arrondissement Ville-Marie compte sur une requalification complète du site, juxtaposant centre communautaire, logements sociaux, espaces verts, espaces commerciaux et bureaux. Le règlement imposait que chaque équipe se compose d’au moins 8 professionnels œuvrant dans des disciplines spécifiques de l’architecture au génie mécanique. Quatre équipes furent retenues par un jury constitué de : Jean Bouvrette, Alain Carle, Amélie Harbec, Paul Laurendeau, Sophie Mayes, Daniel Smith et Gina Tremblay.
L’énoncé de vision du projet d’aménagement invitait les équipes à définir le centre de Peter-McGill comme une oasis plaçant l’humain au cœur de ses actions. Cet énoncé regroupe les cinq visions du concours afin de transformer le district en un « épicentre névralgique et véritable laboratoire d’innovation publique » (Extrait du programme). Le centre devait s’ouvrir sur la communauté, opter pour une signature technologique et numérique au service du lien social, mais également concevoir une signature musicale comme un langage universel. Mais il s’agissait également et peut être surtout de mettre en valeur les cultures autochtones en travaillant en amont avec les représentants de la communauté.
Le projet proposé par l’équipe de Chevalier Morales architectes n’a pas convaincu le jury en dépit d’une approche ambitieuse visant à éliminer les frontières entre les entités programmatiques. Pour donner suite à l’analyse des lieux et de la commande programmatique, les concepteurs orientent leur proposition autour de trois thèmes guidant la conception, soit l’indétermination, l’hybridation et l’hétérotopie. Ces axes de conception résultent en une proposition qui se veut flexibles dans son aménagement et son appropriation. Le jury a reconnu que le parti fortement conceptuel était pleinement assumé, mais il a toutefois considéré que leur aspect « brut » rendait les aménagements aussi froids que peu invitants et que la proposition ne rencontrait pas les objectifs du concours. Si ce rejet fut unanime, la discussion relative aux trois autres projets fut plus clivante.
La proposition d’Atelier Big City + Rayside Labossière se démarquait par son identité communautaire forte et assumée par un jeu de couleurs et par sa présence vivante cohérente avec l’intention conceptuelle. Le consortium humanise l’architecture en détaillant l’appropriation quotidienne des divers espaces créés dans le projet. L’équipe fait textuellement preuve de sensibilité à l’égard du contexte d’intervention, mais il est difficile d’en comprendre la corrélation avec les aménagements proposés en raison du style graphique choisi. Si la qualité des espaces décrit l’importance de la lumière naturelle, celle-ci reste difficile à lire dans les dessins soumis. Le jury a considéré que plusieurs objectifs du concours n’étaient que partiellement atteints et que l’optimisme du projet présentait un risque.
En contrepartie, la proposition de EVOQ fait preuve de pragmatisme et de rigueur. Le projet propose une « expérience signature » s’appliquant à l’ensemble du parcours dans le projet que ce soit du passage entre l’intérieur et l’extérieur, jusqu’à la déambulation entre les espaces ouverts. De manière générale, les membres du jury ont convenu que l’approche conceptuelle était cohérente, adéquate et flexible dans son agencement des espaces communautaires. Quelques lacunes fonctionnelles relatives à la planification de la salle de spectacle n’ont pas remis en question l’appréciation générale du projet.
C’est la proposition du consortium constitué des équipes Architecture 49 et Pelletier De Fontenay qui a su convaincre le jury par la cohérence formelle des espaces et par l’utilisation de matériaux locaux rendant l’ensemble « très enveloppant et chaleureux » (Tiré du rapport du jury). Le consortium a choisi de mettre l’accent sur la diversité et la mixité du quartier en offrant divers espaces et autant d’expériences capables de faire écho au caractère hétérogène de la communauté et dans leurs propres termes : « L'hétérogénéité proposée vise à créer le sentiment d'un espace démocratique, décentralisé, où plusieurs expressions peuvent cohabiter » (Texte Architecture 49 + Pelletier De Fontenay). L’accent est mis sur le caractère public du projet, s’accrochant à la mission globale de la création d’un pôle communautaire qui permettra à plus de 42 000 résidents d’avoir accès à de l’équipement municipal d’ici 2025.
Soulignons que la ville de Montréal a rencontré plusieurs difficultés aux diverses étapes de la réalisation du projet. Des négociations avec la firme de construction a permis de revoir les délais en imposant un report de l’ouverture du centre, initialement prévu en 2022, elle aura lieu désormais en 2023. Les membres de la communauté Inuit, après discussion avec la mairesse Valérie Plante, ont finalement accepté que le nom donné au Centre Sanaaq, critiquant toutefois le processus décisionnel et participatif de la communauté : « Makivik et l’institut culturel inuit Avataq avaient fait parvenir à la mairesse Plante une lettre accusant son administration d’appropriation culturelle. En cause : le projet de baptiser un projet municipal « Centre Sanaaq » sans consultation adéquates. » (Teisceira-Lessard, 2021) Il reste que le nom honore et renforce un sentiment de fierté pour les membres de la famille de l’autrice : « The family and friends of the late Inuk author Mitiarjuk Nappaaluk say they are proud and honored to see a new arts center named after the region’s most famous novel, Sanaaq. » (D. Willette, 2021) Trois des quatre équipes finalistes, y compris l’équipe lauréate, ont clairement omis de prendre en compte l’objectif de valorisation des cultures autochtones dans le texte accompagnant leur proposition finale. Seule l’équipe Atelier Big City + Rayside Labossière a pris acte de l’implantation du projet en territoire non-cédé du district de Peter-McGill mais ce ne fut pas suffisant pour convaincre un jury exigeant.
La Presse, & Teisceira-Lessard, P. (2021, 21 janvier). Valérie Plante accusée d’appropriation culturelle par les Inuits. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2021-01-21/valerie-plante-accusee-d-appropriation-culturelle-par-les-inuits.php
Willette, D. (2021b, novembre 17). NEW MONTREAL COMMUNITY CENTER NAMED AFTER THE NUNAVIK NOVEL, SANAAQ. Superstar Cipo. https://www.superstarcipo.info/new-montreal-community-center-named-after-the-nunavik-novel-sanaaq/
Depuis 2013 la zone ouest de l’arrondissement Ville-Marie est considérée comme prioritaire pour la construction d’une nouvelle bibliothèque communautaire. L’absence de lieu de rassemblement, le manque de locaux pour les organismes communautaires ainsi qu’une insuffisance d’activités culturelles et de loisirs sur le territoire sont identifiés comme des carences en matière de services dans le district de Peter-McGill, imposant la tenue d’un concours.
Au printemps 2020, la ville de Montréal a lancé un appel de candidature pour un concours pluridisciplinaire visant l’aménagement du centre communautaire Sanaaq (anc. Peter-McGill) à l’emplacement de l’ancien Hôpital de Montréal pour enfants. Les concepteurs devaient composer avec des plans leur offrant 5310m2 de superficie brute et une contrainte budgétaire de 13 853 942$ avant taxes afin d’y aménager une bibliothèque, une zone de spectacle, des zones de travails et plusieurs autres espaces communautaires. District fort d’une démographie croissante en nombre et en diversité, l’arrondissement Ville-Marie compte sur une requalification complète du site, juxtaposant centre communautaire, logements sociaux, espaces verts, espaces commerciaux et bureaux. Le règlement imposait que chaque équipe se compose d’au moins 8 professionnels œuvrant dans des disciplines spécifiques de l’architecture au génie mécanique. Quatre équipes furent retenues par un jury constitué de : Jean Bouvrette, Alain Carle, Amélie Harbec, Paul Laurendeau, Sophie Mayes, Daniel Smith et Gina Tremblay.
L’énoncé de vision du projet d’aménagement invitait les équipes à définir le centre de Peter-McGill comme une oasis plaçant l’humain au cœur de ses actions. Cet énoncé regroupe les cinq visions du concours afin de transformer le district en un « épicentre névralgique et véritable laboratoire d’innovation publique » (Extrait du programme). Le centre devait s’ouvrir sur la communauté, opter pour une signature technologique et numérique au service du lien social, mais également concevoir une signature musicale comme un langage universel. Mais il s’agissait également et peut être surtout de mettre en valeur les cultures autochtones en travaillant en amont avec les représentants de la communauté.
Le projet proposé par l’équipe de Chevalier Morales architectes n’a pas convaincu le jury en dépit d’une approche ambitieuse visant à éliminer les frontières entre les entités programmatiques. Pour donner suite à l’analyse des lieux et de la commande programmatique, les concepteurs orientent leur proposition autour de trois thèmes guidant la conception, soit l’indétermination, l’hybridation et l’hétérotopie. Ces axes de conception résultent en une proposition qui se veut flexibles dans son aménagement et son appropriation. Le jury a reconnu que le parti fortement conceptuel était pleinement assumé, mais il a toutefois considéré que leur aspect « brut » rendait les aménagements aussi froids que peu invitants et que la proposition ne rencontrait pas les objectifs du concours. Si ce rejet fut unanime, la discussion relative aux trois autres projets fut plus clivante.
La proposition d’Atelier Big City + Rayside Labossière se démarquait par son identité communautaire forte et assumée par un jeu de couleurs et par sa présence vivante cohérente avec l’intention conceptuelle. Le consortium humanise l’architecture en détaillant l’appropriation quotidienne des divers espaces créés dans le projet. L’équipe fait textuellement preuve de sensibilité à l’égard du contexte d’intervention, mais il est difficile d’en comprendre la corrélation avec les aménagements proposés en raison du style graphique choisi. Si la qualité des espaces décrit l’importance de la lumière naturelle, celle-ci reste difficile à lire dans les dessins soumis. Le jury a considéré que plusieurs objectifs du concours n’étaient que partiellement atteints et que l’optimisme du projet présentait un risque.
En contrepartie, la proposition de EVOQ fait preuve de pragmatisme et de rigueur. Le projet propose une « expérience signature » s’appliquant à l’ensemble du parcours dans le projet que ce soit du passage entre l’intérieur et l’extérieur, jusqu’à la déambulation entre les espaces ouverts. De manière générale, les membres du jury ont convenu que l’approche conceptuelle était cohérente, adéquate et flexible dans son agencement des espaces communautaires. Quelques lacunes fonctionnelles relatives à la planification de la salle de spectacle n’ont pas remis en question l’appréciation générale du projet.
C’est la proposition du consortium constitué des équipes Architecture 49 et Pelletier De Fontenay qui a su convaincre le jury par la cohérence formelle des espaces et par l’utilisation de matériaux locaux rendant l’ensemble « très enveloppant et chaleureux » (Tiré du rapport du jury). Le consortium a choisi de mettre l’accent sur la diversité et la mixité du quartier en offrant divers espaces et autant d’expériences capables de faire écho au caractère hétérogène de la communauté et dans leurs propres termes : « L'hétérogénéité proposée vise à créer le sentiment d'un espace démocratique, décentralisé, où plusieurs expressions peuvent cohabiter » (Texte Architecture 49 + Pelletier De Fontenay). L’accent est mis sur le caractère public du projet, s’accrochant à la mission globale de la création d’un pôle communautaire qui permettra à plus de 42 000 résidents d’avoir accès à de l’équipement municipal d’ici 2025.
Soulignons que la ville de Montréal a rencontré plusieurs difficultés aux diverses étapes de la réalisation du projet. Des négociations avec la firme de construction a permis de revoir les délais en imposant un report de l’ouverture du centre, initialement prévu en 2022, elle aura lieu désormais en 2023. Les membres de la communauté Inuit, après discussion avec la mairesse Valérie Plante, ont finalement accepté que le nom donné au Centre Sanaaq, critiquant toutefois le processus décisionnel et participatif de la communauté : « Makivik et l’institut culturel inuit Avataq avaient fait parvenir à la mairesse Plante une lettre accusant son administration d’appropriation culturelle. En cause : le projet de baptiser un projet municipal « Centre Sanaaq » sans consultation adéquates. » (Teisceira-Lessard, 2021) Il reste que le nom honore et renforce un sentiment de fierté pour les membres de la famille de l’autrice : « The family and friends of the late Inuk author Mitiarjuk Nappaaluk say they are proud and honored to see a new arts center named after the region’s most famous novel, Sanaaq. » (D. Willette, 2021) Trois des quatre équipes finalistes, y compris l’équipe lauréate, ont clairement omis de prendre en compte l’objectif de valorisation des cultures autochtones dans le texte accompagnant leur proposition finale. Seule l’équipe Atelier Big City + Rayside Labossière a pris acte de l’implantation du projet en territoire non-cédé du district de Peter-McGill mais ce ne fut pas suffisant pour convaincre un jury exigeant.
La Presse, & Teisceira-Lessard, P. (2021, 21 janvier). Valérie Plante accusée d’appropriation culturelle par les Inuits. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2021-01-21/valerie-plante-accusee-d-appropriation-culturelle-par-les-inuits.php
Willette, D. (2021b, novembre 17). NEW MONTREAL COMMUNITY CENTER NAMED AFTER THE NUNAVIK NOVEL, SANAAQ. Superstar Cipo. https://www.superstarcipo.info/new-montreal-community-center-named-after-the-nunavik-novel-sanaaq/