Vers une culture canadienne des concours d’architecture
par Jean-Pierre Chupin, publié le 2022-05-19
Le Catalogue des concours canadiens est fier de présenter en primeur l’intégralité des projets soumis par les 11 équipes nationales et internationales sélectionnées pour participer concours en deux phases dit du « Bloc 2 » à Ottawa en 2021 et 2022. L’expression administrative « Bloc 2 » ne dit rien pourtant de l’importance à la fois démocratique, culturelle, historique, patrimoniale et urbaine de ce segment de la rue Wellington situé en face du Parlement canadien. Pour reprendre les mots justes et sages de John Rauston Saul, qui fut le compas moral de ce grand concours, il s’agissait ni plus ni moins que de compléter la place du Parlement commencée, il y a un siècle et demi, dans un grand concours d’architecture inaugural.
Proposer de renommer ce site en « Place du Parlement » serait une initiative d’autant plus forte et appropriée sur le plan de la démocratie « à la canadienne » que celle « d’enceinte parlementaire », « precinct » en anglais, ne fait qu’affirmer les limites franches, sécuritaires et - osons le terme - « policières » de cet espace public où s’exprime la complexité de la Fédération canadienne. Puisque j’eus l’honneur d’être associé dès à ce processus dès 2016 au fil des rencontres et des présentations devant l’équipe de Services publics et approvisionnement Canada en charge de la colline Parlementaire, je suis en mesure de témoigner qu’il aura été question de repousser des limites et de préserver l’ouverture démocratique du début à la fin de cette aventure.
En juillet 2016, dans un numéro spécial de la revue Architecture Québec, j’avais écrit un article informé – et somme toute inquiet - sur les concours québécois des années 2010. Cette réflexion avait suscité l’intérêt de Thierry Montpetit, architecte en charge de l’épineux dossier du Bloc 2. Ce texte d’humeur s’intitulait pourtant : « Rien ne sert de concourir si le concours n’est pas au point ». J’y pestais contre une façon de faire qui s’était insinuée au Québec et qui limitait de plus en plus souvent l’exercice à 3 concurrents, à des jurys un peu trop expéditifs et à des rapports de jurys vidés de leur rôle didactique et informatifs. Le Québec avait été de longue date un précurseur en matière de concours publics et il y avait de quoi s'alarmer d’une banalisation ou pire d’une extrême simplification de la formule. Thierry Montpetit se disait alors ambivalent sur la pertinence d’un concours, mais il souhaitait initier un débat au sein du service chargé de restructurer la colline parlementaire. Armé d’une définition claire, voulant qu’à situation complexe il fallait une procédure démocratique complexe et éprouvée telle que le concours, il ne me fut pas difficile de lister les éléments de la situation. Nous étions au début 2017 et les problématiques patrimoniales et urbaines le disputaient aux tensions entre les enjeux locaux et nationaux. On s’inquiétait surtout de l’intégration urbaine, mais on ne voulait pas esquiver l’ampleur du symbole national. On voulait assurer la fonctionnalité des bureaux parlementaires – puisqu’il s’agit bien d’une grande machine ou si l’on préfère d’un organisme parlementaire – mais on voulait tout autant rassurer les citoyens sur le bon usage des fonds publics. Tous les éléments d’un grand concours semblaient déjà réunis.
Pour mieux informer les experts du gouvernement aux subtilités de la mise en concours, j’avais constitué une série de présentations de diapositives historiques, théoriques, comparatives, etc., et les fonctionnaires et invités s’amusaient de ces présentations académiques aussi longues qu’éloignées des « executive summaries » en forme « bullets points » qui prétendent tout résumer tout en 5 points. Je parlais autant du Dôme de Florence que de la belle série de concours de bibliothèque au Québec, dont l’auditoire, pourtant peu enclin à l’émotion, se disait fort admiratif. Ma mission consistait à déconstruire les prétendues vertus des appels d’offres pour dévoiler celles des concours. Mais l’ombre du concours tristement raté de « Bank Street », au début des années 2000, sur un site jouxtant la colline parlementaire, avec des enjeux analogues bien que moindres, revenait régulièrement sur la table comme un contre-exemple obscurcissant toutes les discussions des représentants de la commande publique canadienne. Il fallut d’ailleurs déconstruire cet apparent échec pour découvrir qu’il cachait des décisions politiques douteuses plus que des problèmes de fonctionnement du jury.
Les enjeux du site du « Bloc 2 » m’apparaissaient déjà suffisamment complexes pour se comparer aux concours historiques et légendaires, mais il manquait un dernier argument. Rétrospectivement, il n’est pas certain que mon équipe et moi serions parvenus à convaincre de la nécessité du concours tant les résistances s’affichaient autour de la machine à café de ces réunions d’information. L’argument allait venir de plus haut puisque le 21 juin 2017, le Premier Ministre Trudeau annonça que l’ancienne ambassade des États-Unis – située en plein cœur du Block 2 - deviendrait un espace placé sous la gouverne des Peuples autochtones. Le retournement paradoxal de ce symbole de l’impérialisme américain, coup politique à n’en pas douter, faisait de cette maison des peuples autochtones, ou « Indigenous Peoples Space », une injonction dont le surcroît de complexité ne laissait désormais plus aucune place aux pratiques habituelles des marchés publics. Après cette décision hautement politique et démocratique, la formule du concours s’imposa avec force. D’un hypothétique concours moderne aux enjeux classiques, nous venions de passer en quelques heures à un véritable concours hypermoderne placé sous l’égide de l’équité, de la diversité, de l’inclusion et de la réconciliation. Le concours dit du « Bloc 2 » venait de naître. Cinq années plus tard, on peut en apprécier les résultats et surtout comprendre ce qui a fait transpirer certaines des meilleures équipes d’architectes au monde face à l’ampleur de cette situation complexe. Au lecteur d’en juger en comparant les propositions.
L’espace de cet éditorial est trop restreint pour expliquer et raconter ces cinq années d’élaboration du concours, ni tous les enseignements qui accompagnèrent sa mise en place, incluant l’introduction de l’équipe allemande de (phase eins) – sans aucun doute la meilleure agence d’organisation de concours au monde - ainsi que le rôle dévolu à l’Institut Royal d’Architecture du Canada dans la régulation de la procédure avec le regard attentif mais bienveillant de Peter Ortved et de Jonathan Bisson. Il faudra un jour expliquer dans le détail tout ce que l’équipe, pilotée par le Sous-ministre adjoint Rob Wright avec l’assistance de Thierry Montpetit, a produit en termes de rapports d’expertise, d’analyse préliminaires, de rencontres préparatoires, etc. Tout, absolument tout ce qui constitue un excellent concours a été mobilisé au service de la qualité. Par souci de confidentialité, on ne pourra malheureusement pas relater ces heures et ces journées de délibérations d’un immense jury coordonné dans le plus grand respect de la diversité des points de vue par les architectes Bruce Haden et Anne McIIlroy. On m’autorisera cependant, en qualité de chercheur familier des concours nationaux et internationaux, de simplement signifier mon admiration pour l’organisation impeccable de ce grand concours historique.
Pourtant, on me permettra du même élan de regretter que l’Ordre des Architectes du Québec ait décidé de supprimer le comité des concours et la procédure d’accréditation des concours en décembre 2021, au moment où l’expertise québécoise suscitait l’admiration des édiles d’Ottawa. La procédure de validation des concours québécois, qui fut mise en place au milieu des années 1990 – je me souviens, j’en étais – a longtemps permis de protéger à la fois les clients, les concurrents et les conseillers professionnels. Penser que tout va bien désormais en matière d’organisation des concours, renoncer à vérifier leur organisation, tout en minimisant le rôle des concours dans l’amplitude de la commande publique, c’est d’abord sous-estimer dangereusement la fragilité d’une procédure complexe. Le concours n’est jamais coulé dans le béton de la méthodologie infaillible. Chaque concours est unique, car chaque situation est unique. Nous verrons ce qu’il adviendra désormais d’une culture des concours au Québec constituée sur 3 décennies, mais il reste qu’une part non négligeable de l’expertise québécoise aura contribué activement à la réussite du concours du « Bloc2 ».
J’ose espérer enfin que l’expertise développée pour ce concours servira d’encouragement et que nous assisterons dans les prochaines années à l’émergence d’une nouvelle culture des concours au Canada. Les concours ne sont évidemment pas les seules feuilles de route de la qualité et ils bénéficieront aussi de toutes ces initiatives et politiques actuellement en germe qui visent à assurer la plus haute qualité pour les édifices et environnements publics au Canada. Ces 11 projets pour la « Place du Parlement », qu’une petite équipe de 4 étudiants de l’Université de Montréal vient de juxtaposer sur les pages du Catalogue des concours canadiens, s’offrent d’ici là comme une grande leçon d’architecture contemporaine. Il vous appartient d’en juger à présent!
Jean-Pierre Chupin, Chaire de recherche du Canada en architecture, concours et médiations de l’excellence.
Proposer de renommer ce site en « Place du Parlement » serait une initiative d’autant plus forte et appropriée sur le plan de la démocratie « à la canadienne » que celle « d’enceinte parlementaire », « precinct » en anglais, ne fait qu’affirmer les limites franches, sécuritaires et - osons le terme - « policières » de cet espace public où s’exprime la complexité de la Fédération canadienne. Puisque j’eus l’honneur d’être associé dès à ce processus dès 2016 au fil des rencontres et des présentations devant l’équipe de Services publics et approvisionnement Canada en charge de la colline Parlementaire, je suis en mesure de témoigner qu’il aura été question de repousser des limites et de préserver l’ouverture démocratique du début à la fin de cette aventure.
En juillet 2016, dans un numéro spécial de la revue Architecture Québec, j’avais écrit un article informé – et somme toute inquiet - sur les concours québécois des années 2010. Cette réflexion avait suscité l’intérêt de Thierry Montpetit, architecte en charge de l’épineux dossier du Bloc 2. Ce texte d’humeur s’intitulait pourtant : « Rien ne sert de concourir si le concours n’est pas au point ». J’y pestais contre une façon de faire qui s’était insinuée au Québec et qui limitait de plus en plus souvent l’exercice à 3 concurrents, à des jurys un peu trop expéditifs et à des rapports de jurys vidés de leur rôle didactique et informatifs. Le Québec avait été de longue date un précurseur en matière de concours publics et il y avait de quoi s'alarmer d’une banalisation ou pire d’une extrême simplification de la formule. Thierry Montpetit se disait alors ambivalent sur la pertinence d’un concours, mais il souhaitait initier un débat au sein du service chargé de restructurer la colline parlementaire. Armé d’une définition claire, voulant qu’à situation complexe il fallait une procédure démocratique complexe et éprouvée telle que le concours, il ne me fut pas difficile de lister les éléments de la situation. Nous étions au début 2017 et les problématiques patrimoniales et urbaines le disputaient aux tensions entre les enjeux locaux et nationaux. On s’inquiétait surtout de l’intégration urbaine, mais on ne voulait pas esquiver l’ampleur du symbole national. On voulait assurer la fonctionnalité des bureaux parlementaires – puisqu’il s’agit bien d’une grande machine ou si l’on préfère d’un organisme parlementaire – mais on voulait tout autant rassurer les citoyens sur le bon usage des fonds publics. Tous les éléments d’un grand concours semblaient déjà réunis.
Pour mieux informer les experts du gouvernement aux subtilités de la mise en concours, j’avais constitué une série de présentations de diapositives historiques, théoriques, comparatives, etc., et les fonctionnaires et invités s’amusaient de ces présentations académiques aussi longues qu’éloignées des « executive summaries » en forme « bullets points » qui prétendent tout résumer tout en 5 points. Je parlais autant du Dôme de Florence que de la belle série de concours de bibliothèque au Québec, dont l’auditoire, pourtant peu enclin à l’émotion, se disait fort admiratif. Ma mission consistait à déconstruire les prétendues vertus des appels d’offres pour dévoiler celles des concours. Mais l’ombre du concours tristement raté de « Bank Street », au début des années 2000, sur un site jouxtant la colline parlementaire, avec des enjeux analogues bien que moindres, revenait régulièrement sur la table comme un contre-exemple obscurcissant toutes les discussions des représentants de la commande publique canadienne. Il fallut d’ailleurs déconstruire cet apparent échec pour découvrir qu’il cachait des décisions politiques douteuses plus que des problèmes de fonctionnement du jury.
Les enjeux du site du « Bloc 2 » m’apparaissaient déjà suffisamment complexes pour se comparer aux concours historiques et légendaires, mais il manquait un dernier argument. Rétrospectivement, il n’est pas certain que mon équipe et moi serions parvenus à convaincre de la nécessité du concours tant les résistances s’affichaient autour de la machine à café de ces réunions d’information. L’argument allait venir de plus haut puisque le 21 juin 2017, le Premier Ministre Trudeau annonça que l’ancienne ambassade des États-Unis – située en plein cœur du Block 2 - deviendrait un espace placé sous la gouverne des Peuples autochtones. Le retournement paradoxal de ce symbole de l’impérialisme américain, coup politique à n’en pas douter, faisait de cette maison des peuples autochtones, ou « Indigenous Peoples Space », une injonction dont le surcroît de complexité ne laissait désormais plus aucune place aux pratiques habituelles des marchés publics. Après cette décision hautement politique et démocratique, la formule du concours s’imposa avec force. D’un hypothétique concours moderne aux enjeux classiques, nous venions de passer en quelques heures à un véritable concours hypermoderne placé sous l’égide de l’équité, de la diversité, de l’inclusion et de la réconciliation. Le concours dit du « Bloc 2 » venait de naître. Cinq années plus tard, on peut en apprécier les résultats et surtout comprendre ce qui a fait transpirer certaines des meilleures équipes d’architectes au monde face à l’ampleur de cette situation complexe. Au lecteur d’en juger en comparant les propositions.
L’espace de cet éditorial est trop restreint pour expliquer et raconter ces cinq années d’élaboration du concours, ni tous les enseignements qui accompagnèrent sa mise en place, incluant l’introduction de l’équipe allemande de (phase eins) – sans aucun doute la meilleure agence d’organisation de concours au monde - ainsi que le rôle dévolu à l’Institut Royal d’Architecture du Canada dans la régulation de la procédure avec le regard attentif mais bienveillant de Peter Ortved et de Jonathan Bisson. Il faudra un jour expliquer dans le détail tout ce que l’équipe, pilotée par le Sous-ministre adjoint Rob Wright avec l’assistance de Thierry Montpetit, a produit en termes de rapports d’expertise, d’analyse préliminaires, de rencontres préparatoires, etc. Tout, absolument tout ce qui constitue un excellent concours a été mobilisé au service de la qualité. Par souci de confidentialité, on ne pourra malheureusement pas relater ces heures et ces journées de délibérations d’un immense jury coordonné dans le plus grand respect de la diversité des points de vue par les architectes Bruce Haden et Anne McIIlroy. On m’autorisera cependant, en qualité de chercheur familier des concours nationaux et internationaux, de simplement signifier mon admiration pour l’organisation impeccable de ce grand concours historique.
Pourtant, on me permettra du même élan de regretter que l’Ordre des Architectes du Québec ait décidé de supprimer le comité des concours et la procédure d’accréditation des concours en décembre 2021, au moment où l’expertise québécoise suscitait l’admiration des édiles d’Ottawa. La procédure de validation des concours québécois, qui fut mise en place au milieu des années 1990 – je me souviens, j’en étais – a longtemps permis de protéger à la fois les clients, les concurrents et les conseillers professionnels. Penser que tout va bien désormais en matière d’organisation des concours, renoncer à vérifier leur organisation, tout en minimisant le rôle des concours dans l’amplitude de la commande publique, c’est d’abord sous-estimer dangereusement la fragilité d’une procédure complexe. Le concours n’est jamais coulé dans le béton de la méthodologie infaillible. Chaque concours est unique, car chaque situation est unique. Nous verrons ce qu’il adviendra désormais d’une culture des concours au Québec constituée sur 3 décennies, mais il reste qu’une part non négligeable de l’expertise québécoise aura contribué activement à la réussite du concours du « Bloc2 ».
J’ose espérer enfin que l’expertise développée pour ce concours servira d’encouragement et que nous assisterons dans les prochaines années à l’émergence d’une nouvelle culture des concours au Canada. Les concours ne sont évidemment pas les seules feuilles de route de la qualité et ils bénéficieront aussi de toutes ces initiatives et politiques actuellement en germe qui visent à assurer la plus haute qualité pour les édifices et environnements publics au Canada. Ces 11 projets pour la « Place du Parlement », qu’une petite équipe de 4 étudiants de l’Université de Montréal vient de juxtaposer sur les pages du Catalogue des concours canadiens, s’offrent d’ici là comme une grande leçon d’architecture contemporaine. Il vous appartient d’en juger à présent!
Jean-Pierre Chupin, Chaire de recherche du Canada en architecture, concours et médiations de l’excellence.