Architectes au front : l'activisme par l’imaginaire
par Théo Pagé-Robert, Jean-Pierre Chupin, publié le 2023-08-08
Les concours d’idées en architecture et l’exercice de réflexion qu’ils engagent offrent le champ libre aux professionnel·le·s de l’aménagement de prendre du recul afin d’examiner les dispositions structurelles et institutionnelles qui constituent le cadre de leur pratique. À l’automne 2021, Urbanarium lançait le concours d’idées The Mixing Middle Competition, dont l’objectif était d’alimenter la réflexion sur la densification des quartiers périphériques de Vancouver par l’implantation d’une diversité d’usages dans ces zones résidentielles peuplées pour l’essentiel de maisons individuelles unifamiliales. Les équipes concurrentes devaient élaborer des récits alternatifs pour le développement de ces quartiers jugés peu mixtes et aux règlementations contraignantes. À travers leurs propositions, elles devaient remettre en question les modèles de financement, de propriété et de zonage du bâti qui dominent encore les pratiques d’aménagement du territoire et par le fait même structurent les milieux de vie.
Occasion de prendre une distance avec le réel, voire d’explorer le potentiel de l’utopie, le concours d’idée appelle à interroger les mécanismes qui sous-tendent ces limites, leur origine et le sort qui leur est réservé. Si les impératifs institutionnels qui encadrent la pratique de l’architecture tendent à faire preuve d’une inflexible rigidité, les récits imaginés à l’occasion des concours d’idées ont le pouvoir de les révéler dans toute leur fragilité. Les imaginaires du vivre-ensemble que génèrent les concours racontent des univers potentiels qui s’assemblent en l’esquisse d’un avenir pluriel et prometteur. Dès lors, le concours apparait comme outil de mobilisation dont la force réside dans la puissance du récit, le projet comme reflet d’un imaginaire activiste. Le concours d’idées devient ainsi une forme d’action perturbante alors même que la question du rôle de l’architecture, dans un monde en crise, devient plus prégnante.
L’intention du concours The Mixing Middle Competition était de faire la part belle aux solutions mettant de l’avant la consolidation d’environnements mixtes, vivants et accessibles, portés par des communautés inclusives et engagées. Ce concours avait la particularité de miser sur l’élaboration d’imaginaires de grande échelle et de réflexions radicales sur les modèles d’occupation de la ville, s’appuyant sur une perspective d’ensemble du potentiel de l’intervention sur le cadre bâti. On note également la ligne éditoriale du concours qui, à même le programme, encourage les équipes concurrentes à suggérer des révisions des dispositions actuelles quant aux règlementations municipales, juridiques et financières en vigueur, au risque d’élargir le spectre d’intervention des propositions et d’en radicaliser le propos.
Depuis plusieurs décennies, et plus particulièrement dans la région de Vancouver aux prises avec une augmentation exponentielle du prix du foncier, on assiste à la prolifération de nouveaux modèles de développements résidentiels en périphérie de la ville qui, imprégnés de l’idéal de la cour arrière clôturée, misent sur la fragmentation du social et des différents secteurs d’activités. L’échelle des infrastructures et la notion de proximité gonflent à mesure que s’étale l’emprise rampante de cette pratique d’aménagement sur le territoire nord-américain, cautionnée par une adaptation progressive des cadres règlementaires municipaux.
La problématique n’est donc pas neuve, mais la remise en question de ces pratiques et la recherche de scénarios novateurs ne font encore qu’émerger. La crise sanitaire des années 2020 et le recul qu’elle a imposé ont accéléré la reconnaissance des milieux de vie et des communautés de quartier en tant qu’éléments significatifs pour la qualité du monde de demain. La frontière entre environnements de travail, de loisir et d’habitation s’estompe, et par conséquent, la conciliation entre les différentes sphères d’activités tend à la mixité plutôt qu’à la fragmentation. Or, cette transformation en amorce ne peut s’épanouir sans faire état des limites imposées par la rigidité des cadres règlementaires et financiers qui les maintiennent en place.
Le concours The Mixing Middle Competition proposait d’interroger ces enjeux et d’explorer le potentiel que recèlent des imaginaires alternatifs. Les équipes concurrentes étaient invitées à choisir un site d’intervention parmi les quatre (4) proposés, tous localisés dans la région métropolitaine de Vancouver, en périphérie du centre-ville, chacun soulevant des enjeux aux spécificités distinctes auxquels le jury fut particulièrement sensible lors de l’évaluation des propositions.
Chacun des projets soumis offre un angle de réflexion original qui s’attèle à divers ensembles d’enjeux, en fonction du champ d’expertise et d’intérêt de l’équipe. Ainsi, les thématiques abordées concernent notamment l’assouplissement du cadre règlementaire urbain, l’aménagement alternatif des infrastructures routières et de transport à l’échelle du quartier et de la ville, l’innovation quant aux structures de financement de projets du développement, la collectivisation de la propriété, ainsi que le virage vers des modèles de développements orientés sur la communauté. Les différentes approches au projet révèlent des postures variées vis-à-vis de la portée envisagée des interventions; si l’on propose des scénarios de grande échelle et plus radicaux dans certains cas, d’autres équipes tendent à miser sur des solutions ciblées et concrètes, tirant davantage vers le vraisemblable.
Au total, 44 équipes ont soumis une proposition, et seulement huit (8) d’entre elles sont présentées dans cette publication du CCC. Il s’agit des quatre (4) propositions finalistes, ainsi que quatre (4) propositions avec mention honorable octroyées par le jury. Les discussions sur les propositions, souvent vives dans un concours d’idées, ont donné lieu à l’attribution de la deuxième place à deux (2) propositions ex aequo.
En plus des mentions habituelles octroyées par le jury principal du concours, les projets soumis étaient également considérés pour le Planner’s Prize, mention spéciale attribuée par le Planner’s Advisory Group, un comité constitué de membres des départements d’aménagement des différentes municipalités où se situent les sites d’intervention. Afin de se qualifier pour cette mention, les propositions devaient présenter une analyse rigoureuse de la communauté d’étude et des obstacles effectifs à l’implantation de mixité dans ces contextes. Le comité souhaitait primer un projet à la vision à la fois ambitieuse et pratique, dont l’implantation serait envisageable dans un avenir prévisible, et qui favoriserait une approche ciblée et de petite échelle, proposant des solutions concrètes à des problèmes spécifiques plutôt qu’une solution générique à l’impact plus abstrait.
À l’étude des projets soumis, le Planner’s Advisory Group prit la décision d’octroyer le Planner’s Prize à deux (2) équipes ex aequo. À la surprise du jury, ces dernières correspondent aux mêmes équipes choisies par le jury pour se partager la deuxième place du classement du concours, bien que les délibérations pour les lauréats et pour le Planner’s Prize se soient déroulées séparément. Les propositions en question sont « Co-Living Quadruplex » par l’équipe Altforma Architecture et « Mixing Modal » par l’équipe Via: Re+Discover. Le premier projet se démarque par un traitement de l’échelle humaine qui répond de manière particulièrement appropriée au tissu urbain existant et agit comme catalyseur de la qualité de vie sociale à l’intérieur du quartier. La force de l’intervention réside dans sa praticité et l’échelle compacte, mais efficace de son implantation. Le second ancre la proposition sur un aménagement réfléchi de la rue commerçante appuyé par une restructuration informée du zonage et des stratégies économiques à implémenter. Le projet mise sur la vitalité commerciale du quartier pour en faire un lieu attractif local et de destination, sans négliger pour autant la qualité des espaces résidentiels proposés.
Le projet lauréat, « Lots In Common » par l’équipe Contingent, constitue une proposition radicale dans son approche des modèles de propriété. Fort d’une recherche approfondie sur les outils de gouvernance et de financement pouvant être mis à profit pour la collectivisation des infrastructures et du territoire, le projet se décline en une série de « protocoles spatiaux » visant à encourager le développement de « relations conviviales et synergiques » entre les différentes parties prenantes au sein de la communauté. D’une grande sensibilité aux conditions spécifiques de l’habitat urbain humain et non humain, le projet présente une solution à la fois flexible et particulière, en phase avec l’écosystème dans lequel elle s’implante. L’approche durable, à la fois sociale et écologique, y est clairement développée.
Lauréat de la troisième place, le projet « Simple Small Things First » par Team C-R développe une stratégie de développement incrémental des lots. Ce modèle permet aux familles de développer leur projet à leur rythme et en fonction de leurs besoins spécifiques, tout en assurant une accessibilité en termes de moyens et de coûts. La proposition envisage également la collectivisation des initiatives, de manière à réduire la charge des procédures engendrées en la partageant entre les ménages impliqués.
La participation au concours d’idées comme forme de pratique architecturale révèle tout le potentiel de l’activisme par l’imaginaire. Si la transformation radicale des pratiques passe par la mise en valeur de récits accessibles et mobilisateurs, le concours d’idées constitue une plateforme de choix pour la création et la diffusion de ces récits agissants. Ces visions plurielles d’un monde en devenir contribuent à élargir la sphère du concevable et tracent les premiers traits de structures politiques, juridiques et financières renouvelées qui, à terme, doivent élargir la portée des différentes pratiques d’aménagement.
Occasion de prendre une distance avec le réel, voire d’explorer le potentiel de l’utopie, le concours d’idée appelle à interroger les mécanismes qui sous-tendent ces limites, leur origine et le sort qui leur est réservé. Si les impératifs institutionnels qui encadrent la pratique de l’architecture tendent à faire preuve d’une inflexible rigidité, les récits imaginés à l’occasion des concours d’idées ont le pouvoir de les révéler dans toute leur fragilité. Les imaginaires du vivre-ensemble que génèrent les concours racontent des univers potentiels qui s’assemblent en l’esquisse d’un avenir pluriel et prometteur. Dès lors, le concours apparait comme outil de mobilisation dont la force réside dans la puissance du récit, le projet comme reflet d’un imaginaire activiste. Le concours d’idées devient ainsi une forme d’action perturbante alors même que la question du rôle de l’architecture, dans un monde en crise, devient plus prégnante.
L’intention du concours The Mixing Middle Competition était de faire la part belle aux solutions mettant de l’avant la consolidation d’environnements mixtes, vivants et accessibles, portés par des communautés inclusives et engagées. Ce concours avait la particularité de miser sur l’élaboration d’imaginaires de grande échelle et de réflexions radicales sur les modèles d’occupation de la ville, s’appuyant sur une perspective d’ensemble du potentiel de l’intervention sur le cadre bâti. On note également la ligne éditoriale du concours qui, à même le programme, encourage les équipes concurrentes à suggérer des révisions des dispositions actuelles quant aux règlementations municipales, juridiques et financières en vigueur, au risque d’élargir le spectre d’intervention des propositions et d’en radicaliser le propos.
Depuis plusieurs décennies, et plus particulièrement dans la région de Vancouver aux prises avec une augmentation exponentielle du prix du foncier, on assiste à la prolifération de nouveaux modèles de développements résidentiels en périphérie de la ville qui, imprégnés de l’idéal de la cour arrière clôturée, misent sur la fragmentation du social et des différents secteurs d’activités. L’échelle des infrastructures et la notion de proximité gonflent à mesure que s’étale l’emprise rampante de cette pratique d’aménagement sur le territoire nord-américain, cautionnée par une adaptation progressive des cadres règlementaires municipaux.
La problématique n’est donc pas neuve, mais la remise en question de ces pratiques et la recherche de scénarios novateurs ne font encore qu’émerger. La crise sanitaire des années 2020 et le recul qu’elle a imposé ont accéléré la reconnaissance des milieux de vie et des communautés de quartier en tant qu’éléments significatifs pour la qualité du monde de demain. La frontière entre environnements de travail, de loisir et d’habitation s’estompe, et par conséquent, la conciliation entre les différentes sphères d’activités tend à la mixité plutôt qu’à la fragmentation. Or, cette transformation en amorce ne peut s’épanouir sans faire état des limites imposées par la rigidité des cadres règlementaires et financiers qui les maintiennent en place.
Le concours The Mixing Middle Competition proposait d’interroger ces enjeux et d’explorer le potentiel que recèlent des imaginaires alternatifs. Les équipes concurrentes étaient invitées à choisir un site d’intervention parmi les quatre (4) proposés, tous localisés dans la région métropolitaine de Vancouver, en périphérie du centre-ville, chacun soulevant des enjeux aux spécificités distinctes auxquels le jury fut particulièrement sensible lors de l’évaluation des propositions.
Chacun des projets soumis offre un angle de réflexion original qui s’attèle à divers ensembles d’enjeux, en fonction du champ d’expertise et d’intérêt de l’équipe. Ainsi, les thématiques abordées concernent notamment l’assouplissement du cadre règlementaire urbain, l’aménagement alternatif des infrastructures routières et de transport à l’échelle du quartier et de la ville, l’innovation quant aux structures de financement de projets du développement, la collectivisation de la propriété, ainsi que le virage vers des modèles de développements orientés sur la communauté. Les différentes approches au projet révèlent des postures variées vis-à-vis de la portée envisagée des interventions; si l’on propose des scénarios de grande échelle et plus radicaux dans certains cas, d’autres équipes tendent à miser sur des solutions ciblées et concrètes, tirant davantage vers le vraisemblable.
Au total, 44 équipes ont soumis une proposition, et seulement huit (8) d’entre elles sont présentées dans cette publication du CCC. Il s’agit des quatre (4) propositions finalistes, ainsi que quatre (4) propositions avec mention honorable octroyées par le jury. Les discussions sur les propositions, souvent vives dans un concours d’idées, ont donné lieu à l’attribution de la deuxième place à deux (2) propositions ex aequo.
En plus des mentions habituelles octroyées par le jury principal du concours, les projets soumis étaient également considérés pour le Planner’s Prize, mention spéciale attribuée par le Planner’s Advisory Group, un comité constitué de membres des départements d’aménagement des différentes municipalités où se situent les sites d’intervention. Afin de se qualifier pour cette mention, les propositions devaient présenter une analyse rigoureuse de la communauté d’étude et des obstacles effectifs à l’implantation de mixité dans ces contextes. Le comité souhaitait primer un projet à la vision à la fois ambitieuse et pratique, dont l’implantation serait envisageable dans un avenir prévisible, et qui favoriserait une approche ciblée et de petite échelle, proposant des solutions concrètes à des problèmes spécifiques plutôt qu’une solution générique à l’impact plus abstrait.
À l’étude des projets soumis, le Planner’s Advisory Group prit la décision d’octroyer le Planner’s Prize à deux (2) équipes ex aequo. À la surprise du jury, ces dernières correspondent aux mêmes équipes choisies par le jury pour se partager la deuxième place du classement du concours, bien que les délibérations pour les lauréats et pour le Planner’s Prize se soient déroulées séparément. Les propositions en question sont « Co-Living Quadruplex » par l’équipe Altforma Architecture et « Mixing Modal » par l’équipe Via: Re+Discover. Le premier projet se démarque par un traitement de l’échelle humaine qui répond de manière particulièrement appropriée au tissu urbain existant et agit comme catalyseur de la qualité de vie sociale à l’intérieur du quartier. La force de l’intervention réside dans sa praticité et l’échelle compacte, mais efficace de son implantation. Le second ancre la proposition sur un aménagement réfléchi de la rue commerçante appuyé par une restructuration informée du zonage et des stratégies économiques à implémenter. Le projet mise sur la vitalité commerciale du quartier pour en faire un lieu attractif local et de destination, sans négliger pour autant la qualité des espaces résidentiels proposés.
Le projet lauréat, « Lots In Common » par l’équipe Contingent, constitue une proposition radicale dans son approche des modèles de propriété. Fort d’une recherche approfondie sur les outils de gouvernance et de financement pouvant être mis à profit pour la collectivisation des infrastructures et du territoire, le projet se décline en une série de « protocoles spatiaux » visant à encourager le développement de « relations conviviales et synergiques » entre les différentes parties prenantes au sein de la communauté. D’une grande sensibilité aux conditions spécifiques de l’habitat urbain humain et non humain, le projet présente une solution à la fois flexible et particulière, en phase avec l’écosystème dans lequel elle s’implante. L’approche durable, à la fois sociale et écologique, y est clairement développée.
Lauréat de la troisième place, le projet « Simple Small Things First » par Team C-R développe une stratégie de développement incrémental des lots. Ce modèle permet aux familles de développer leur projet à leur rythme et en fonction de leurs besoins spécifiques, tout en assurant une accessibilité en termes de moyens et de coûts. La proposition envisage également la collectivisation des initiatives, de manière à réduire la charge des procédures engendrées en la partageant entre les ménages impliqués.
La participation au concours d’idées comme forme de pratique architecturale révèle tout le potentiel de l’activisme par l’imaginaire. Si la transformation radicale des pratiques passe par la mise en valeur de récits accessibles et mobilisateurs, le concours d’idées constitue une plateforme de choix pour la création et la diffusion de ces récits agissants. Ces visions plurielles d’un monde en devenir contribuent à élargir la sphère du concevable et tracent les premiers traits de structures politiques, juridiques et financières renouvelées qui, à terme, doivent élargir la portée des différentes pratiques d’aménagement.