Le sens civique de l'architecture
par Jacques Lachapelle, publié le 2011-06-18
Depuis quelques années, la ville de Toronto, dans son désir de se positionner avantageusement dans le mouvement de globalisation, a marqué le coup avec des projets iconiques, c’est-à-dire fortement liés à la signature du concepteur. Largement médiatisée, cette architecture a pourtant ses limites. Parallèlement, il y a, bien sûr, un autre Toronto, qui n’échappe pas, comme d’autres métropoles, au besoin de continuer à contrer les effets néfastes du renouveau urbain et à donner du sens au milieu de vie des citadins. De par sa nature et son programme, le concours du St. Lawrence Market s’inscrit dans cette ligne de pensée : il porte en effet à réfléchir sur le sens civique de l’architecture.
Le site bénéficie d’une riche histoire. Il se trouve dans l’un des plus intéressants ensembles patrimoniaux qui aient survécu aux transformations du quartier central de Toronto. La cathédrale anglicane St. James (Cumberland et Ridout, 1853 ; Langley, 1871-1874) domine le secteur. Elle fait face à une série de bâtiments modestes qui, avec quelques autres vestiges du passé, correspondent à une structure urbaine traditionnelle fondée sur l’espace de la rue. Qui plus est, parmi ces édifices, le magasin-entrepôt Army and Navy a donné lieu à une rénovation exemplaire par les architectes Kuwabara Payne McKenna and Blumberg qui témoignait déjà du potentiel à tirer de ces bâtiments patrimoniaux.
Toutefois, parmi tous ses édifices, le St. Lawrence Hall et le marché qui lui était associé constituent des points d’ancrage du concours. Parce que le XIXe siècle savait parfois, avec une déconcertante franchise, traduire dans l’architecture institutionnelle les réalités d’un nouveau monde démocratique, les marchés qui étaient au cœur de la vie quotidienne étaient souvent associés à des fonctions communautaires de divertissement (salle de bal ou de concert par exemple) et, à l’occasion, administratives (municipale, voire gouvernementale). La solution la plus courante consistait à placer ces activités à l’étage, au- dessus du marché lui-même. En comparaison, pour le St. Lawrence Hall (1849-1850), William Thomas, a plutôt choisi de diviser l’édifice en deux bâtiments principaux clairement hiérarchisés l’un par rapport à l’autre : le Hall en façade, le long de la rue King, et le marché à l’arrière. Le Hall qui prend ainsi la forme d’un édifice compact, dont l’ornementation est fidèle à la manière de Thomas, constitue un des plus beaux morceaux d’architecture néo- classique au Canada.
C’est ce plan général qui explique le développement des activités du marché au sud (marché dit Nord), dans un édifice plus typique, mais démoli et remplacé par un bâtiment moderne sans envergure. Cette logique initiale de développement axial, centrée sur le Hall s’est poursuivie avec la vaste halle au sud de la rue Front (marché dit Sud). Puisque des activités de marché ont toujours lieu sur le site, l’un des défis de ce concours consistait non seulement à maintenir ce commerce, mais à le réaffirmer. À cet égard, la décision de lier le marché à une cour de justice provinciale et des bureaux administratifs est intéressante, car elle s’inscrit dans la typologie d’origine des marchés publics au Canada.
Les commentaires du jury n’ont pas été transmis au CCC. Une telle situation est toujours dommage, car, dans le processus de design, et d’autant plus dans un concours, il n’y a pas de solution unique. Chaque intervenant contribue au développement du projet. Au-delà du jugement, les membres du jury font donc partie intégrante de ce processus. Compte tenu des qualités des cinq projets, ce rapport du jury aurait ajouté un éclairage appréciable. Néanmoins, sans avoir leur avis, les orientations des différents projets sont intéressantes au regard de l’histoire, du site et du secteur.
Par rapport à la typologie des marchés, trois projets sur cinq ont accentué l’effet de superposition par le traitement affirmé des murs ou des toits aux étages. Leur caractère varie entre l’imitation des formes du marché Sud et le désir d’avoir un aspect sculptural et iconique. De fait, ces trois projets sont en contraste avec leur milieu et ce serait l’un de leurs mérites si l’un ou l’autre avait été choisi. Un quatrième projet oppose un volume cubique du côté de Front à des paliers en escalier derrière le St. Lawrence Hall, cherchant des relations dynamiques de vue avec l’environnement tout autour.
En comparaison, le projet lauréat d’Adamson Associates Architects et Rogers Stirk Harbour + Partners est en ap- parence le plus simple du point de vue de la volumétrie. Le plan suit un parti franc et se répartit en deux ailes de part et d’autre d’un axe central qui dégage une perspective intérieure sur le St. Lawrence Hall. Le procédé est ingénieux. Le contexte devient le repère de l’organisation intérieure. De plus, ce plan poursuit la logique de composition traditionnelle qui était là à l’origine, ce qu’aucun autre concurrent n’a exploité avec la même rigueur. Ainsi, la solution met en valeur, sans artifice, le bâtiment historique.
À bien des égards, on peut également voir dans ce plan une forme conventionnelle du centre commercial, dont le Eaton Centre de Toronto qui, encore de nos jours, mérite de faire leçon. Comme celui-ci, les architectes ont choisi d’employer largement le verre. À la logique de l’alcôve et de la pièce qui régissait l’architecture du XIXe siècle, la justice est en partie mise en scène, à l’intérieur du mail intérieur, mais également à l’extérieur. Son caractère extraverti contraste avec l’introversion des autres projets. Comme ceux-ci par contre, il permet au rez-de-chaussée une fluidité avec les espaces urbains, mais il le fait au bénéfice de toutes les rues et aussi de l’allée verte qui longe l’édifice à l’ouest.
Sous son apparente simplicité, le projet repose sur une approche réfléchie, appropriée et d’une convaincante clarté. Au lieu d’amplifier le contraste dans ce secteur qui regroupe encore quelques traces du passé, il en renouvelle l’esprit et la forme. Il donne non seulement tout son sens à l’architecture civique qu’exigeait le programme, mais il le fait avec civilité à l’égard de la ville.
Le site bénéficie d’une riche histoire. Il se trouve dans l’un des plus intéressants ensembles patrimoniaux qui aient survécu aux transformations du quartier central de Toronto. La cathédrale anglicane St. James (Cumberland et Ridout, 1853 ; Langley, 1871-1874) domine le secteur. Elle fait face à une série de bâtiments modestes qui, avec quelques autres vestiges du passé, correspondent à une structure urbaine traditionnelle fondée sur l’espace de la rue. Qui plus est, parmi ces édifices, le magasin-entrepôt Army and Navy a donné lieu à une rénovation exemplaire par les architectes Kuwabara Payne McKenna and Blumberg qui témoignait déjà du potentiel à tirer de ces bâtiments patrimoniaux.
Toutefois, parmi tous ses édifices, le St. Lawrence Hall et le marché qui lui était associé constituent des points d’ancrage du concours. Parce que le XIXe siècle savait parfois, avec une déconcertante franchise, traduire dans l’architecture institutionnelle les réalités d’un nouveau monde démocratique, les marchés qui étaient au cœur de la vie quotidienne étaient souvent associés à des fonctions communautaires de divertissement (salle de bal ou de concert par exemple) et, à l’occasion, administratives (municipale, voire gouvernementale). La solution la plus courante consistait à placer ces activités à l’étage, au- dessus du marché lui-même. En comparaison, pour le St. Lawrence Hall (1849-1850), William Thomas, a plutôt choisi de diviser l’édifice en deux bâtiments principaux clairement hiérarchisés l’un par rapport à l’autre : le Hall en façade, le long de la rue King, et le marché à l’arrière. Le Hall qui prend ainsi la forme d’un édifice compact, dont l’ornementation est fidèle à la manière de Thomas, constitue un des plus beaux morceaux d’architecture néo- classique au Canada.
C’est ce plan général qui explique le développement des activités du marché au sud (marché dit Nord), dans un édifice plus typique, mais démoli et remplacé par un bâtiment moderne sans envergure. Cette logique initiale de développement axial, centrée sur le Hall s’est poursuivie avec la vaste halle au sud de la rue Front (marché dit Sud). Puisque des activités de marché ont toujours lieu sur le site, l’un des défis de ce concours consistait non seulement à maintenir ce commerce, mais à le réaffirmer. À cet égard, la décision de lier le marché à une cour de justice provinciale et des bureaux administratifs est intéressante, car elle s’inscrit dans la typologie d’origine des marchés publics au Canada.
Les commentaires du jury n’ont pas été transmis au CCC. Une telle situation est toujours dommage, car, dans le processus de design, et d’autant plus dans un concours, il n’y a pas de solution unique. Chaque intervenant contribue au développement du projet. Au-delà du jugement, les membres du jury font donc partie intégrante de ce processus. Compte tenu des qualités des cinq projets, ce rapport du jury aurait ajouté un éclairage appréciable. Néanmoins, sans avoir leur avis, les orientations des différents projets sont intéressantes au regard de l’histoire, du site et du secteur.
Par rapport à la typologie des marchés, trois projets sur cinq ont accentué l’effet de superposition par le traitement affirmé des murs ou des toits aux étages. Leur caractère varie entre l’imitation des formes du marché Sud et le désir d’avoir un aspect sculptural et iconique. De fait, ces trois projets sont en contraste avec leur milieu et ce serait l’un de leurs mérites si l’un ou l’autre avait été choisi. Un quatrième projet oppose un volume cubique du côté de Front à des paliers en escalier derrière le St. Lawrence Hall, cherchant des relations dynamiques de vue avec l’environnement tout autour.
En comparaison, le projet lauréat d’Adamson Associates Architects et Rogers Stirk Harbour + Partners est en ap- parence le plus simple du point de vue de la volumétrie. Le plan suit un parti franc et se répartit en deux ailes de part et d’autre d’un axe central qui dégage une perspective intérieure sur le St. Lawrence Hall. Le procédé est ingénieux. Le contexte devient le repère de l’organisation intérieure. De plus, ce plan poursuit la logique de composition traditionnelle qui était là à l’origine, ce qu’aucun autre concurrent n’a exploité avec la même rigueur. Ainsi, la solution met en valeur, sans artifice, le bâtiment historique.
À bien des égards, on peut également voir dans ce plan une forme conventionnelle du centre commercial, dont le Eaton Centre de Toronto qui, encore de nos jours, mérite de faire leçon. Comme celui-ci, les architectes ont choisi d’employer largement le verre. À la logique de l’alcôve et de la pièce qui régissait l’architecture du XIXe siècle, la justice est en partie mise en scène, à l’intérieur du mail intérieur, mais également à l’extérieur. Son caractère extraverti contraste avec l’introversion des autres projets. Comme ceux-ci par contre, il permet au rez-de-chaussée une fluidité avec les espaces urbains, mais il le fait au bénéfice de toutes les rues et aussi de l’allée verte qui longe l’édifice à l’ouest.
Sous son apparente simplicité, le projet repose sur une approche réfléchie, appropriée et d’une convaincante clarté. Au lieu d’amplifier le contraste dans ce secteur qui regroupe encore quelques traces du passé, il en renouvelle l’esprit et la forme. Il donne non seulement tout son sens à l’architecture civique qu’exigeait le programme, mais il le fait avec civilité à l’égard de la ville.