Concourir pour l'esprit de compétition
par Jean-Pierre Chupin, publié le 2012-11-16
En ces temps de crise de confiance généralisée envers les administrations municipales, on ne saurait trop conseiller aux décideurs, comme aux citoyens, de prendre acte de la façon dont certains concours construisent la qualité de nos villes, de façon sans doute imparfaite, mais certainement plus transparente que les « enveloppes brunes » et autres « chaussettes de billets » qui défraient régulièrement la chronique. Avec un deuxième concours en deux ans, faisant suite au renouvellement de la bibliothèque en 2009 et en misant cette fois sur un équipement sportif d’envergure, l’arrondissement Saint-Laurent confirmait en 2010 une volonté de mobiliser les forces vives de l’architecture par une mise en concurrence des talents dans un esprit d’équité démocratique au nom du sport.
Les concours font parfois l’objet de controverses, mais l’histoire des concours à l’échelle internationale n’est en rien constellée des scandales et stratagèmes de corruption qui minent actuellement la crédibilité des investissements dans les municipalités québécoises. Un concours repose sur la mise en concurrence des expertises et des talents. Ces mêmes expertises et ces mêmes talents sont toujours à renouveler, les bonnes idées n’étant pas coulées dans le béton.
Le problème posé par Saint-Laurent en 2010, pour des aménagements qui ne pouvaient se réduire à de simples équipements sportifs, se composait de bassins, d’un stade de soccer, de diverses salles d’entrainement, d’un gymnase, le tout agrémenté d’un café et de bureaux. Rien de compliqué en apparence et pourtant le contexte urbain distendu, le long du boulevard Thimens, doublé d’une ambition de renforcer la forme urbaine de cet arrondissement très dynamique du nord de Montréal, appelait à l’œuvre quatre des meilleures équipes montréalaises : Saucier + Perrotte avec Hughes Condon Marler, Affleck + De la Riva avec Cannon Design, Lapointe Magne et Associés avec l’OEUF et finale- ment Saia Barbarese Topouzanov avec Hudon Julien Croft. Des noms connus, certains diront qu’il s’agissait d’habitués des sélections de concours, mais le fait est que ces équipes partaient sur un pied d’égalité en matière de compétences et d’engagement dans la qualité architecturale.
De façon originale, un jury, majoritairement composé d’architectes, fut dirigé par le célèbre commentateur sportif Richard Garneau, dont la finesse d’esprit et la justesse des analyses n’ont d’égal que la longévité radiophonique. Parmi les critères de jugement, et comme le remarquait déjà la professeure Cucuzzella dans son éditorial de septembre 2012 à propos du concours de la même municipalité pour la bibliothèque en 2009, on pouvait s’inquiéter de retrouver une place exagérée octroyée à l’obligation d’obtenir la certification LEED Or. Il faut croire que le jury n’a pas confondu LEED Or et médaille d’or, puisqu’en parcourant le rapport très détaillé rendu public suite au concours on comprend que le jury a finalement opté pour « la qualité du geste architectural, la pertinence de l’innovation de l’enveloppe, la simplicité du concept, la création d’une image distincte au plan urbain, tout autant que la stratégie en développement durable » autant de qualités désignant le projet lauréat du consortium Saucier + Perrotte, Hughes Condon Marler architectes. Il aura d’ailleurs fallu plus de quinze années avant que la firme Saucier + Perrotte, qui avait remporté le concours pour la Faculté de l’aménagement en 1994 ne remporte un concours en terre québécoise, alors même qu’elle ne compte plus les prix, reconnaissances et succès tant au Canada qu’à l’étranger. Un succès en entrainant un autre, nous reparlerons dans une prochaine mise à jour du CCC, du concours pour le Complexe de soccer intérieur qu’ils viennent de remporter et construiront dans le quartier Saint-Michel à Montréal.
Deux aspects retiendront notre attention dans cet éditorial : le premier concerne une véritable question de composition architecturale, le deuxième une question de composition du jugement architectural. Dans un premier temps, on remarquera que la conception d’un complexe sportif déborde rapidement les questions de fonctionnalité pour atteindre la problématique de la composition formelle et plus encore le traitement de l’enveloppe distinctive. Aux deux extrêmes des propositions pour ce concours, on trouvera deux traitements topographiques : celui du projet de l’équipe Saucier + Perrotte et celui de l’équipe de Saia Barbarese Topouzanov. Si le projet lauréat décline le soulèvement de l’enveloppe terrestre dans un mouvement tectonique, au sens géologique du terme, le second hésite entre le dessin d’une nouvelle topographie et l’image du projet enseveli. Le jury manifestera d’ailleurs son inquiétude pour « l’ampleur de l’excavation » ou la complexité de la structure du toit tout en relevant l’intérêt d’une toiture « végétalisée ». Quand on mesure le souci de l’arrondisse- ment pour le renforcement de son image urbaine le long du boulevard Thimens, on en déduit que le parti paysager fut sans doute l’erreur stratégique de la part de cette équipe. C’est bien l’image urbaine que les deux autres projets avaient anticipée en misant sur le traitement des grandes « boîtes » sportives. Si le projet d’Affleck + De la Riva va jusqu’à proposer un prolongement des activités intérieures en direction d’espaces extérieurs dits « évènementiels », ce qui se conçoit bien quand on mesure la part démesurée des surfaces de stationnement imposées par ces équipements, on peut rester songeur devant l’audace méthodologique du projet de Lapointe Magne. Ce dernier a effectivement misé sur une stratégie de « design intégré » dont l’équipe de l’OEUF s’est faite le porte-parole depuis quelques années. Les planches du concours ont opté pour une inhabituelle mise en évidence — sous la forme d’un reportage photographique — de la méthode de travail préconisée plus encore que du projet et cela leur fut reproché au final. Faut-il y voir une contradiction liée aux calculs de la certification LEED ou à la stratégie de communication imposée par l’exercice du concours ? Il faut croire, à la lecture du rapport de jury, que celui-ci n’a pas adhéré à la proposition intégrative imposant un projet en plusieurs étapes, et a préféré limiter les risques en satisfaisant des attentes municipales portant sur la détermination d’une forme urbaine immédiate.
Le deuxième et dernier aspect que nous voudrions soulever à l’occasion de ce concours concerne le rôle décisif du jugement. En effet, le jury, une fois n’est pas coutume, a décidé de rendre public l’intégralité de son jugement et surtout la longue liste de ses recommandations au projet lauréat. Nous ne pouvons que conseiller aux visiteurs du CCC de parcourir la rubrique « généralités » de la fiche du concours « Complexe sportif Saint-Laurent » pour mesurer l’épreuve d’humilité imposée à l’équipe lauréate en près d’une vingtaine de recommandations « conditionnelles à son choix». Faut-il s’offusquer qu’un jury se permette d’imposer des recommandations très précises à ce qui reste après tout une esquisse de niveau concours ? Faut-il accepter qu’un jury demande «d’assurer un accès facile pour le personnel d’entretien aux salles de mécanique » ? Et que faut-il penser d’un jury d’experts architectes qui demande de « corriger l’accès public aux gradins du soccer pour qu’il se fasse à partir du hall d’entrée » ? Nul besoin d’en faire des injonctions menaçantes, car ce sont clairement des aspects que tout bon architecte corrigera de lui-même dans les étapes subséquentes de formalisation du projet. Que penser par contre d’une remarque telle que : «l’étendue de la couleur rouge au plafond de la piscine est vue comme oppressante»? Cela traduit-il un véritable jugement collectif ou la simple anxiété chromatique d’un membre du jury désireux de tons pastel apaisants? On ne fera pas ici de mauvais procès au pouvoir de tout jury de concours de formuler des recommandations pour l’amélioration des projets, il s’agit non seulement d’une prérogative, mais d’un devoir de tout jugement qualitatif : encore faudrait-il que l’on se donne les moyens de permettre à tout ou partie du jury de faire un suivi direct de ces transformations dans les étapes suivantes du projet. C’est un modèle que nous avons eu l’occasion de présenter dans le numéro 154 de la revue ARQ en février 2011, en précisant que «juger c’est aussi concevoir un projet» (judgement by design). Si les architectes et les concepteurs en général se doivent de recevoir les critiques, on pourra toutefois attendre d’un rapport final plus d’envergure, plus de critiques architecturales et moins de microdécisions.
Les concours font parfois l’objet de controverses, mais l’histoire des concours à l’échelle internationale n’est en rien constellée des scandales et stratagèmes de corruption qui minent actuellement la crédibilité des investissements dans les municipalités québécoises. Un concours repose sur la mise en concurrence des expertises et des talents. Ces mêmes expertises et ces mêmes talents sont toujours à renouveler, les bonnes idées n’étant pas coulées dans le béton.
Le problème posé par Saint-Laurent en 2010, pour des aménagements qui ne pouvaient se réduire à de simples équipements sportifs, se composait de bassins, d’un stade de soccer, de diverses salles d’entrainement, d’un gymnase, le tout agrémenté d’un café et de bureaux. Rien de compliqué en apparence et pourtant le contexte urbain distendu, le long du boulevard Thimens, doublé d’une ambition de renforcer la forme urbaine de cet arrondissement très dynamique du nord de Montréal, appelait à l’œuvre quatre des meilleures équipes montréalaises : Saucier + Perrotte avec Hughes Condon Marler, Affleck + De la Riva avec Cannon Design, Lapointe Magne et Associés avec l’OEUF et finale- ment Saia Barbarese Topouzanov avec Hudon Julien Croft. Des noms connus, certains diront qu’il s’agissait d’habitués des sélections de concours, mais le fait est que ces équipes partaient sur un pied d’égalité en matière de compétences et d’engagement dans la qualité architecturale.
De façon originale, un jury, majoritairement composé d’architectes, fut dirigé par le célèbre commentateur sportif Richard Garneau, dont la finesse d’esprit et la justesse des analyses n’ont d’égal que la longévité radiophonique. Parmi les critères de jugement, et comme le remarquait déjà la professeure Cucuzzella dans son éditorial de septembre 2012 à propos du concours de la même municipalité pour la bibliothèque en 2009, on pouvait s’inquiéter de retrouver une place exagérée octroyée à l’obligation d’obtenir la certification LEED Or. Il faut croire que le jury n’a pas confondu LEED Or et médaille d’or, puisqu’en parcourant le rapport très détaillé rendu public suite au concours on comprend que le jury a finalement opté pour « la qualité du geste architectural, la pertinence de l’innovation de l’enveloppe, la simplicité du concept, la création d’une image distincte au plan urbain, tout autant que la stratégie en développement durable » autant de qualités désignant le projet lauréat du consortium Saucier + Perrotte, Hughes Condon Marler architectes. Il aura d’ailleurs fallu plus de quinze années avant que la firme Saucier + Perrotte, qui avait remporté le concours pour la Faculté de l’aménagement en 1994 ne remporte un concours en terre québécoise, alors même qu’elle ne compte plus les prix, reconnaissances et succès tant au Canada qu’à l’étranger. Un succès en entrainant un autre, nous reparlerons dans une prochaine mise à jour du CCC, du concours pour le Complexe de soccer intérieur qu’ils viennent de remporter et construiront dans le quartier Saint-Michel à Montréal.
Deux aspects retiendront notre attention dans cet éditorial : le premier concerne une véritable question de composition architecturale, le deuxième une question de composition du jugement architectural. Dans un premier temps, on remarquera que la conception d’un complexe sportif déborde rapidement les questions de fonctionnalité pour atteindre la problématique de la composition formelle et plus encore le traitement de l’enveloppe distinctive. Aux deux extrêmes des propositions pour ce concours, on trouvera deux traitements topographiques : celui du projet de l’équipe Saucier + Perrotte et celui de l’équipe de Saia Barbarese Topouzanov. Si le projet lauréat décline le soulèvement de l’enveloppe terrestre dans un mouvement tectonique, au sens géologique du terme, le second hésite entre le dessin d’une nouvelle topographie et l’image du projet enseveli. Le jury manifestera d’ailleurs son inquiétude pour « l’ampleur de l’excavation » ou la complexité de la structure du toit tout en relevant l’intérêt d’une toiture « végétalisée ». Quand on mesure le souci de l’arrondisse- ment pour le renforcement de son image urbaine le long du boulevard Thimens, on en déduit que le parti paysager fut sans doute l’erreur stratégique de la part de cette équipe. C’est bien l’image urbaine que les deux autres projets avaient anticipée en misant sur le traitement des grandes « boîtes » sportives. Si le projet d’Affleck + De la Riva va jusqu’à proposer un prolongement des activités intérieures en direction d’espaces extérieurs dits « évènementiels », ce qui se conçoit bien quand on mesure la part démesurée des surfaces de stationnement imposées par ces équipements, on peut rester songeur devant l’audace méthodologique du projet de Lapointe Magne. Ce dernier a effectivement misé sur une stratégie de « design intégré » dont l’équipe de l’OEUF s’est faite le porte-parole depuis quelques années. Les planches du concours ont opté pour une inhabituelle mise en évidence — sous la forme d’un reportage photographique — de la méthode de travail préconisée plus encore que du projet et cela leur fut reproché au final. Faut-il y voir une contradiction liée aux calculs de la certification LEED ou à la stratégie de communication imposée par l’exercice du concours ? Il faut croire, à la lecture du rapport de jury, que celui-ci n’a pas adhéré à la proposition intégrative imposant un projet en plusieurs étapes, et a préféré limiter les risques en satisfaisant des attentes municipales portant sur la détermination d’une forme urbaine immédiate.
Le deuxième et dernier aspect que nous voudrions soulever à l’occasion de ce concours concerne le rôle décisif du jugement. En effet, le jury, une fois n’est pas coutume, a décidé de rendre public l’intégralité de son jugement et surtout la longue liste de ses recommandations au projet lauréat. Nous ne pouvons que conseiller aux visiteurs du CCC de parcourir la rubrique « généralités » de la fiche du concours « Complexe sportif Saint-Laurent » pour mesurer l’épreuve d’humilité imposée à l’équipe lauréate en près d’une vingtaine de recommandations « conditionnelles à son choix». Faut-il s’offusquer qu’un jury se permette d’imposer des recommandations très précises à ce qui reste après tout une esquisse de niveau concours ? Faut-il accepter qu’un jury demande «d’assurer un accès facile pour le personnel d’entretien aux salles de mécanique » ? Et que faut-il penser d’un jury d’experts architectes qui demande de « corriger l’accès public aux gradins du soccer pour qu’il se fasse à partir du hall d’entrée » ? Nul besoin d’en faire des injonctions menaçantes, car ce sont clairement des aspects que tout bon architecte corrigera de lui-même dans les étapes subséquentes de formalisation du projet. Que penser par contre d’une remarque telle que : «l’étendue de la couleur rouge au plafond de la piscine est vue comme oppressante»? Cela traduit-il un véritable jugement collectif ou la simple anxiété chromatique d’un membre du jury désireux de tons pastel apaisants? On ne fera pas ici de mauvais procès au pouvoir de tout jury de concours de formuler des recommandations pour l’amélioration des projets, il s’agit non seulement d’une prérogative, mais d’un devoir de tout jugement qualitatif : encore faudrait-il que l’on se donne les moyens de permettre à tout ou partie du jury de faire un suivi direct de ces transformations dans les étapes suivantes du projet. C’est un modèle que nous avons eu l’occasion de présenter dans le numéro 154 de la revue ARQ en février 2011, en précisant que «juger c’est aussi concevoir un projet» (judgement by design). Si les architectes et les concepteurs en général se doivent de recevoir les critiques, on pourra toutefois attendre d’un rapport final plus d’envergure, plus de critiques architecturales et moins de microdécisions.