Peut-on gagner sans innover?
par Camille Crossman, publié le 2013-02-08
Les projets innovants, se risquant sur des esthétiques nouvelles, sont-ils plus risqués que des projets plus conformistes? En profonde mutation depuis plus d’une dizaine d’années, le quartier Griffintown a récemment fait l’objet d’un concours pour l’aménagement d’une promenade et d’une place. À travers ces dispositifs, l’Arrondissement du sud-ouest de la ville de Montréal souhaite consolider la requalification de cet ancien secteur industriel en quartier résidentiel et se servir de cette opération comme d’une référence. Ce concours met donc en évidence la traditionnelle tension entre stratégies gagnantes et stratégies innovantes.
Comme toutes les grandes villes du monde, où architecture résidentielle rime avec densification intensive, les tours de condos et de logements abordables poussent parfois par dizaines sur d’anciennes zones commerciales ou industrielles. Dans ces conditions, le quartier, qui autrefois se constituait de façon progressive, fait de plus en plus souvent l’objet d’une planification organisée — par le biais de consultations publiques et de concours de design — afin de définir une identité propre à ces nouveaux lieux de vie aux échelles souvent contrastantes et aux architectures parfois répétitives. Or, lorsque vient le temps de créer un lieu avec une identité propre quels enjeux, et par conséquent critères, convient-il de mettre de l’avant ? L’originalité, la faisabilité, l’intégration ou encore l’innovation ?
Lors d’un concours d’architecture, ce questionnement est d’autant plus fondamental que les réflexions qu’il suscite participent nécessairement à la définition de la stratégie architecturale, voire d’un parti pris quant au rôle des concours, tant pour les concepteurs que pour les organisateurs et membres du jury. Du côté des concepteurs, la tension oppose l’envie d’élaborer une proposition « gagnante », c’est-à-dire visiblement réalisable et satisfaisante aux attentes décrites dans le programme, et concevoir un projet innovant, en prenant des risques au nom d’une vision. Du côté des membres du jury, ce serait plutôt une tension entre faisabilité et originalité. Évidemment, les stratégies de design et de jugement à l’œuvre dans un concours sont plus complexes et cette division reste quelque peu simpliste, mais elle a l’avantage d’exposer une double tension qui traverse organisateurs et concurrents.
Le projet de NIPpaysage «est apparu, aux yeux du jury, comme le plus riche de tous, tant sur le plan des idées que de son intégration dans le projet d’aménagement urbain. L’idée maîtresse consiste à aménager le site par un projet simple, intelligent, répondant avec flexibilité aux exigences du concours.» Pour le projet de The Commons Inc., il est indiqué que « le jury a tenu à accorder une mention spéciale à cette prestation, en raison de la sensibilité exceptionnelle qu’elle sous-tend à l’égard des singularités du lieu et du caractère particulièrement innovant des solutions qu’elle propose. » Un peu plus loin, il est ajouté que « cette prestation représente une approche très innovatrice et poétique rendue avec fraîcheur (...) [et que le] projet est très innovateur, voire provocateur. » Et qu’« enfin, malgré l’intérêt qu’il a soulevé sur le plan de l’originalité, de l’innovation et de la sensibilité [les membres du jury ont jugé que] le concept est cohérent, mais le design est problématique» (tiré du rapport du jury).
Témoignant d’une tension caractéristique des «sociétés du risque», le jury a tenu à l’attribution d’une mention spéciale : «compte tenu de l’apport très positif de cette proposition originale aux débats du jury sur le renouveau des espaces publics et à la compréhension de la spécificité de ce lieu dans Griffintown». Le processus du jugement s’est néanmoins déroulé de façon exemplaire : ouvert à l’échelle canadienne, il fut tenu en deux étapes dont la 1re anonyme, avec présentations des finalistes ouvertes au public, un jury équilibré, une diffusion rapide et détaillée des documents du concours. Dans quelle mesure les craintes liées aux dimensions inconnues des projets plus innovants peuvent biaiser le jugement sur la qualité intrinsèque ou véritable des projets? Le concours doit-il représenter un espace où l’on consolide des idéologies et des esthétiques, ou présente-t-il, au contraire, une occasion de prendre des risques calculés? Au final, dans quelle mesure cette dualité participe-t-elle au choix stratégique architectural des participants ?
Les 25 projets de la première étape et les 4 projets finalistes regroupent stratégies, végétalisées, urbaines, contemporaines, sensibles aux traces historiques, etc.
Comme toutes les grandes villes du monde, où architecture résidentielle rime avec densification intensive, les tours de condos et de logements abordables poussent parfois par dizaines sur d’anciennes zones commerciales ou industrielles. Dans ces conditions, le quartier, qui autrefois se constituait de façon progressive, fait de plus en plus souvent l’objet d’une planification organisée — par le biais de consultations publiques et de concours de design — afin de définir une identité propre à ces nouveaux lieux de vie aux échelles souvent contrastantes et aux architectures parfois répétitives. Or, lorsque vient le temps de créer un lieu avec une identité propre quels enjeux, et par conséquent critères, convient-il de mettre de l’avant ? L’originalité, la faisabilité, l’intégration ou encore l’innovation ?
Lors d’un concours d’architecture, ce questionnement est d’autant plus fondamental que les réflexions qu’il suscite participent nécessairement à la définition de la stratégie architecturale, voire d’un parti pris quant au rôle des concours, tant pour les concepteurs que pour les organisateurs et membres du jury. Du côté des concepteurs, la tension oppose l’envie d’élaborer une proposition « gagnante », c’est-à-dire visiblement réalisable et satisfaisante aux attentes décrites dans le programme, et concevoir un projet innovant, en prenant des risques au nom d’une vision. Du côté des membres du jury, ce serait plutôt une tension entre faisabilité et originalité. Évidemment, les stratégies de design et de jugement à l’œuvre dans un concours sont plus complexes et cette division reste quelque peu simpliste, mais elle a l’avantage d’exposer une double tension qui traverse organisateurs et concurrents.
Le projet de NIPpaysage «est apparu, aux yeux du jury, comme le plus riche de tous, tant sur le plan des idées que de son intégration dans le projet d’aménagement urbain. L’idée maîtresse consiste à aménager le site par un projet simple, intelligent, répondant avec flexibilité aux exigences du concours.» Pour le projet de The Commons Inc., il est indiqué que « le jury a tenu à accorder une mention spéciale à cette prestation, en raison de la sensibilité exceptionnelle qu’elle sous-tend à l’égard des singularités du lieu et du caractère particulièrement innovant des solutions qu’elle propose. » Un peu plus loin, il est ajouté que « cette prestation représente une approche très innovatrice et poétique rendue avec fraîcheur (...) [et que le] projet est très innovateur, voire provocateur. » Et qu’« enfin, malgré l’intérêt qu’il a soulevé sur le plan de l’originalité, de l’innovation et de la sensibilité [les membres du jury ont jugé que] le concept est cohérent, mais le design est problématique» (tiré du rapport du jury).
Témoignant d’une tension caractéristique des «sociétés du risque», le jury a tenu à l’attribution d’une mention spéciale : «compte tenu de l’apport très positif de cette proposition originale aux débats du jury sur le renouveau des espaces publics et à la compréhension de la spécificité de ce lieu dans Griffintown». Le processus du jugement s’est néanmoins déroulé de façon exemplaire : ouvert à l’échelle canadienne, il fut tenu en deux étapes dont la 1re anonyme, avec présentations des finalistes ouvertes au public, un jury équilibré, une diffusion rapide et détaillée des documents du concours. Dans quelle mesure les craintes liées aux dimensions inconnues des projets plus innovants peuvent biaiser le jugement sur la qualité intrinsèque ou véritable des projets? Le concours doit-il représenter un espace où l’on consolide des idéologies et des esthétiques, ou présente-t-il, au contraire, une occasion de prendre des risques calculés? Au final, dans quelle mesure cette dualité participe-t-elle au choix stratégique architectural des participants ?
Les 25 projets de la première étape et les 4 projets finalistes regroupent stratégies, végétalisées, urbaines, contemporaines, sensibles aux traces historiques, etc.