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Une maison de la littérature pour Québec, architecture et/ou scénographie ?
par Louis Destombes, publié le 2013-03-08
Des maisons de la littérature, en Europe et de par le monde, reçoivent des écrivains en résidence depuis le XIXe siècle. Dans le but de confirmer la ville de Québec dans son statut de haut lieu de la création littéraire, l’Institut canadien de Québec s’est orienté vers un type programmatique nouveau, une première au Canada, s’inspirant d’institutions similaires qui ont ouvert leurs portes récemment (Oslo, 2007, Genève, 2012). Ce concept de l’ère numérique est explicité à l’aide d’une analogie à la fois obscure et éclairante : « un lieu qui est à l’écriture ce que la bibliothèque est à la lecture ». La maison de la littérature du XXIe siècle, tournée à la fois vers la mémoire et la création, associe aux résidences d’écrivains des espaces publics pouvant accueillir des événements et des expositions autour d’une littérature qui s’écrit et se lit sur des supports numériques. Selon les termes du programme, il s’agit d’un lieu « unique en son genre et toujours surprenant » qui doit provoquer chez l’usager « une sensation de jamais vu ».

La concrétisation de ce projet prend place dans l’ancien temple Wesley, déjà occupé par l’Institut Canadien qui y installa la première bibliothèque publique de la ville en 1946. Construit en 1848 sous la direction de l’architecte Edward Staveley, l’édifice de style néogothique, classé au registre du patrimoine culturel du Québec, impose une présence forte dans le Vieux-Québec ainsi que dans l’histoire culturelle de la ville. Installer la Maison de la littérature à l’intérieur de ses murs constitue un double défi architectural : comment concilier les qualités spatiales exceptionnelles du temple avec une expérience du lieu censée renouveler l’imaginaire littéraire ? Comment affirmer la présence d’une institution culturelle du XXIe siècle tout en respectant le caractère monumental d’un édifice historique ?

Certains éléments de la description du concours préfigurent les réponses possibles à ces questions. « Aucun agrandissement n’est prévu dans le cadre du concours et les travaux se limitent essentiellement à l’intérieur de l’enveloppe existante. » Les équipes d’architectes devaient aussi travailler leur proposition en collaboration avec un scénographe. On pourrait comprendre, à la lecture du programme, que la réponse attendue est une mise en scène spatiale contenue à l’intérieur de l’enveloppe du temple qui propose au visiteur une expérience sensorielle et interactive. Parmi les quatre équipes sélectionnées, trois ont répondu à cette attente, tandis que les architectes montréalais Chevalier Morales et le scénographe Luc Plamondon, lauréats du concours, ont adopté une position différente.

Les équipes Éric Pelletier, avec GSMPRJCT°, et Brière Gilbert + In Situ, avec Plante, ont abordé la question de l’expérience du lieu avec la notion de parcours. Ce projet prend la forme d’une succession de séquences thématiques où, selon les termes des concepteurs, architecture et scénographie entretiennent une relation « symbiotique ». Des tableaux, passages et alcôves, présentant chacun une ambiance spécifique sont amalgamés en un labyrinthe tridimensionnel. Ce dispositif autonome occupe le volume disponible, entretenant une certaine indifférence pour l’architecture de l’édifice existant, réduit à une simple enveloppe. Le jury, séduit par les qualités scénographiques de la proposition, a été rebuté par le manque d’adaptabilité de ce dispositif où « tout est mesuré et calibré afin de produire les effets escomptés, dans une séquence riche qui, en contrepartie, s’avère plutôt inflexible. » Dans le projet de Brière Gilbert, In Situ et Plante, le parcours se déploie autour d’un vide central, guidé par un « ruban scénographique » et interactif, à la manière d’un fil d’Ariane. Malgré l’emphase placée sur la verticalité de l’espace de circulation, le volume intérieur du temple est restreint par l’ajout de deux nouveaux planchers et deux circulations verticales cloisonnées, structures jugées « spatialement envahissantes » par le jury.

Les architectes Ramoisy Tremblay, en collaboration avec Moment Factory ont développé un rapport radicalement différent entre architecture et scénographie, avec un dispositif basé sur l’immatérialité des nouvelles technologies de communication : un « marque-page » électronique distribué à chaque visiteur. La légèreté de l’intervention architecturale reflète ce minimalisme, créant un espace dégagé où la déambulation libre s’effectue au gré des individualités. Les programmes connexes étant dissimulés dans le sous-sol et les combles de l’édifice, les seuls éléments qui semblent ajoutés à l’édifice original, sont le café, utilisant la figure d’un pont suspendu dans le volume de la nef, et les vitrines, jouant le rôle d’interface entre intérieur et extérieur. Du fait de ce manque de tangibilité, le projet a été évalué par le jury comme « trop conventionnel » pour faire de la Maison de la littérature un « projet d’exception ».

La force de chacune de ces trois propositions repose sur l’adéquation entre le concept scénographique et le parti architectural qui en découle. Ces démarches de conception symbiotiques, pour reprendre les mots d’Eric Pelletier, bien qu’elles répondent parfaitement aux attentes du programme, n’ont pas permis d’assurer la confrontation avec les qualités exceptionnelles du temple de Staveley. Chez Chevalier Morales, la conception du projet débute avec un geste architectural fort et risqué : là où tous les autres candidats ont accommodé la résidence d’écrivains et les zones dédiées à la création dans des espaces résiduels, ils ont choisi de placer ces programmes dans une annexe accolée au bâtiment existant. Par ce choix audacieux, les lauréats partaient avec au moins deux avantages : la possibilité de dégager entièrement l’espace principal du temple et celle de signaler la nouvelle institution culturelle par l’ajout d’un bâtiment icône, la « lanterne urbaine », sans prendre le risque de dénaturer l’existant. Soulagé de cette surcharge programmatique, le projet se développe de manière évidente entre les deux niveaux existants, reliés par deux larges trémies. Les installations scénographiques d’une matérialité riche se distinguent nettement du cadre architectural blanc et épuré. Plutôt qu’une relation de symbiose, on trouve une relation de complémentarité où les dispositifs scénographiques tirent parti de la volumétrie du temple pour augmenter les dispositifs architecturaux. Un concours d’architecture est toujours l’occasion de confronter une question à différentes propositions architecturales. Dans le cas de la Maison de la littérature de Québec, la situation exceptionnelle offerte par la réhabilitation de l’église Wesley interroge la fréquente surdétermination du parti au moment de la programmation. Ainsi, la prescription « Aucun agrandissement n’est prévu dans le cadre du concours et les travaux se limitent essentiellement à l’intérieur de l’enveloppe existante » aura fait la fortune de ceux qui s’en sont détournés. On ne peut que saluer l’initiative d’associer les compétences d’un scénographe à celles de l’équipe d’architecte, dès les premières esquisses du projet. Cependant, certains des résultats de ce concours montrent une orientation du parti architectural en faveur d’une réponse d’ordre plus scénographique. Chevalier Morales et Luc Plamondon, dont la proposition a fait l’unanimité parmi les membres du jury, ont réussi la convergence entre les qualités architecturales du temple et les qualités scénographiques du projet en répondant hors des bornes imposées par le programme. La littérature valait bien une telle inflexion de la commande.
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