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Trop d’architecture, pas assez de paysage?
par Bernard-Félix Chénier, publié le 2016-03-29
En appelant à redonner l’accès au fleuve Saint-Laurent aux citoyens de Montréal, le concours de design de la plage de l’Est a mis en évidence la complexité de l’affirmation d’un geste architectural intégré au paysage, par delà l’intention de retisser des liens entre le fleuve et la communauté. La complémentarité des interventions entre architectes et architectes paysagistes s’est avérée un élément décisif pour la sélection des lauréats et certaines propositions ont démontré une sensibilité inédite.

Les Montréalais sont bien conscients qu’ils vivent sur une île. Toutefois, le mode de vie insulaire n’est que très peu mis en valeur, lorsqu’il n’est pas complètement absent. Il importe de reconnaître que les infrastructures urbaines ont contribué à cette stigmatisation. Ce concours proposait le réaménagement d’un site vacant au bord du fleuve Saint- Laurent dans l’arrondissement Pointe-aux-Trembles, à l’est de l’île de Montréal. Les propositions devaient impérativement favoriser l’accès au fleuve par un concept de « plage remarquable ». Ce type d’intervention unissant l’architecture et le paysage faisait écho au mouvement des grands parcs nord-américains du 19e siècle, tout en le resituant dans un courant plus contemporain de réhabilitations des friches urbaines. Le Highline de New York, la promenade Samuel de Champlain à Québec, Point Pleasant Park en NouvelleÉcosse, Sugar Beach en Ontario, la Promenade Smith dans le quartier Griffintown et la plage de l’horloge à Montréal sont autant d’exemples contemporains qui témoignent de cette tendance tournée vers la sublimation des paysages urbains. Il est toutefois remarquable qu’au terme de ce concours ce soient plus de 36 propositions qui ont été soumises, dont cinq seront sélectionnées comme finalistes.

L’un des objectifs visait la complémentarité entre l’intervention architecturale et paysagère. Si les projets soumis illustrent clairement la complexité associée à l’intégration du bâti dans le paysage, les interventions architecturales peuvent être divisées en deux catégories ; avec d’un côté une architecture « déposée », de l’autre une architecture que l’on peut qualifier d’émergente.

Le CCC n’ayant pas eu accès à l’ensemble des propositions soumises à ce concours organisé par le Bureau du design de la Ville de Montréal, les cinq projets finalistes ont été analysés afin d’en dégager les éléments significatifs. Les projets présentaient un fort potentiel d’appropriation par des activités récréatives et contemplatives en plus d’être soigneusement illustrés en montrant des concepts clairs.

Le projet « Les plages de l’Est » de Microclimat et Version Paysage propose une intervention architecturale compacte concentrant les infrastructures en une zone circonscrite. Cette disposition permet de dilater le reste du programme dit « naturel » en multipliant les possibilités de contact avec le paysage fluvial et les activités nautiques. La tour, qui fait office de phare, est à ce point imposante et massive que le jury l’a perçue comme une intervention contradictoire dans l’intégration au contexte. La projection d’une zone de développement potentielle pour des infrastructures publiques et privées s’offrait comme un moyen d’amortir les investissements et de dynamiser les abords du site. Néanmoins, ce type de proposition reste d’une définition plutôt floue, pouvant laisser place à des excès, risquant de compromettre l’équilibre entre l’intervention paysagère et architecturale.

Du côté de l’équipe formée de l’Atelier Barda et NIPpaysage, la proposition est méticuleusement intégrée au contexte grâce à une intervention végétale riche et diversifiée. Le concept d’aménagement est à la fois souple et bien structuré, laissant prévoir une évolution harmonieuse. Toutefois, la tour est traitée avec trop peu de soins, ce qui a un impact notable sur l’intégration au contexte. L’approche paysagère domine sur cette architecture pour ainsi dire « déposée ».

La proposition architecturale du Groupe Rousseau Lefebvre et JPB architectes offre un équilibre contraire au précédent au point que certains questionnements persistent quant à la pertinence d’un quai en « S » ainsi qu’un bâtiment évoquant certaines expérimentations paramétriques dont la forme manque de contrôle. Il s’agit ici d’un exemple d’architecture propre à susciter un certain malaise. Il faut souligner que la proposition du Groupe Rousseau Lefebvre et JPB architectes reste sensible à la typologie naturelle par la conception d’unités paysagères telle que l’aspergeraie, le verger, les dunes et les feuillus du Saint-Laurent.

Une approche analogue est perceptible dans la proposition de Vlan Paysage et The Commons Inc, prenant le parti de créer des « lieux » dont les caractéristiques complémentaires permettent de générer une identité forte. Le quai des pêcheurs, la clairière, la terrasse, le quai des brumes, l’étang aux grenouilles et la dune qualifient et enrichissent l’intervention. La proposition mise davantage sur la création d’un nouveau profil du site plutôt que par une intervention architecturale conventionnelle. Il s’agit d’une intervention architecturale qui émerge du paysage en tirant profit de la topographie et des paramètres naturels. Malgré la force conceptuelle de l’intervention, les dispositifs mis en place n’assurent pas la continuité entre le concept et la proposition et les perspectives révèlent un espace vaste aux limites imperceptibles, en dépit du fait que le site soit relativement circonscrit.

Le projet de Ruccolo + Faubert Architectes inc. et Ni conception architecture de paysage apporte une vision structurante qui intègre le paysage. Plusieurs dispositifs architecturaux et paysagers ont été mis en place afin de favoriser l’accès aux berges en plus de multiplier le potentiel d’appropriation. Le jury a apprécié le travail topographique dans un esprit cohérent avec le contexte naturel. De surcroît, la synergie entre le site et les activités potentielles, le contact avec le fleuve, l’adaptabilité dans le temps et la création d’une identité propre au quartier sont des éléments forts de la proposition qui ont joué en faveur des lauréats. Il faut souligner que les idées y sont exprimées simplement et clairement, le tout étant relativement didactique sans surcharger les interventions. Le bâtiment induit une symbiose entre l’architecture et le paysage par une perversion topographique. Le bâtiment émerge du site par le moyen d’une jetée structurante servant à la fois de structure de promenade et de toiture. Paradoxalement, l’intégration du bâtiment au paysage donne à anticiper quelques problèmes, notamment par l’espace créé sous la structure qui, par endroits, semble rébarbatif.

Ce concours met en évidence la délicate question de l’intégration de l’architecture et du paysage dans un contexte fluvial et démontre la complémentarité inhérente à ces disciplines du « design de l’espace public ». Les organisateurs du concours ont probablement minimisé l’impact d’une vision plus large de la problématique d’accès au fleuve, préférant jeter leur dévolu sur une petite parcelle de l’est de l’île. Une question demeure : pourquoi ne pas avoir orienté ce concours vers un horizon plus large, afin d’activer le potentiel d’accès aux berges du fleuve Saint-Laurent à une échelle métropolitaine ?
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