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Un modernisme élégant au secours d’un postmodernisme désuet
par Jean-Pierre Chupin, publié le 2018-04-17
Le jury du concours initial pour le Musée d’art contemporain de Montréal (MACM) en 1983, porté par Gae Aulenti et Raymond Affleck, s’était confondu dans des débats postmodernes qui apparurent aussi datés que désuets, une décennie plus tard, en 1992, à l’ouverture du musée. La révolution « postmo » ayant fait long feu, en architecture à tout le moins, la Place des Arts étant devenue un véritable Quartier des spectacles, l’édifice du MACM, qui ne fit jamais la preuve de son insertion urbaine en dépit des principes avancés, faisait office depuis longtemps de paquebot triste et encombrant. Lancé en 2017, par l’équipage MACM / MCC / SQI, le concours contemporain devait avant tout rectifier le tir. Si la comparaison des deux procédures révèle une régression, voire une fermeture inquiétante des concours, le jugement des 4 projets sélectionnés laisse l’équipe Saucier + Perrotte / GLCRM architectes lauréate, sans appel.

Il n’est pas inutile de rappeler quelques faits historiques. Du concours de 1983, on trouvera une documentation malheureusement sommaire sur le CCC, les archives ayant été perdues ou détruites nous l’avions tout de même publié en 2006. Il eut pourtant tout de l’événement architectural dans un Québec résilient, encore sous le choc du référendum de 1980. Le concours ne fut pas parfait. Le programme initial avait mal évalué les besoins et Gae Aulenti, tout juste auréolée de la réalisation du Musée d’Orsay à Paris, quitta en cours de délibération. Il fallut près d’une décennie pour s’accorder sur le programme à réaliser : le résultat, on le sait, fut décevant. Il reste que l’appel à concours de 1983 fut ouvert à TOUS les architectes de la province, contrairement à la procédure actuelle, largement contrôlée par un ministère de la Culture et des Communications qui a beau jeu de définir ses propres règles tant il est seul à procéder par concours. Pas moins de 101 équipes (nombre qui ne s’invente pas) s’aventurèrent sur la Place des Arts et on se prend à rêver à la variété des projets et des véritables innovations que nous serions en mesure de présenter, si les jeunes et moins jeunes bureaux d’aujourd’hui avaient la même opportunité de concourir qui fut accordée à leurs aînés.

Nouveau concours, procédure bien différente. Suite à l’appel de candidatures en juin 2017, seuls 11 bureaux ont osé soumettre un dossier, dont 2 seront jugés non conformes. Il était encore envisageable d’inviter les 9 équipes, mais la procédure restrictive - et toujours opaque - de la « présélection » a réduit l’événement à 4 équipes familières de l’exercice : Atelier Big City + FSA architecture, Consortium DHA + NFOE architectes, Consortium Saucier + Perrotte et GLCRM architectes, Provencher Roy + Associés architectes. Un jury de 7 personnes, dont 4 architectes, intégrait à la fois le président du Conseil d’administration du MACM (le très présent Alexandre Taillefer) et son directeur général (le respecté John Zeppetelli). Président du jury en 2017, l’architecte Mario Saia, connaît bien le site pour avoir produit le pavillon des sciences de l’UQAM, qui fait écran au nord de la Place des Arts, mais également pour avoir été un des 100 concurrents malheureux en 1983 : comme le furent les regrettés Dan Hanganu, Victor Prus, Roger d’Astous et bien d’autres. Autant dire que toute une génération eut maille à partir avec ce qui devint, malheureusement, l’éléphant blanc de l’art contemporain au Québec. Au vu de l’extraordinaire densification du Quartier des Spectacles, il était urgent non seulement d’agrandir le musée, mais plus encore de lui donner un souffle nouveau, une véritable présence.

Sans vraiment refaire le procès du postmodernisme, les principaux objectifs visés du concours mentionnaient : l’amélioration de l’accessibilité et de la visibilité de l’entrée principale du Musée, l’augmentation de la superficie des espaces d’exposition (comprenant les aires d’exposition et les salles d’exposition), l’augmentation des espaces dédiés à l’éducation. Mais la rédaction du programme ne fera pas date dans les annales de la littérature architecturale. Un passage devant faire office de diagnostic de l’existant mérite d’ailleurs d’être cité tel quel à l’appui de notre critique. On y déclare que : « Le bâtiment, bien que marquant par sa volumétrie postmoderne singulière, n’exprime pas l’identité propre du MACM. L’absence d’éléments signalétiques majeures (sic) sur ses façades ou d’autres éléments identitaires forts ne participent (sic) pas à son rayonnement. » Analyse bancale et syntaxe douteuse dont on ne peut manquer de rapprocher l’argument stylistique, dans le même document, portant sur l’évolution de l’art contemporain tant il vente cette fois les mérites multidisciplinaires du postmodernisme en appui de la transformation du musée, car : « … un changement profond de l’expression de l’art contemporain est marqué par l’arrivée du postmodernisme. Principalement caractérisé par une multiplicité de disciplines qui utilisent à leur tour divers médiums, ce mouvement comprend les projections, les performances et les installations temporaires. » En résumé, l’art contemporain est animé par des pratiques postmodernes qui ne s’accommodent plus d’un édifice…postmoderne.

Un postmodernisme pouvant en chasser un autre, il reste que les concurrents étaient appelés à proposer un aménagement adaptable à de nouvelles formes d’exposition, tout en augmentant la superficie du musée de manière à exposer une plus grande partie de sa collection permanente. Ironie (autre stratégie postmoderne) mise en veille, on ne résistera pas au plaisir de citer un dernier passage du programme qui trahit bien l’écart entre le discours architectural dit contemporain et les attentes d’une « clientèle » que l’on juge à ce point soucieuse de rééquilibrage que le terme « harmonie », pourtant fort peu en usage dans les écoles d’architecture aujourd’hui, figure deux fois dans la même phrase : « La volumétrie générale du bâtiment devra s’harmoniser avec les différents bâtiments de la Place des Arts et être développée en harmonie avec les fonctions culturelles du Quartier des spectacles. Le nouveau Musée doit établir un dialogue fort avec les édifices culturels avoisinants. »

Qu’en fut-il dès lors de la résolution de cette équation (insertion / harmonie / agrandissement) dans les 4 projets (jugés en décembre 2017 tandis que l’annonce du lauréat ne sera faite qu’en avril 2018) ? Le jury se déclare unanime et il faut bien avouer que la proposition de Saucier + Perrotte / GLCRM se démarque clairement, tant les 3 autres concurrents semblent avoir multiplié les erreurs d’interprétation de la commande et de son contexte : difficile de les blâmer à la lecture du « programme de construction ». Le récapitulatif du rapport du jury se veut précis, mais laconique. Le format désormais imposé par les édiles du Ministère de la Culture et des Communications du Québec se présente sous la forme d’un tableau à 3 colonnes (arguments en faveur de la prestation, arguments en défaveur de la prestation, réserves du jury). Avec un tel tableau, aucun risque de fautes de syntaxe cette fois, aucun effet de rédaction ne semble permis, ce qui est dommageable pour un résumé de jugement collectif et qualitatif. Le document offre tout de même des indices assez précis sur plusieurs points : les questions d’intégration au contexte, les aspects fonctionnels, l’expérience des lieux, le développement durable, l’innovation, la qualité technique et constructibilité de l’œuvre, la faisabilité, le respect des aménagements scéniques et le respect des limites d’agrandissement. Sur le plan du respect des limites, deux des projets ont reçu la mention bénigne « corriger le léger empiétement sur l’Esplanade », les deux autres devant « valider le traitement devant l’entrée principale ». Société du risque oblige, tous les projets ont été jugés « faisables » sous réserve d’une validation par une « analyse de la valeur ». Les autres critères ayant fait l’objet de remarques négatives seront certainement jugés sans gravité par bien des architectes : on reproche par exemple à certains projets de placer les locaux éducatifs en sous-sol ce qui pourra apparaître comme un jugement de valeur à quiconque n’a pas visité le Royal Ontario Museum ou la nouvelle extension du Musée des Beaux-Arts de Montréal, qui s’en tirent très bien avec la même stratégie. Sur le plan fonctionnel, rien de bien inquiétant non plus pour la plupart des projets. On note certains manques de flexibilité dans la conception de l’atrium chez Provencher Roy, l’aménagement d’une entrée sur Jeanne-Mance qui complique la gestion du musée chez DHA + NFOE, ou encore une certaine confusion dans l’entrée principale chez Big City + FSA à qui l’on reproche du même trait de ne pas avoir présenté les plans des niveaux 3 et 4. Quant à Saucier + Perrotte / GLCRM on note que « l’organisation des ateliers éducatifs n’est pas optimale pour une très jeune clientèle ». Rien en somme qui explique jusqu’ici le choix du lauréat. Pour comprendre la décision dite unanime du jury, il faut plutôt considérer cette tension urbaine, pourtant mal formulée dans le programme, entre deux critères complémentaires de ce concours : l’intégration au contexte et l’expérience des lieux. En d’autres termes, comment concevoir un musée, aussi vivant que contemporain, en plein cœur du quartier le plus animé de Montréal ?

Considérant que le musée aura des comptes à rendre à trois contextes très différents, l’esplanade historique de la Place des Arts, la dynamique de la rue Sainte-Catherine et la place des festivals sur la rue Jeanne Mance, le projet de Big City + FSA se vaut les critiques les plus acerbes pour l’intégration au contexte : « On s’inquiète de la pérennité du projet dans son contexte (et d’une) entrée principale qui manque d’envergure ». Cet « argument en défaveur de la prestation » devrait être pourtant compensé par deux remarques figurant dans la colonne « arguments en faveur » où il est dit, d’une part, qu’il s’agit de la meilleure proposition en matière de développement durable et surtout que le projet est : « complètement différent des trois autres et en lien direct avec l’art contemporain ». Si le projet de Provencher Roy est gratifié d’un compliment au chapitre de l’innovation pour la possibilité d’accroître les revenus en louant les espaces, il ferait état quant à lui état d’une « certaine faiblesse dans le dialogue avec l’Esplanade », tandis que celui de DHA + NFOE voit « la présence de la paroi plissée sur l’Esplanade » créer une dissension dans le jury. Par contre, le projet de Saucier + Perrotte reçoit une excellente note sur ce chapitre. On considère, ni plus ni moins, le « Parti architectural particulièrement significatif pour les Montréalais et le musée ». S’exprimant toujours au nom des Montréalais, le jury y voit un « projet apte à devenir iconique ». Suprême compliment qui montre bien le caractère paradoxal du critère « intégration au contexte », puisque le projet lauréat dispose d’une « facture architecturale séduisante qui s’intègre bien au contexte tout en étant distincte ».

Sur l’expérience des lieux, le jury a été particulièrement sévère avec le projet de Provencher Roy, percevant un « manque de sensibilité », tandis que sur le critère innovation, le traitement architectural de la façade sur Ste-Catherine du projet de Big City + FSA est jugé « dérangeant et non résolu ». Comme quoi l’expérience des lieux reste également un critère aussi englobant que flou.

Laissant aux lecteurs du CCC le loisir d’apprécier ces 4 projets, force est de constater que la stratégie de communication architecturale et visuelle du projet lauréat restait la plus claire, la mieux présentée et, somme toute, la plus raffinée. Tandis que les planches de DHA + NFOE déployaient les 3 façades (ces 3 termes de la véritable problématique) sur trois planches distinctes, compliquant la saisie de leur articulation, tandis que Provencher Roy ne rassemblaient que deux vues en vis-à-vis, et tandis que Big City + FSA se perdaient dans un de leurs manifestes chromatiques favoris (jugé tour à tour « dérangeant, inquiétant et non résolu » : trois objectifs que l’art contemporain s’emploie souvent à conjuguer), seul le projet de Saucier + Perrotte / GLRCM a pris le soin de montrer, clairement et simplement, la déclinaison des trois rapports en une jolie leçon d’architecture urbaine contemporaine :
1 – Le rapport à la rue Jeanne Mance ne cherche pas à gommer, camoufler ou à dédoubler le parti initial très rythmé de JLP, mais introduit une grande béance suspendue, sorte d’immense loggia théâtrale transformant le musée en spectateur, suspendu aux premières loges de la grande place des festivals. Les grands mats jouant presque le rôle d’improbables « cannes à pêche aux passants ».
2 – Le rapport à la rue Sainte-Catherine, à la fois sobre et raffiné, ne sacrifie rien à la signalétique. La localisation de l’entrée du musée est soulignée et protégée et l’angle des rues Jeanne Mance et Sainte-Catherine se trouve bien marqué par une volumétrie misant simplement sur l’angle droit et le porte à faux : véritable rectification de la forme urbaine auparavant éventrée de la Place des Arts. Un rideau métallique jouera de moirés et de l’anamorphose pour cacher ou révéler. Peut-être même autorisera-t-il les projections à la « Moment Factory ».
3 – Le rapport à l’Esplanade n’est ni confus, comme chez Big City, ni un étrange écho aux grands foyers des théâtres et de l’OSM, comme chez DHA + NFOE, ni déférent aux courbures typiquement postmodernes du musée existant, comme chez Provencher Roy. Le rapport à l’Esplanade du projet de Saucier + Perrotte / GLCRM architectes assume totalement la linéarité existante tout en la rectifiant et en la simplifiant dans sa tectonique, comme dans sa hiérarchie. Le jury considérera d’ailleurs le « Geste architectural spectaculaire, audacieux, cohérent et contrôlé dont la pérennité est soulignée ». Compliment qui ne veut à peu près rien dire, mais qui dit en somme que ce projet a emporté l’adhésion par l’ensemble indéniable de ses qualités.

Pour avoir souvent exigé que les rapports de jurys soient rendus publics le plus rapidement possible après un concours, il faut saluer l’organisation de ce concours, mais il y a malheureusement surtout de quoi s’inquiéter que ces rapports du jury « nouvelle formule », en 3 colonnes comptables des pour, des contre et des « réserves » seront inévitablement incapables de rendre la complexité d’un jugement collectif et des heures de débat qualitatif qui font l’essence d’une procédure de concours. On en préférerait presque les pastilles de goût de la SAQ, tant cette liste des pour et des contre apparaît comme une formule bancale et adolescente.

Sur le plan architectural, il y a vraiment de quoi se réjouir de ce que l’édifice initial de Jodoin Lamarre et Pratte ne sera pas camouflé, ni oblitéré, par l’élégante insertion du projet lauréat. Il sera respecté pour ses qualités, corrigé en ces principaux défauts dont certains furent directement liés à la transformation totale du quartier depuis les années 1980. Et si la direction du nouveau Musée d’art contemporain de Montréal a tout de même largement failli à sa mission d’ouverture à l’expérimentation contemporaine en organisant, sous l’influence paradoxale de son ministère de tutelle et de la culture, un concours trop fermé et trop restreint, ne laissant aucune place à la relève, la Place des Arts s’en tire très bien ; car le modernisme élégant et respectueux du projet de Saucier + Perrotte / GLCRM se révélera, à n’en pas douter, comme un excellent investissement à long terme dans la haute qualité architecturale.

Jean-Pierre Chupin
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