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Du projet lauréat à la controverse publique
par Carmela Cucuzzella, publié le 2013-04-19
On suspecte souvent les concours de susciter des controverses sans toujours reconnaitre que l’échelle urbaine des projets les rend, par définition, ouverts au débat public. Lancé en février 2007, par la Toronto Waterfront Revitalization Corporation (TWRC) en collaboration avec le Toronto and Region Conservation Authority (TRCA) ainsi que la ville de Toronto, le concours Lower Don Lands cherchait à faire émerger des idées pour redonner la rivière à la ville, après plusieurs tentatives de requalification d’un site à l’ancienne vocation industrielle. Ce concours traitait la question de l’espace public, et avait l’opportunité d’harmoniser les rives et l’espace urbain. Il était exemplaire, non seulement pour les concepteurs, mais également pour les citoyens, puisqu’il s’agissait de concrétiser une très ancienne volonté communautaire.

Si 29 équipes en provenance de 13 pays ont soumis des dossiers de qualification en première phase, quatre équipes furent sélectionnées pour participer au concours :

• Stoss, Boston ; Brown + Storey Architects, Toronto ; Zas Architects, Toronto ;
• Michael Van Valkenburgh Associates, New York ; Behnisch Architects, Los Angeles ; Greenberg Consultants, Toronto ; Great Eastern Ecology, New York ;
• Weiss/Manfredi, New York ; du Toit Allsopp Hillier, Toronto ;
• Atelier Girot, Zurich ; Office of Landscape Morphology, Paris ; ReK Productions, Toronto.

Toutes jumelées à des équipes torontoises, venant des États-Unis et de Suisse, les 4 équipes avaient environ 8 semaines pour soumettre leurs propositions.

Belle occasion de reconstruire une rivière dans un centre urbain, le réaménagement des 40 hectares du Lower Don Lands faisait appel à deux critères principaux. Le premier, recherchait « une identité propre pour la rivière Don qui [permette] d’intégrer des mesures de protection contre les inondations et de répondre à des critères de restauration des habitats naturels ». L’idée principale était de délimiter la rivière comme un espace saisissant et inoubliable, dans une approche similaire à la Seine à Paris ou The Fens à Boston. Le second critère appelait « un concept audacieux et complet qui réconcilie le développement des infrastructures de transport et l’embouchure de la rivière pour former un ensemble harmonieux. » L’accent était mis cette fois sur l’atteinte d’un équilibre entre les diverses modifications aux infrastructures, de nouveaux chemins et sentiers, les transports en commun, les projets d’aménagements riverains et bien entendu le point focal de ce projet de réaménagement, la rivière elle-même.

Le projet gagnant, soumis par Michael Van Valkenburgh et Associates (MVVA), nommé Port Lands Estuary ne manquait pas d’audace et, parmi les finalistes, il offrait la meilleure intégration des environnements urbains et naturalisés, en créant un point de vue prenant sur les environs, à travers une mise en oeuvre graduelle et réfléchie. Le projet de Weiss/Manfredi/du Toit Allsopp Hillier, bien qu’architecturalement élégant, de par son approche contemporaine au paysage dans l’embouchure naturalisée de la rivière, a été perçu par le jury comme étant moins efficace au niveau des enjeux écologiques en lien avec la rivière. La proposition d’Atelier Girot a été considérée ambitieuse grâce à son intégration de la rivière et de sa morphologie au contexte urbain. Par contre, cette approche ne semble pas avoir pris en compte les transports dans le secteur d’intervention et le réseau de mouvements reliés aux zones urbaines avoisinantes. Enfin, le consortium Stross Landscape Urbanism/ Brown + Storey Architects/ZAS Architects a soumis plusieurs idées innovatrices, contribuant à la fois au développement durable et à l’environnement urbain sans toutefois offrir d’approche globale convaincante pour les Lower Don Lands.

Depuis 2007, le projet lauréat s’est mérité une multitude de prix. De nombreux efforts ont été déployés en phase préparatoire pour mettre en oeuvre cette proposition, menant finalement à l’obtention d’une approbation en 2010. Les choses ont commencé à se compliquer sérieusement en 2011, dans la foulée des élections municipales. Les critiques ont commencé à fuser pour renverser les précédentes décisions, sous le prétexte qu’il s’agissait d’une « utopie socialiste », frivole et couteuse pour la Ville. Le Comité exécutif de la ville produisit une nouvelle version du plan dans lequel le secteur public se désengageait complètement du projet pour laisser la place au secteur privé. De toute évidence, il s’agissait d’une solution à court terme, destinée à produire un résultat immédiatement médiatique. Là où la proposition lauréate démontrait une grande sensibilité au site, offrant de nombreuses opportunités d’inclusion de la communauté, le virage effectué par l’Administration promettait plutôt, parmi d’autres projets privés, un mégacentre commercial, une grande roue et un hôtel de luxe. Plus de parc riverain ou d’aménagement des zones inondables, rien que de la promotion immobilière.

Une fois passé le choc initial, la très forte réaction de la communauté s’est transformée en un comité de défense du projet, mis sur pied par les citoyens, ainsi qu’en une coalition institutionnelle fondée par certaines organisations. Après plusieurs semaines de grandes tensions, un vote consensuel à l’Hôtel de Ville de Toronto a finalement décidé de soustraire le projet au domaine privé. Il reste que si cette histoire a connu une fin heureuse, jusqu’à présent, nul ne sait encore ce qu’il en sera à l’avenir.

Ce cas est donc exemplaire d’un exercice de réflexion sur la planification urbaine par concours qui, sans la réaction très vive de la communauté, aurait pu se transformer en une vulgaire opération de marketing immobilier. On ne peut donc affirmer que les concours provoquent les controverses, mais il est indéniable qu’ils servent d’abord à stimuler le débat public, avant, pendant et après leur déroulement.
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