Quelle vie après la mort ? Le concours pour la reconstruction de l'église Saint-Paul d'Aylmer
Organisé en 2009 par la fabrique d’une paroisse de la ville de Gatineau, le concours d’idées en une étape pour la reconstruction et la réutilisation de l’église incendiée Saint-Paul d’Aylmer (construite en 1894) n’a attiré que neuf propositions d’architectes au Canada et a été peu diffusé hors des médias de la région de l’Outaouais. Pourtant, ce concours récent est digne d’intérêt autant pour la qualité du jury (ses membres comptent trois experts de calibre national en matière de patrimoine) que pour celle des propositions primées. Surtout, les résultats offrent un regard peu commun sur l’attitude actuelle des architectes face au patrimoine ruiné : faut-il le laisser tel quel, le restaurer à son état d’origine ou profiter d’un événement catastrophique pour repenser le monument autrement ?
Heureusement relativement rare, ce type d’intervention constitue en effet un révélateur particulièrement puissant de l’évolution des approches à la conservation architecturale. Lorsque le campanile de Saint-Marc à Venise s’est subitement écroulé en 1902, l’architecte et restaurateur Luca Beltrami a prononcé cette phrase restée célèbre :
Dov’era, com’era. À ses yeux, l’Italie n’avait alors d’autre choix que de reconstruire l’ouvrage là même où il se trouvait, en respectant à la lettre son apparence d’origine. De même, lorsque la cathédrale Notre-Dame de Québec a été détruite par le feu en 1922 (seuls les murs extérieurs sont restés debout), les architectes Raoul Chênevert et Maxime Roisin ont entrepris d’en reconstruire à l’identique le somptueux décor intérieur mis en place au XVIIIe siècle.
Pourtant, dès le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’étendue des destructions et surtout la montée en puissance du modernisme architectural ont conduit à d’autres solutions plus circonspectes. Ainsi, à Coventry, l’architecte britannique Basil Spence a choisi de laisser debout les murs ruinés de la cathédrale médiévale en guise de mémorial au martyre de la ville bombardée. Pour accommoder le culte, il a érigé à côté une nouvelle nef, à structure de béton armé et façades de grès (1962).
Ce mélange de respect et de distance à l’égard du monument ancien caractérise également plusieurs projets d’architecture moderne au Canada, dont les plus remarquables sont la reconstruction de la cathédrale Saint-Boniface à Winnipeg (1972) et celle de la chapelle du Sacré-Coeur de la basilique Notre-Dame à Montréal (1978).
Chacun à leur façon, ces projets affirment le fait de la destruction comme une rupture irrémédiable dans la vie du monument. À Saint-Boniface, Étienne Gaboury a érigé un modeste vaisseau sur les ruines du choeur et exposé le reste aux éléments, transformant ainsi les murs de la nef d’origine en une sorte d’immense et solennelle antichambre à ciel ouvert. À Montréal, les architectes Jodoin Lamarre Pratte ont recréé les boiseries sculptées de la chapelle du Sacré-Coeur, mais sans leur polychromie d’origine ; au-dessus, ils ont fait flotter une austère voûte en bois qui protège, sans y toucher, ce décor reconstruit. Laissée à nu et baignée de lumière zénithale, cette chapelle tient davantage de la trace que d’une présence encore vivante.
Contrairement aux exemples précédents, l’église Saint-Paul d’Aylmer n’est pas un monument religieux ou architectural majeur. Pourtant, les prémices du concours et les propositions pour sa reconstruction révèlent clairement l’émergence d’une approche nouvelle au patrimoine religieux. En effet, dans le Québec du XXIe siècle, la reconstruction d’une église est devenue avant tout un problème d’échelle et d’usage. Comment adapter un vaste intérieur à la pratique religieuse plus modeste d’aujourd’hui ? Si l’on se résout à faire cohabiter culte et usages profanes, comment assurer la cohérence entre le signe et la réalité du lieu ? Enfin, comment conserver la centralité d’une église dans sa communauté, alors qu’en perdant son caractère sacré elle devient un édifice comme les autres ? Dans la mesure où le programme demandait aux concurrents non seulement comment reconstruire, mais aussi quelles pouvaient être les vocations futures du lieu, les trois projets primés par le jury ont tous dû confronter ces questions.
Traitant les murs de l’église comme une enveloppe neutre et disponible, les architectes Brault/Lapointe Magne (projet lauréat) ont proposé d’intervenir de façon minimale sur l’extérieur, mais d’en réinvestir l’intérieur au moyen de nouveaux volumes fortement caractérisés. Dans la nef, une coque de bois suspendue du toit et détachée du sol définit un lieu de culte plus intime. Grâce à sa configuration variable, celui-ci peut aussi se transformer en salle de spectacles. L’ancien sanctuaire accueille quant à lui un cylindre haut de quatre étages, ouvert sur le ciel, où sont logés les espaces communautaires et locatifs.
Les architectes Labonté Marcil (2e prix) ont misé sur une stratégie opposée : ici, c’est avant tout le travail sur le paysage environnant qui détermine le sens et les usages collectifs du lieu. Affectée en partie au culte, en partie à une bibliothèque publique, l’église s’ouvre à l’est sur un vaste parvis à caractère festif, comprenant une scène, un auditorium gazonné et un marché public. Ce nouvel îlot institutionnel est clos par un ensemble d’habitations collectives alignées sur rue. Le questionnement le plus radical vient toutefois des architectes Jodoin Lamarre Pratte (3e prix). Alors que les projets précédents restituent l’effet de masse de l’église d’origine, on propose ici d’exploiter la qualité fragmentaire des ruines en les enveloppant d’une résille d’acier. L’accès principal aux espaces publics se fait désormais par une rampe creusée menant au sous-sol ; en hauteur, ce parcours se poursuit par des plateformes et passerelles projetées dans le vide de la nef. Surtout, les usages deviennent nomades : le culte n’est qu’un événement potentiel parmi d’autres dans un espace public transparent à la vue.
Aucun de ces projets n’est pleinement abouti, et tous hésitent à transgresser le type familier hérité de la deuxième moitié du XIXe siècle : volumétrie avec clocher et toit à deux versants ; disposition axiale du parcours ; subdivision en nef, transept et choeur. Par ailleurs, l’instabilité des murs incendiés et l’ampleur des investissements requis ont mené, depuis la tenue du concours, à la démolition complète de l’église. Mais même non réalisés, ces projets posent des hypothèses susceptibles de développement quant à l’avenir de nombreuses autres églises du Québec appelées à être délaissées en tout ou en partie par le culte.
Victime d'un incendie criminel le 11 juin 2009, il ne reste que les murs extérieurs de pierre de l'église Saint-Paul d'Aylmer, achevée en 1894 par les architectes Louis-Zéphirin Gauthier et Victor Roy. Le conseil de la fabrique de Saint-Paul souhaite maintenant rebâtir « un nouveau bâtiment moderne à l'intérieur des murs de pierre de la structure originale ». L'organisation désire maintenir le même gabarit et la même silhouette extérieure, tout en modernisant l'intérieur afin de répondre non seulement aux besoins cultuels de l'institution, mais aussi aux fonctions sociales nécessaires à la population croissante d'Aylmer.
Conscients que l'avenir de l'église est étroitement lié à une ouverture vers de nouvelles vocations, le concours lancé par le conseil de la fabrique Saint-Paul est d'abord un concours d'idées. Les organisateurs cherchent à diversifier l'usage du nouveau bâtiment en ajoutant par exemple une salle communautaire ou une bibliothèque ce qui permettrait d'accéder à des subventions gouvernementales, car les fonds de la fabriques ne sont pas suffisants à la reconstruction. Le concours fait donc appel aux architectes qui oeuvrent en histoire, ethnographie, aménagement et urbanisme, afin qu'ils proposent une solution architecturale, mais aussi des pistes pour trouver le financement nécessaire à la reconstruction.
Les organisateurs de ce concours souhaitent un projet «tout à fait novateur, qui pourrait faire force d'exemple ou de modèle pour différents projets similaires au Québec, sinon au Canada».
Voici quelques critères recherchés :
- Un concept qui saurait allier patrimoine et histoire avec innovation technologique et écologie,
- Un projet qui pourrait satisfaire adéquatement les besoins cultuels de la Paroisse Saint-Paul d'Aylmer tout en répondant, entre autres, à des besoins communautaires et culturels beaucoup plus vastes et rassembleurs pour l'ensemble du milieu,
- Un projet RASSEMBLEUR,
- Un projet qui serait naturellement réalisable en fonction des ressources et programmes disponibles et, à cet effet, les firmes participantes devront non seulement proposer des concepts architecturaux mais également des pistes sérieuses de financement.
Mettant donc l'emphase sur la diversification des usages, le respect du patrimoine et le financement, le porte-parole du conseil de la fabrique Saint-Paul rappelle qu'il « serait ridicule que la Ville de Gatineau permette la démolition de l'église Saint-Paul et que dans 10 ans, quand la population du secteur Aylmer aura atteint 40 000 personnes, elle ait besoin d'un édifice multifonctionnel de la taille de l'église actuelle ».
(Tiré du programme du concours)
Des quelque 30 firmes ayant manifesté de l'intérêt pour le concours, une vingtaine se sont inscrites en bonne et due forme et, finalement, 9 de ces firmes se sont rendues jusqu'au bout, les autres devant abandonner en cours de route, en raison d'une surcharge de travail.
Un jury de sélection, composé de 9 personnes et représentant les secteurs de l'architecture, de l'ingénierie, de l'urbanisme, de la gestion, du patrimoine religieux, de la culture et du culte, s'est réuni le 24 avril dernier pour évaluer les différentes propositions. Le jury était constitué, par ordre alphabétique, de : Lyse Blanchet, Dinu Bumbaru, Claude Charbonneau, Jean-Charles Ferland, Michel-Rémi Lafond, Sylvie Lauzon, Marie Roy, Maria Triés Subercaseaux et Pierre Tanguay.
À l'aide d'une grille qui s'inspirait de la brochure explicative remise aux architectes participants et qui ne comptait pas moins de 28 critères, le jury de sélection a procédé à une analyse très pointue de tous les projets. Or, il faut le souligner, le choix ne fut pas des plus aisés et il s'ensuivit des discussions très poussées entre les membres du jury pendant toute la journée d'évaluation. En effet, tous les projets comportaient des idées extrêmement intéressantes et valables. En gros, les 28 critères étaient regroupés sous les grandes catégories suivantes : respect des exigences de base pour les documents demandés, architecture, respect et mise en valeur des éléments patrimoniaux, ingénierie,[réponse aux besoins cultuels, réponse aux besoins culturels réponse aux besoins socio-communautaires, faisabilité financière, phasage réaliste.
Il importe aussi de préciser qu'aucun des membres du jury ne savait quelle firme avait soumis tel ou tel projet. En effet, les noms des firmes n'apparaissaient pas sur les panneaux ou documents; il n'y avait qu'un numéro et les seules personnes à connaître l'équivalence entre le numéro et le nom de l'entreprise étaient le représentant de la firme d'architectes et, naturellement, le coordonnateur de ce concours d'idées, qui n'était pas membre du jury.
En résumé, les membres du jury ont été impressionnés par l'ensemble des propositions et leur qualité. Le niveau de créativité, comme chacun pourra s'en rendre compte en parcourant l'exposition des concepts qui seront présentés au Musée de l'Auberge Symmes pendant tout l'été, a été très élevé et certains membres du jury, qui ont déjà eu à gérer des projets de ce type, ont même déclaré avoir rarement vu un projet susciter autant d'enthousiasme et de créativité de la part des architectes participants.
De fait, tous ces projets apportent un espoir de résurrection et démontrent que, malgré le recul de la religion, un tel projet peut être source d'imagination, être rassembleur et contribuer à redonner à une communauté profondément meurtrie par l'incendie de juin 2009 son sens d'appartenance el d'identité collective. Ce sont dans l'ensemble des projets résolument tournés vers l'avenir tout en respectant le passé, des concepts aussi qui visent à établir une relation entre l'architecture et son environnement, la famille et la communauté, des concepts démontrant la polyvalence nécessaire à la viabilité du projet.
Cela dit, il faut garder à l'esprit que ce concours d'idées n'est qu'un départ. Même s'il y a des gagnants, cela ne signifie pas qu'on gardera les formes, matériaux, structures, aménagements intérieurs, ouvertures ou volumétrie extérieure tels que proposés. Ce n'est pas un contrat, mais un concours d'idées. Les concepts peuvent être retravaillés et il peut même arriver que deux ot trois projets soient combinés et les firmes appelées à travailler ensemble pour en arriver au concept qui réponde le mieux aux aspirations et besoins de la communauté.
De cet exercice très objectif et professionnel est ressorti le classement suivant : Premier prix (10,000 $) SP-021
Maxime Brault Architecte
Lapointe Magne et associés, architectes, urbanistes et programmateurs Montréal
Deuxième prix (5000 $) SP-013
Les architectes Labonté Marcil Montréal
Troisième prix (3000 $) SP-010
Jodoin, Lamarre, Pratte et associés architectes (Carlo Carbone, coordonnateur) Montréal
À. ces trois prix, vu qu'un autre projet s'était classé aussi très haut dans l'évaluation du jury de sélection et qu'il proposait des idées intéressantes du point de vue du Conseil de fabrique, celui ci a décidé d'offrir un quatrième prix ou prix honoraire d'une valeur de 2000 $ pour le projet suivant :
Quatrième prix (2000$) SP-014
Colin Fraser OAQ MAIBC Montréal
(Tiré du rapport du jury)
Jury | Lyne Blanchet, Ingénieur |
| Dinu Bumbaru, Directeur |
| Claude Charbonneau, Architecte |
| Jean-Charles Ferland, Administrateur |
| Michel-Rémi Lafond, Professeur.e |
| Sylvie Lauzon, Consultante |
| Marie Roy, Économiste |
| Maria Inés Subercaseux, Architecte |
| Pierre Tanguay, Urbaniste |
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30 novembre 2009: Lancement officiel du concours
19 avril 2010: Date limite de réception des dossiers
02 juin 2010: Annonce des lauréats
(Tiré des documents du concours)
Dufault, F.L. (2009, 30 novembre). Remue-méninges pour l'église Saint-Paul. Le Droit. Repéré à www.lapresse.ca/le-droit/actualites/ville-de-gatineau/200911/30/01-926583-remue-meninges-pour-leglise-saint-paul.php
Mercier, J. (2010, 2 juin). Des idées pour l'avenir de l'église Saint-Paul. Le Droit. Repéré à www.lapresse.ca/le-droit/actualites/ville-de-gatineau/201006/02/01-4286309-des-idees-pour-lavenir-de-leglise-saint-paul.php
Voyer, P. (2009, 30 novembre). Concours d'idées pour reconstruire l'église St-Paul. Info07. Repéré à www.info07.com/Societe/Spiritualite/2009-11-30/article-668901/Concours-didees-pour-reconstruire-leglise-St-Paul/1
Clermont, D. (2010, 4 Juin). Lauréats – « Concours d'idées pour la reconstruction et la réutilisation de l'église Saint-Paul d'Aylmer ». Kollectif. www.kollectif.net/11200/laureats-concours-d?idees-pour-la-reconstruction-et-la-reutilisation-de-l?eglise-saint-paul-d?aylmer/
Bégin, R.M. (2013) L'église Saint-Paul d'Aylmer : une belle occasion ratée. Histoire Québec, 18(3), 31-36. Repéré à www.erudit.org/culture/hq1056841/hq0536/68967ac.pdf
Ordre des architectes du Québec. (2012). Concours d'idées pour la reconstruction de l'église Saint-Paul d'Aylmer. Repéré à www.oaq-elevation.com/web/index.asp?pk_bulletin=322
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