Ou comment enterrer l'imagination
S'il ne sert à rien d'organiser un concours, quand on ne croit pas aux vertus de l'émulation et du jugement collectif, il faudrait surtout se garder d'organiser un concours d'idées quand on craint les surprises de l'imagination et de l'expérimentation. Le premier volet du concours d'idées Green Line (Toronto, 2012), présenté dans la récente mise à jour du CCC, assumait l'exercice d'idéation pour susciter le débat public, mais on comprend mal l'intérêt du second volet, intitulé « Underpass Solutions », qui imposait aux concepteurs de s'en tenir aux « idées réalistes et réalisables ».
Les éditoriaux qui accompagnent chaque mise à jour du Catalogue des Concours Canadiens ne sont pas rédigés comme des tribunes d'opinions et ne visent pas plus la promotion des concours qu'ils ne cherchent à encenser les lauréats ou à consoler les perdants. Par contre, en tant que chercheurs consacrant une part importante de nos activités scientifiques à la documentation et à la compréhension des concours et des pratiques contemporaines du projet, tant au Canada que dans le monde, il nous appartient de saisir cette occasion pour souligner que l'usage des concours d'idées requiert un minimum de respect des équipes de conception. Dans son règlement sur les concours internationaux, l'Union Internationale des Architectes insiste pour distinguer, peut-être abusivement, entre concours d'idées et concours de projets. Certains souligneront l'abus de langage, car cela sous-entendrait presque que les projets ne contiennent pas d'idées. On comprendra toutefois que la distinction relève d'une clarification des objectifs de chaque type de concours. Organiser un concours de projets, c'est toujours mesurer le degré de faisabilité et d'adéquation des propositions, c'est donc toujours une forme de réalisme, puisque le projet gagnant n'est pas forcément le plus audacieux ou le plus innovant. La célèbre réponse d'Adolf Loos, au grand concours du Chicago Tribune en 1922, est restée dans les mémoires justement pour sa capacité critique, mais les organisateurs attendaient bien une « solution », outre leur souhait de faire événement, en bons professionnels de la communication. Par contre, le fait d'organiser un concours d'idées suppose une volonté d'ouvrir la question à toutes les formes possibles de réponses, y compris, et peut-être surtout, ces réponses qui remettront en cause la question, le site, l'idée même d'une réalisation. Un concours d'idées, ouvert, peut-être la meilleure façon de préparer un grand concours de projet en permettant justement une reformulation de la problématique basée cette fois sur les propositions des concurrents.
Dans le cas du volet « Solutions souterraines » du concours d'idées Green Line (2012), les 15 projets reçus ont été à la hauteur de la double injonction contradictoire imposée par les organisateurs : médiocres, confus, inintéressants. Il s'agissait de s'adresser à ces lieux de franchissement, il y en a au moins 8 le long des 5 km de la ligne d'électrification qui traverse la ville de Toronto, ces passages souterrains, le plus souvent inquiétants, pour lesquels les concepteurs étaient invités à régler les questions de mobilité, de sécurité et de visibilité. La commande insistait sur la nécessité de fournir des idées « réalistes et réalisables », y compris en s'en tenant à une modestie budgétaire, sans que cette limite fasse vraiment l'objet de précision. La question était très intéressante, potentiellement une vraie « question de concours », d'autant qu'il ne manque pas de situations comparables dans le contexte canadien. Réfléchir à la qualité de ces passages souterrains vaut bien cet exercice d'intelligence collective qu'est le concours, la chose est entendue.
Dès lors quel est le problème ? En parcourant les 15 propositions qui se trouvent sur le site des organisateurs ( http://www.greenlinetoronto.ca/index.html ) et que nous nous contentons de relayer pour compléter la documentation, on ne trouvera pas vraiment de modèles au sens propre du terme. On trouvera des passages mal dessinés (voir le projet en fer à cheval), des projets verts au sens figuré (la tentative de constituer un arc de verdure est plutôt élégante), et des projets verts au sens propre (un concurrent n'ayant rien trouvé de mieux que de recouvrir les voies de circulation d'un tapis synthétique de couleur verte. On trouvera encore des marquages urbains, comme on en faisait pour les premiers ponts à hauban au XIXe siècle, celui de Bristol par exemple, sauf que dans le cas présent, il s'agit d'un souterrain. Puis du côté des projets fonctionnels et utilitaristes, on trouvera un essai de « théâtre souterrain », qui sera particulièrement troublé par le bruit assourdissant des passages de trains (la coupe trahissant la faiblesse de l'idée). Sur le plan sonore, on trouvera justement un projet (lauréat) misant sur la confection de murs acoustiques destinés à recevoir des interventions artistiques. Ailleurs, un autre mur en forme de grand miroir tente de faire disparaître la passerelle derrière un mur électronique, ou encore un projet de dispositif permettant de contourner les inondations de passages souterrains (ou comment créer un problème juste avant de le résoudre), et on trouvera surtout des idées de concurrents totalement inhibés par la commande contradictoire du concours au point de régurgiter le message. C'est par exemple le cas du projet de « Watershed refuge » qui conclut : « Les solutions prennent acte des réalités fiscales qui touchent aujourd'hui les gouvernements municipaux et les parties prenantes. Ces solutions sont soumises à un filtrage de ce qu'il est possible de réaliser et de reproduire dans les autres passages souterrains ».
Heureusement pour le monde des idées, mais cela n'a pas eu l'heur de plaire aux membres du jury, plusieurs concurrents ont misé sur la « lumière au bout du tunnel » et ont proposé différents dispositifs d'éclairage ou d'illumination fonction des passages, des passants et des situations. L'un joue sur les champs magnétiques, n'oubliant pas après tout qu'il s'agit d'un vaste corridor électrique, l'autre tentant une décomposition en forme d'arc-en-ciel : toujours utile dans ce type de souterrains, même aussi courts.
Si un concours peut aussi conduire à des exemples à ne pas suivre, le concours Green Line « Underpass Solution » s'offre lui-même en contre-exemple de ce à quoi un bon concours d'idées devrait servir. Car un concours d'idées ne recherche pas la « solution », mais de l'imagination, il cherche à valider la complexité de la question, ou même à identifier les équipes les plus innovantes. De l'idée avant tout !
Lancé en décembre 2012 par Workshop Architecture à Toronto, la Green Line Ideas Competition invite les architectes, architectes paysagistes, urbanistes, artistes et membres de la communauté à élaborer une vision d'ensemble pour l'appropriation publique d'un corridor hydroélectrique de 5 kilomètres, s'étendant de Davenport Village au quartier Annex à Toronto.
Avec plus de 75 soumissions de projets, la Green Line Ideas Competition vise à démontrer le potentiel du site occupé par le corridor hydroélectrique et à encourager un débat sur l'usage public d'espaces analogues dans d'autres villes nord-américaines.
En engageant les membres de la communauté dans un processus de conception urbaine, ce concours d'idées est composé de deux volets. Le premier demande aux concurrents de proposer une vision d'un fragment d'infrastructure pourrait être transformé en un espace public exemplaire. Le jury recherche des projets qui vont:
- Définir une vision globale de la Green Line à travers son territoire varié;
- Identifier des solutions de conception pour une cohabitation sécuritaire et continue entre les piétons et les cyclistes sur l'ensemble du territoire de la Green Line. Des suggestions pour un jonction au réseau cyclable de la ville de Toronto sont un atout;
- La Green Line devrait être considérée à la fois comme une série d'espaces communautaires et comme un lien physique et psychologique à travers la ville;
- Étant donné que ce corridor traverse des quartiers qui ont peu d'espaces verts, les concurrents sont invités à réfléchir aux moyens de tirer le meilleur parti de l'espace offert par ce corridor sept jours par semaine, tout au long de l'année;
- Les propositions devraient être durables et fournir un cadre pour l'implantation progressive des différentes sections.
D'autre part, le deuxième concours amène les concurrents à proposer une conception améliorée de l'intersection du chemin de fer souterrain vis-à-vis Dovercourt Road et l'avenue Geary. Le design pourrait être un prototype pour les huit passages souterrains le long du parcours de la Green Line. Les critères de ce deuxième concours sont les suivants:
- Fournir un design détaillé dans le but d'améliorer la sécurité et la mobilité des piétons, cyclistes et automobilistes;
- Établir une connexion physique, visuelle et/ou psychologique améliorée pour la Green Line;
- Concevoir un design pour ce lieu qui puisse également servir de modèle pour les huit autres passages souterrains le long de la Green Line;
- Les propositions pour le second concours devraient être réalistes et réalisables. Les solutions réalisées avec un budget modeste pourraient être préférées.
Mme Helena Grdadolnik, directrice associée chez Workshop Design et organisatrice du concours, voit le concours de la Green Line comme un moyen d'éveiller l'imagination du public et de convaincre la ville d'élaborer un plan directeur pour guider les futurs investissements dans la création d'espaces publics. «Imaginez nos infrastructures électriques comme une Green Line; un lien continu pour les piétons et les cyclistes traversant le centre-ville ainsi qu'un espace public et des équipements récréatifs pour les nombreux quartiers de Toronto qui y sont reliés», affirme Mme Grdadolnik.
(Texte CRC)
Green Line Ideas Competition, Canadian Architect, 2012
Competition for Toronto's Green Line launches, ReNew Canada The Infrastructure Magazine, 2012
Green Line Ideas Competition winners announced, Canadian Architect, 2013
Lloyd Alter , Ideas Competition Proposes the Green Line, a Linear Park on a Toronto Transmission Right-of-Way, TreeHugger, 2012
Lloyd Alter , Toronto's Green Line Competition Winners Announced, 2013, treehugger
Alex Bozikovic, The Green Line: how Toronto urbanism moves forward, 2012, No mean city - The world of architecture as seen from Toronto
TERRI COLES, Competition Seeks Ideas for Turning a Downtown Hydro Corridor Into an Urban Oasis: A local architecture firm is trying to spark discussion about developing a "Green Line" for Toronto., Torontoist, 2013
Ellen Gedopt, Small Urban Spaces: The Green Line Toronto, 2012
Christopher Hume , Dreaming of a High Line on Toronto’s Green Line, The Star, 2012
JOHN LORINC, What to do about Toronto’s neglected green spaces, The Globe and Mail, 2012
Spacing, The Green Line — introducing an ideas competition for Toronto’s midtown hydro corridor — walk along it with Shawn Micallef, SpacingToronto, 2012
Helena Grdodolnik, Green Line, CBC - Toronto, 2012, Galloway Matt, CBC.ca
J. Green, Create a New Vision for Toronto's Green Line, The Dirt - uniting the built & natural environments, 2012
Sean Kitchen, Toronto opens ‘Green Line’ ideas contest, Architects Journal, 2012
A Green Line for Toronto?, Canadian Interiors, 2012