Quand le chantier tourne à la fête interdite
Au printemps 2016, la Ville de Montréal lançait le concours Vivre le chantier Sainte-Cath : Mise en valeur de la rue Sainte-Catherine Ouest dans le but d’atténuer les impacts des travaux de réaménagement de l’une des artères les plus emblématiques de la métropole. Rarement prise en compte, la mitigation des chantiers donnera lieu à une réflexion pluridisciplinaire sur la transformation de la ville en profitant « d’un espace de liberté à l’extérieur du caractère pérenne des espaces urbains qui sont en construction pour créer de nouvelles expériences » (Marmen, 2014). Les projets de ce concours invitent à réfléchir sur la capacité d’un chantier à renforcer l’identité festivalière d’une métropole telle que Montréal. Le chantier du concours de chantier ne s’est pourtant pas réalisé comme prévu.
La rue Sainte-Catherine fut longtemps l’artère commerciale principale de Montréal et l’une des plus importantes au Canada. Regroupant 1200 commerces, boutiques, restaurants et salles de spectacles, elle traverse le centre-ville d’ouest en est, liant de nombreux quartiers de natures contrastées. Trois universités en font un pôle étudiant et plus de 500 000 personnes s’y déplacent tous les jours. La diversité des utilisateurs et des évènements font de la rue Sainte-Catherine un lieu rassembleur à la croisée du travail, de la culture, de l’éducation, du patrimoine et donc du tourisme.
Le vaste chantier de restructuration de la rue Sainte Catherine fut l’occasion d’organiser le concours Vivre le chantier Sainte-Cath par lequel on tentait non seulement de mitiger les impacts directs, mais aussi de définir une expérience festive. Le colloque Quel chantier! – Le design au secours des grands chantiers urbains tenu à l’automne 2014 par le Bureau de design de la Ville de Montréal en collaboration avec la Cité du design de Saint-Étienne a permis de formuler quelques pistes préliminaires qui ont guidé l’élaboration du programme :
- Changer les perceptions des usagers relatives au déroulement d’un chantier en le rendant attrayant et vivant;
- Définir une expérience urbaine innovante dans le cadre du chantier;
- Acheminer et diriger, de façon efficace et sécuritaire, tous les usagers de la rue;
- Diminuer les nuisances associées aux différents travaux et entraves;
- Permettre la diffusion d’information in situ relative à l’évolution du chantier en temps réel;
- Informer les usagers au sujet des aménagements futurs (programme).
Le concours invitait à constituer des équipes multidisciplinaires (architecture, urbanisme, marketing, design graphique, design industriel et communication). Des dix-huit concurrents originaux, cinq finalistes ont été retenus, recevant la somme forfaitaire de 24 900$. La firme lauréate, KANVA, s’est méritée la somme de 695 000$, mais la réalisation du projet fut malheureusement abandonnée lors du changement de l'administration municipale.
La ligne entre rationalité et créativité s’est avérée difficile à négocier pour la plupart des propositions finalistes. Workshop Architecture proposait une place publique en hauteur; une île qui flotte au-dessus du chantier. Alliée à un réseau de passerelles métalliques, la place constitue un espace à « l’impact considérable » (rapport du jury) et aux vues en plongée spectaculaires. Constituée d’équipements de construction standards comme une grue à portique, des escaliers métalliques et un ascenseur de chantier, l’équipe fait le pari que l’installation saura s’adapter au chantier en cours; conviction que le jury ne partageât pas en notant qu’ « au plan fonctionnel et opérationnel, les installations utilisent des matériaux et des équipements de chantier, ce qui représente un avantage en termes d’utilisation, de manipulation et de robustesse […] (mais) Le jury perçoit mal l’intégration entre les installations et le chantier » (rapport du jury).
L’équipe d’Intégral Jean Beaudoin proposait une série de six places aux caractéristiques variées, déployées en un « grand ruban d’espaces publics temporaires » (texte de l’équipe): estrade-observatoire Bleury, parvis Saint-James, observatoire de chantier et places temporaires du square Phillips, quai Ville-Marie, estrade-cinéma Mansfield. La diversité des typologies développées devait générer des appropriations variées à la mesure des différents usagers de la rue, mais le jury soulignât le caractère peu adaptable des installations : « les lourdes et massives structures ne présentent pas la modularité et la flexibilité nécessaires dans le cadre d’un chantier en évolution » (rapport du jury). Le projet fut considéré trop générique; il « aurait pu tout aussi bien voir le jour dans un autre contexte » (rapport du jury).
L’équipe de L. McComber misait sur une stratégie d’installations légères et modulables. L’utilisation d’équipements de construction standards tels que glissières de béton, clôtures de chantier, échafaudages et plateformes permet de s’adapter facilement au chantier en cours tout en offrant une interface signalétique et informative aux usagers. L’identité graphique de la proposition fut appréciée du jury : « la signalétique est sobre, efficace et chic comme la rue Sainte-Catherine » (rapport du jury). On doutait cependant de l’attractivité à long terme du concept et du manque de vision : « les interventions se caractérisent par plusieurs gestes de moindre envergure qui ne sont pas à l’échelle de la grande artère commerciale qu’est Sainte-Catherine » (rapport du jury).
Annexe U invitait à célébrer la démesure de l’avenue Sainte-Catherine à travers une série de passerelles, de tours et d’installations modulables comme « geste unificateur, une couture perpétrant le dynamisme de l’artère » (texte de l’équipe). La signature graphique, raffinée en deuxième étape, et le langage formel et esthétique du projet séduisirent le jury qui relevât cependant la distance entre le discours la proposition : « la prestation répond aux enjeux du programme, mais elle ne livre toutefois pas la démesure et l’effervescence dont parle l’équipe. L’expérience des usagers est également peu variée. Elle se situe davantage dans la contemplation et traite peu de la déambulation » (rapport du jury).
La proposition lauréate, développée par KANVA, offrait une réponse étonnante et originale à la problématique de mitigation du chantier, alliant flexibilité et iconicité en une installation biomorphique audacieuse. Une série d’arches gonflables gigantesques devaient se déployer sur la rue Sainte-Catherine comme un écrin protecteur afin d’abriter, de protéger, d’animer et d’articuler le chantier et ses usagers. On s’inspire ici des idées de mutation et de transformation relatives aux grands travaux urbains transposées en un langage formel rappelant la métamorphose biologique, plus précisément le « processus […] guidant un organisme de son stade embryonnaire jusqu’à son stade final » ici nommé IMAGO (texte de l’équipe). Le parallèle évolutif reflète avec poésie le développement urbain ainsi que le processus de transformation que le projet accompagne. L’expérience proposée est la plus convaincante des projets finalistes offrant « une déambulation surprenante et une expérience riche » (rapport du jury). Les modules gonflables devaient être constitués de composite polyester haute résistance recyclable qui répondent aux différentes conditions climatiques en étant lavables et facilement remplaçables. La légèreté des structures devait permettre une installation, une désinstallation et une modulation rapides et efficaces qui auront peu d’impacts sur l’avancement des travaux. Dans son rapport, le jury salue la pertinence de la réponse environnementale de KANVA « tant dans leur approche matérielle que narrative » (rapport du jury). Les arches permettent de contenir partiellement la poussière et le bruit du chantier alors que les perforations de la structure permettent d’éviter les surcharges d’eau et de neige tout en facilitant une ventilation naturelle optimale. Il est à noter que la dimension signalétique, fortement exploitée par les firmes concurrentes, ne fait ici l’objet que d’une attention minimale. L’identité graphique ayant été critiquée à l’étape 1, KANVA voulait reléguer cet aspect en deuxième étape : un choix qui semble avoir joué en faveur de l’équipe.
Les projets finalistes, à l’image des projets soumis à l’étape 1, offraient une gamme d’interprétations limitée, laissant l’impression de variations sur un même thème. Marie-Claude Plourde, architecte, relève la redondance des propositions dans un billet publié sur Kollectif, avançant la possibilité qu’un cahier des charges directif et bien documenté ait pu uniformiser les projets finalistes (Plourde, 2016). L’utilisation généralisée de mots-clés accrocheurs est révélatrice du caractère commercial et événementiel recherché; on remarque la contribution d’experts marketing et de communication au sein de plusieurs équipes.
Malgré un geste qualifié « d’emblématique à l’échelle de la rue Sainte-Catherine et de son importance » (rapport du jury), on peut questionner les liens qui ancrent la proposition lauréate dans son contexte. Dans le cadre de l’événement Quel chantier! – Le design au secours des grands chantiers urbains, Jean-Pierre Grunfeld soutient que le projet de chantier ne saurait être distinct de son contexte, il « doit devenir le reflet du projet qui le fait naître et en ce sens ne peut être reproductible d’un lieu à un autre […] il s’élève alors du caractère générique de l’expérience usuelle d’un chantier sans projet » (Marmen, 2014). Les arches de KANVA, bien qu’élégantes, auraient pu être développée en réponse à n’importe quel chantier urbain, tel que le sous-entend Tudor Radulescu, architecte et cofondateur de la firme : « [le] concept peut servir sur d’autres artères commerciales. Pas juste sur Sainte-Catherine » (Colpron, 2019). Là où IMAGO s’inscrit dans le contexte montréalais, cependant, est dans le caractère festif de la proposition. Montréal est une ville de fêtes et d’effusions éphémères, hôte de plus de quarante festivals annuellement. Ces festivals et les installations temporaires qui les accompagnent font partie prenante de l’identité de la ville et demeurent un espace d’expérimentation nécessaire. Les structures biomorphiques de KANVA s’inscrivent dans cette atmosphère de fête et d’effervescence typique à Montréal, non pas par la forme, mais par leur vision expérimentale singulière. Ce que nous ne pourrons jamais vérifier de visu puisque la réalisation du projet lauréat, victime du changement de garde municipale, fut brutalement annulée par l’administration Plante qui a évoqué les impacts incertains du projet sur l’échéancier des travaux.
Colpron, Suzanne. «Concours d'architecture: un projet boudé par Montréal de nouveau primé.» La Presse (2019). 9 janvier 2022.
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Marmen, Patrick. Colloque Quel chantier! Le design au secours des grands chantiers urbains. Synthèse. Ville de Montréal. Montréal, 2014. 9 janvier 2022. .
Plourde, Marie-Claude. Le chantier pour repenser la ville durable? Regard sur Sainte-Cath. 30 septembre 2016. 9 janvier 2022.
La mise à niveau des infrastructures souterraines, l'implantation de nouveaux systèmes de transports collectifs, la piétonisation de rues au centre-ville ou la construction de grands équipements sont autant de situations nécessitant la mise en oeuvre de chantiers urbains; des transformations importantes dans le fonctionnement des villes qui visent à améliorer, à terme, la qualité du cadre de vie et l'attractivité de leur territoire. Bien qu'un passage obligé pour la requalification des villes du 21e siècle, ces chantiers bouleversent le quotidien des citoyens, notamment leur mobilité, leur accès aux services et aux commerces, ainsi que leur quiétude.
Si les expertises en architecture et en design étaient mises à profit dans le cadre de la planification, de la conception et de l'animation des chantiers, pourraient-elles apporter des solutions créatives à cet enjeu aussi majeur qu'universel ? Pourraient-elles améliorer l'expérience collective et individuelle des grands chantiers urbains et réduire les impacts négatifs sur l'activité économique et le quotidien des travailleurs, des commerçants, des résidents et des touristes ?
Ces enjeux et questions étaient au coeur de la thématique du colloque « Quel chantier! - Le design au secours des grands chantiers urbains », qui se tenait à Montréal en octobre 2014, dans le cadre des 27es Entretiens Jacques Cartier. Organisée par le Bureau du design de la Ville de Montréal en collaboration avec la Cité du design de Saint-Étienne, cette rencontre internationale réunissait près de 300 personnes dont une vingtaine de conférenciers de l'Europe, de l'Asie, du Canada et des États-Unis. Cet événement fut l'occasion de partager et d'explorer des solutions novatrices en matière de design en réponse aux problématiques des grands chantiers urbains et marquait, par le fait même, l'un des premiers jalons dans le développement de nouvelles façons de faire à Montréal.
Dans la foulée de ces entretiens, et afin de contribuer au bien-être des citoyens, à l'essor économique et à l'attrait de la métropole, la Ville de Montréal pose un nouveau jalon en annonçant qu'elle intégrera le design dans la planification, la conception et la réalisation du chantier de la rue Sainte-Catherine Ouest, qui débutera au printemps 2017.
Cet important chantier, qui s'étendra de l'avenue Atwater à la rue De Bleury, et qui vise la réfection des infrastructures souterraines et un nouvel aménagement urbain, aura inévitablement un impact sur le centre-ville de la métropole.
Reconnaissant que la rue Sainte-Catherine est une rue commerciale qui revêt une grande importance, la Ville de Montréal souhaite organiser un concours de design pour l'atténuation des impacts par la mise en valeur de la première phase du chantier, qui s'étalera sur quatre ans.
Par la rencontre des idées, le concours visera à produire des solutions innovantes et de qualité afin de choisir et mandater une équipe multidisciplinaire qui se verra octroyer un contrat de services professionnels pour la conception détaillée, les plans et devis et le suivi de l'implantation de son concept sur le chantier.
L'intervention proposée dans le cadre du concours doit s'inscrire dans le contexte spécifique de la rue Sainte-Catherine et ce, en considérant l'aspect emblématique de l'artère commerciale. Afin de maintenir un environnement urbain attractif et de qualité pour les usagers pendant toute la durée des travaux, l'intervention devra, tant par sa forme que par son contenu, atteindre les objectifs suivants :
- changer les perceptions des usagers relatives au déroulement d'un chantier en le rendant attrayant et vivant;
- définir une expérience urbaine innovante dans le cadre du chantier;
- acheminer et diriger, de façon efficace et sécuritaire, tous les usagers de la rue;
- diminuer les nuisances associées aux différents travaux et entraves;
- permettre la diffusion d'information in situ relative à l'évolution du chantier en temps réel;
- informer les usagers au sujet des aménagements futurs.
(Tiré du programme du concours)
La qualification de l'équipe pour réaliser le mandat a été évaluée en appliquant les pondérations suivantes, conformément au Règlement du concours.
- Expérience et expertise des designers ou de la firme de design 30 %
- Expérience et expertise du coordonnateur 15%
- Pertinence des projets antérieurs soumis 30%
- Organisation et structure de l'équipe 25 %
De façon générale, l'expérience et l'expertise des designers ont été jugées comme étant satisfaisantes et très satisfaisantes par le jury pour l'ensemble des équipes.
Quant à l'expertise du coordonnateur, celle-ci n'était pas toujours bien démontrée dans le dossier de présentation de l'équipe et les pointages ont été attribués en conséquence.
En ce qui concerne la pertinence des projets antérieurs soumis, le jury a attribué des pointages supérieurs aux équipes dont les projets ou un des projets répondaient le mieux à plusieurs des sous-critères suivants : pertinence des projets réalisés sur le domaine public en lien avec les défis du concours, envergure des projets conçus et réalisés, complexité en termes de gestion d'équipe multidisciplinaire, quelques projets de nature éphémère et évolutive, projets avec suivi de chantier et lien avec des entrepreneurs.
L'organisation et la structure de l'équipe ont pour leur part été évaluées à l'aide de l'organigramme soumis et du texte présenté dans le dossier de présentation de l'équipe.
(Tiré du rapport du jury)
Koromyslova, Nadia, Montréal, une ville qui change grâce à ses designers, Le Devoir, 2017
Colpron, Suzanne, Concours d’architecture: un projet boudé par Montréal de nouveau primé, La Presse, 2019
AZ Awards 2019 Winner: Imago, Azure Magazine, 2019
Imago, KANVA
KANVA's Imago project lauded at World Architecture Festival, Canadian Architect, 2018
Concours de design « Vivre le chantier Sainte-Cath » par la Ville de Montréal, Index-Design.ca
Lancement du concours de design "Vivre le chantier Sainte-Cath", Kollectif, 2016
Montréal mandate Kanva architecture pour mettre en valeur le chantier de la rue Sainte-Catherine Ouest
Wu, Alyssa, Inflatable Arches Chosen to Reimagine St. Catherine Street Construction Site, ArchDaily, 2016
Plourde, Marie-Claude, Le chantier pour repenser la ville durable? Regard sur Sainte-Cath, Kollectif, 2016
Vézina, Henri Ouellette, Le chantier de Sainte-Catherine Ouest lancé en février, Journal Métro, 2018
Testado, Justine, KANVA to design evolving “Imago” installation for Montreal's St. Catherine Street, Bustler
Montreal abre concurso para minimizar impacto de trabajos en la calle Sainte-Catherine, NM Noticias, 2016
ICI.Radio-Canada.ca, Zone Économie-, Réfection de la rue Sainte-Catherine : un premier tronçon inauguré, Radio-Canada.ca
Daoust-Braun, Sarah, Réfection de la rue Sainte-Catherine: les travaux inquiètent les commerçants, 24 heures, 2018
Revitalisation de la rue Rue Sainte-Catherine ouest et réaménagement du square Phillips et de la place du Frère-André, Provencher_Roy | Architecture - Design - Urbanisme - Paysage