Concours national de modèles d'habitations (volets 1-2) : un concours monstre de la SCHL et du Conseil canadien de l'Habitation en 1979
La société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) fut et demeure un acteur très important du développement des formes de l'aménagement urbain au pays, que ce soit en produisant des recommandations de bonne planification des espaces domestiques, en favorisant le recours à des principes constructifs qui soient sains, économiques et durables, ou encore en stimulant la créativité des promoteurs, des entrepreneurs, des agents municipaux, des urbanistes et des architectes. On doit aussi à la SCHL de nombreuses publications de recherches sociales, techniques et économiques qui ont contribué, au fil du temps, à la culture architecturale canadienne. La revue Habitat, publiée dès la fin des années cinquante jusqu'au milieu des années quatre-vingts, fut un guide éclairant pour les projets d'architecture résidentielle. «La construction à ossature de bois», est un livre qui est réédité régulièrement depuis sa parution en 1967 ; il est vu par beaucoup comme la bible de la construction des maisons au Canada. On pourrait dire qu'il est le Vitruvius Canadian/Us de l'habitation nord-américaine.
Le Concours national de modèles d'habitation lancé par la SCHL et le Conseil canadien de l'habitation en 1979, au moment du deuxième choc pétrolier, s'inscrit dans cette démarche pro active, en axant ses intentions sur la recherche de solutions innovantes qui favorisent la densification du territoire suburbain, qui répondent aux enjeux énergétiques émergents en plus de combiner les exigences de l'accessibilité à un logement individuel avec la nécessité de créer des communautés viables. Quittant son horizon d'action habituel plus spécifique à la maison individuelle, avec ce concours, la SCHL aborde la question du groupement des maisons et celle de l'inclusion d'aménités paysagères et récréatives tout en prenant en compte les contraintes incontournables de la motorisation du territoire des banlieues. En résumé, la question était : comment concevoir des modèles d'habitations qui permettraient de créer un environnement de qualité favorisant le bon voisinage et l'épanouissement de la vie quotidienne des familles ?
George Baird était à la fois le conseiller professionnel et le président du jury, ou plus précisément des cinq jurys correspondant au découpage en cinq régions de ce concours. Ces cinq régions répondaient à des critères plus géographiques que politiques. Ce sont : l'Atlantique, le Québec, l'Ontario, les Prairies et la Colombie-Britannique. En fait, il s'agissait de cinq concours portant sur cinq sites différents. La seule variable dans les conditions du concours étant la densité demandée qui allait de 25 à 75 logements à l'hectare. Mais le concours faisait aussi appel à l'idée d'un ancrage régionaliste des propositions, une approche susceptible d'infléchir la notion même de modèle par des particularismes liés au climat, à la culture et à l'histoire.
Ces deux paramètres, la densité et le régionalisme, constituaient en quelque sorte l'unique véhicule d'interprétation contextuelle des propositions. Les sites choisis se voulant représentatifs du développement suburbain des cinq régions. Ceci aura eu pour conséquence de changer la perspective de recherche selon les régions. Par exemple, le site de Mississauga en Ontario qui demandait une grande densité, a conduit plusieurs des concurrents à aborder le concours comme un exercice de composition urbaine fondé sur des innovations typo morphologiques génératives d'espaces collectifs, tandis que le site de Saint-Jean en Atlantique et celui de Saskatoon dans les Prairies invitaient à mettre plus l'accent sur l'habitation individuelle et ses extensions extérieures privées.
Le concours n'a pas permis de nommer un premier prix et cela traduit bien le sentiment d'échec de cet exercice ; ici l'architecture potentielle se logeant plus dans le programme que dans les propositions. Les commentaires des membres des différents jurys, souvent divisés sur les priorités à considérer, donnant lieu à l'occasion à de fortes dissidences, montrent bien le manque de consensus entre les tendances «progressistes» et «culturalistes», pour reprendre cette distinction qui fut proposée par Françoise Choay dans ses études sur l'histoire de l'urbanisme et qui est toujours pertinente. Mais cette distinction se teinte des mouvances du moment souvent considérées de façon craintive par les jurés : Pop Art pour le projet Sturges Donnell and Associates dans les Prairies, Pastiche historique pour celui d'Andrew Lynch et Évolutif (Grow Home Concept) pour celui de Terence Cecil en Atlantique, Ironique pour celui James H. Jorden et voire même Rationaliste pour celui de Dunker Associates en Ontario. On reste encore surpris aujourd'hui devant la poussée utopique des frères Piccaluga et de leur équipe en Ontario et toujours admiratif devant la démarche sensible de Naomi Neumann, chez qui le sens du mot aménité trouve son principe de réalité dans de merveilleuses coupes anticipant les dessins de l'Atelier Bow Wow - sans doute le projet le plus intéressant des cinq portant sur le site de Shawinigan qui ont été retenus pour des mentions au Québec.
Finalement, une région semble se distinguer, c'est celle de la Colombie-Britannique. Le site de Vancouver se présentait presque comme un îlot autonome, bordée par des rues sur ses trois côtés, formant une dépression vers son centre. Cette configuration et la forte densité demandée, a favorisé des projets très spécifiques. Le projet de Paul A. Gant, le seul qui a obtenu une mention spéciale pour cette région offre plus l'application efficace d'un modèle conceptuel sur un site spécifique que la recherche d'un prototype prenant appui sur le site. En observant les résultats du concours, on voit que les jurys ont été plus ou moins sélectifs. Pour le site de Mississauga en Ontario, 11 projets ont été retenus pour 22 soumis, pour le site de Shawinigan au Québec, 5 projets ont été retenus sur les 15 soumis, pour le site de Vancouver en Colombie-Britannique, 8 projets ont été retenus sur les 15 soumis, pour le site de Saskatoon dans les Prairies, 3 projets seulement ont été retenus sur les 19 soumis et finalement pour le site de Saint-Jean en Atlantique, 4 projets ont été retenus sur les 17 soumis. À lire les commentaires des jurys, on constate que les projets soumis ont été, soit jugés en bloc, soit jugés en tenant compte du potentiel de certaines parties au profit de l'ensemble. L'harmonisation des différents jurys des différentes régions a manifestement présenté quelques difficultés. Ceci explique certainement le peu d'écho obtenu par ce concours à l'époque.
Un retour critique sur ces projets est difficile car nous ne disposons pas de toutes les soumissions. Seules sont ici présentées les propositions retenues. Y aurait-il un projet ou plusieurs qui auraient échappé à l'attention des jurys ? Ce concours monstre n'aurait-il pas eu avantage à s'ouvrir aux jeunes architectes ? Selon George Baird la division entre les membres des jurys était forte et il note dans son introduction au rapport du jury que «c'est, en partie, une question de philosophie et, en partie, une question de conflits de générations». Plus généralement, on peut dire que si certains projets évoquent de façon lointaine les siedlungs des années trente de Bruno Taut à Berlin ou d'Ernst May à Francfort et que d'autres s'inspirent des nouvelles villes scandinaves d'après-guerre comme celle de Tapiola en Finlande, aucun ne parvient à répondre aux ambitions idéales de la ville en banlieue, telles que les imaginait Humphrey Carver dans son célèbre ouvrage «Cities in the Suburbs» paru en 1962. On se souvient qu'Humphrey Carver avait présidé le comité des recherches de la SCHL de 1948 à 1965. Il était bien connu pour son engagement social. Attentif au développement des villes, autant que son contemporain Lewis Munford, très engagé socialement, sans doute inspiré par l'aménagement des cités jardins et des villes nouvelles dans son pays d'origine, l'Angleterre, il voyait dans le développement des banlieues la possibilité de réinventer la ville. Ses leçons semblent avoir été oubliées par les concurrents, ou peut-être étaient-elles déjà sujettes aux interrogations de Jane Jacobs dont l'ouvrage «Death and Life of Great American Cities» paru en 1961 ouvrait la voie à la critique sévère de l'étalement urbain. Et comment ne pas oublier que c'est en 1979 que débute la conception de Seaside en Floride. Finalement, nous pouvons regretter ce rendez-vous manqué car il aurait pu nous épargner ces «Monster Houses» qui prolifèrent dans nos banlieues qui sont toujours des banlieues.
Le Concours national de modèles d'habitations 1979 a été organisé par ses commanditaires afin de rechercher d'excellents concepts d'habitation au Canada pour les années 80. Les commanditaires désiraient plus particulièrement que les participants se penchent sur trois problèmes considérés comme nouveaux et d'une grande importance pour le Canada. Le premier de ces problèmes était l'augmentation de la densité des logements dans les zones résidentielles. Alors que les concours précédents organisés par la S.C.H.L. mettaient l'accent sur l'importance de la maison unifamiliale bien conçue, ce concours a plutôt voulu se concentrer sur les habitations à plus forte densité, variant de 25 à 75 logements à l'hectare.
Alors que le concours portait sur de plus fortes densités d'habitation, il prévoyait, en même temps, des variations logiques de densité qui convenaient mieux aux différents sites sélectionnés à travers le pays, comme : Saint-Jean (N.-B.) dans la région de l'Atlantique; Shawinigan, au Québec; Mississauga, en Ontario; Saskatoon, en Saskatchewan, dans les Prairies et Vancouver, en Colombie-Britannique. Les densités choisies ont toutes été établies de façon à représenter ce qu'il est convenu d'appeler une densité moyenne dans chacune des régions. Les commanditaires songeaient aussi à tenir compte de l'expression d'une variante locale de la forme de logement qui aurait pu émerger d'une telle structure régionale.
Finalement, les commanditaires désiraient voir les architectes canadiens relever le nouveau défi que pose une plus grande économie d'énergie. En conséquence, dans les divers concours régionaux, ils ont ajouté ce critère d'évaluation aux autres considérations plus familières que sont la qualité de la vie dans le logement, une bonne planification des aires à l'extérieur, un environnement convenable pour les jeux des enfants et l'aménagement pratique du terrain.
Cinq jurys différents, composés d'architectes reconnus et d'experts en habitation dans chacune des régions, ont été choisis pour évaluer les résultats du concours. Quatre-vingt-huit participations en provenance de tous les coins du pays se répartissaient comme suit :
Région de l'Atlantique 17
Région du Québec 15
Région de l'Ontario 22
Région des Prairies 19
Région de la Colombie-Britannique 15
(Extrait du programme)
Felice Vaccaro
Cette participation a été remarquée par le jury principalement pour sa tranche orientation vers le sud et pour la simplicité générale de la construction des logements et de l'aménagement du terrain.
La construction des logements, par exemple, consiste simplement en des murs mitoyens en maçonnerie et des murs intérieurs a ossature de bois entre lesquels les différents types de logements se reconnaissent par les différences de largeur des fenêtres.
L'aménagement du terrain comporte des voies simples pour les véhicules en périphérie de I'emplacement et des voies piétonnières allant de la périphérie a chacun des bâtiments.
Les critiques formulées concernant l'aménagement du terrain déplorent le fait que cette disposition générale occasionne de longues marches entre les aires de stationnement et les maisons, et relèvent un manque total de différenciation des espaces extérieurs. Le plan d'intérieur des logements a été critique par quelques juges, particulièrement pour les cuisines sans fenêtres et pour les chambres groupées à l?étage supérieur.
De plus, l'apparence générale a été jugée trop uniforme par certains juges. Mais c'est la simplicité et le sens pratique du point de vue de la construction qui ont impressionné la majorité des membres du jury.
Boucher & Fafard
Cette participation a été remarquée par le jury avant tout pour l'utilisation intelligente du site et le plan des habitations. Dans le plan d'aménagement, les groupes de maisons sont disposés en séries plus ou moins denses, libérant ainsi une partie du terrain pour des espaces verts collectifs. La voie d'accès pour les véhicules, plus importante que dans le cas d'autres participations primées, diminue les distances de marche vers les logements les plus éloignés. Quant au plan des logements, il est simple et direct et met l'accent sur l'orientation vers le sud et sur la ventilation transversale. Le jury a émis des doutes au sujet d'un style de toits élaborés qui se sont révélés, après examen, sans rôle significatif dans l'économie de l'énergie et qui paraissent très couteux. De plus, les difficultés d'accès a certains logements dans les bâtiments les plus élevés ont suscite des réserves.
David Covo, Norbert Schoenauer, John Schreiber et Ron Williams
Ce projet, comme son équivalent présenté par les mêmes auteurs dans la région de l'Ontario, se distingue surtout par l'aménagement très logiquement ordonné de son site en général. Le réseau routier en boucles, l'accès direct des véhicules aux logements, la façon simple de résoudre le problème de l'orientation et la prévision d'espaces verts pour les loisirs de la collectivité, sont autant de qualités qui ont suscite l'admiration du jury. Des réserves ont été émises sur l'élaboration insuffisante des plans de façades. Quelques juges n'ont pas aime la superposition de plusieurs logements d'un étage. A leur avis, cela occasionnait des dépenses inutiles et rendait difficile l'accès des voitures vers les logements. Ces réserves, de leur point de vue, ont empêché la participation no 9 d'être mieux classée. Pour sa part, un des juges préconisait une position meilleure pour cette participation, que pour les projets numéros 5, 7 et 12. Selon lui, «c'était un très bon agencement. II était impeccable pour la façon dont on a tire parti de la topographie du site, de son orientation, de la relation entre voitures et piétons, de l'aménagement paysager et de plusieurs autres critères que nous avons retenus».
David Sisam
Ce projet a été remarque avant tout pour ce qu'on a appelé son charme et son cachet. Contrairement aux juges de l'Ontario, qui ont juge son équivalent dans le concours régional, ceux du Québec n'ont pas été divisés sur la question de son expression architecturale, qu'ils ont appréciée. Ils ont particulièrement trouve ingénieuse l'idée que les occupants pourraient, de leur propre initiative, agrandir ou transformer le logement selon leurs besoins futurs. Ils étaient cependant partages sur la question de l'aménagement du terrain. La trop grande surface pavée permettant l'accès direct des véhicules a tous les logements a suscite, dans certains esprits, des préoccupations quant a la sécurité des enfants au jeu. D'autres étaient d'avis que des rues courtes et de longueur contrôlée convenaient bien pour ce type de projet. Par la même occasion, quelques membres du jury n'ont pas aime la façade longue et régulière du groupe des maisons en rangée faisant face a l'artère principale, alors que l'un d'entre eux a trouve que ce modelé était d'un concept urbain approprie. Cependant, tous les juges étaient unanimes pour formuler certaines critiques, lis étaient d'avis que l'aménagement du site ne tirait pas parti adéquatement de la pente du terrain. De plus, la complexité des logements emboites les uns dans les autres, surtout dans les quadruplex, a été jugée insatisfaisante.
Naomi Neumann
Cette participation a causé des difficultés considérables au jury, car ses nombreuses qualités ont été jugées admirables. Mais ce projet n'a pas fourni des données adéquates quant à sa densité et au nombre des logements de différents genres. Le conseiller professionnel et les juges ont agi de leur mieux pour établir le compte exact des unités, mais il semble que cette soumission ne se conforme pas aux critères de densité exigés, accusant une carence de 16%. Le jury a discuté de la valeur de la participation no 10 sous tous ses aspects. Son aménagement du terrain a fait bonne impression, équilibrant le besoin d'accès des véhicules avec celui d'espaces verts bien utilisés. Le plan de chaque logement est à la fois sage et équilibré. Son expression architecturale a suscité l'admiration de tous les membres du jury. Considérant ces nombreuses qualités, le jury a convenu d'accorder une mention à cette participation, en dépit de son incapacité de démontrer sa conformité à toutes les exigences du concours.
(Extrait du commentaire du jury)
Président du jury |
George Baird, Architecte
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Jury | Joseph Baker |
| L. Birtz |
| G. Legault |
| Jean Ouellet, Architecte |
| Laurent Ricard, Architecte |
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Toutes les participations au concours sont parvenues a Ottawa au debut du mois de juin et ont été étudiées par les jurys régionaux respectifs au cours des semaines suivantes.
- Programme
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- Liste des membres du jury
- Rapport du jury (global)
- Cahier du jury