[...] composer un roman c'est juxtaposer différents espaces émotionnels, et que c'est là, selon moi, l'art le plus subtil d'un romancier.
Milan Kundera, L'art du roman
1) Continuité urbaine _ manifeste civique _ mode opératoire
La nouvelle Bibliothèque Gabrielle-Roy (BGR) sera en interaction constante avec l'espace urbain. La ville en général et le quartier Saint-Roch en particulier deviennent un territoire pour la connaissance, la création, le faire et comme lieu communautaire privilégié. La BGR doit être conçue comme un organisme souple et malléable, un « événement », catalyseur de la technoculture présente dans le quartier. La nouvelle bibliothèque sera conçue de façon à affirmer une présence forte, arborant une signature unique et contemporaine, plus poreuse et accueillante que monumentale. Une architecture spectaculaire et iconique, mais aussi sensible et foncièrement invitante, en lien avec son environnement urbain et la Place Jacques-Cartier, à renommer Gabrielle-Roy.
Présence _ entre la stéréotomie et la tectonique
L'ancrage culturel du lieu est affirmé dans l'espace public par la disposition en équerre de deux murs massifs, délimitant à la fois l'emprise du bâtiment et symbolisant la pérennité de sa fonction culturelle. Cette équerre se matérialise par de grands panneaux préfabriqués de béton blanc poli dont l'envergure répond aux dimensions humaines, les bras tendus (2m x 2m). Cette trame se retourne depuis la place pour couvrir les murs nord et est, assurant l'ancrage à l'espace public. Ce matériau brut s'ennoblit par l'insertion de cylindres d'acier inoxydable poli en surface et par une série de lettres lumineuses, avec languettes d'acier inox fini miroir, en projection de la surface du mur. Ces insertions lumineuses animent aléatoirement la surface de la place et des murs de la bibliothèque ; semer à tout vent. Ce motif s'inspire de l'alphabet, fondement de notre culture littéraire. Les portions vitrées, en affleurement avec la surface extérieure du mur, reprennent le module et le motif de la surface solide, par un traitement de céramique frite (sérigraphie), assurant ainsi une unité du plan vertical. Ces deux grands murs blancs assure une flagrance diffuse, en accord avec l'aspect diaphane de la façade de verre sur la rue Saint-Joseph. Seule la grande ouverture de l'entrée principale révèle la massivité du mur et agit tel un signifiant architectural brut : le marquage de l'entrée principale.
Principale transgression à la pureté du volume de base, le détachement du grand plan de verre flottant sur Saint-Joseph met en vitrine les dispositifs architecturaux de base, lieux de représentation publique de la bibliothèque. Son soulèvement protège l'extension extérieure des Foyers culinaire et Vie citoyenne. C'est une opération « d'écartement », ouvrant des potentialités nouvelles à l'animation de la rue et de la vie qui s'y déploie.
Notre travail est d'espacement: nous ne sommes pas des créateurs d'espaces, mais des aménageurs du monde déjà là. Nous participons à un essor intérieur. En fractionnant le monde fini, nous le dégageons, nous l'ouvrons en une infinité de mondes.
Philippe Madec
L'épaisseur se matérialise aujourd'hui par l'espace plutôt que par la matière. Entre le tumulte de la ville et une intériorité plutôt calme s'insère un espace intermédiaire superposant vides, lieux de mouvement et espaces de représentation publique. La Salle de diffusion, les gradins habitables, un escalier public et des plateformes végétalisées habitent cette vitrine. L'espace public de la rue Saint-Joseph s'immisce dans cette organisation spatiale inédite. Il s'agit ainsi de produire une évidence : frontalité sur la place et latéralité associée au grand plan de verre suspendu sur la rue Saint-Joseph. L'articulation entre l'équerre solide et ce plan vitré évoque une limite floue, changeante, qui est plus de l'ordre de l'emboîtement, de l'interférence, que d'une opposition. Cette expression architecturale constitue une mise en valeur de la multiplicité spatiale de la bibliothèque dans laquelle les espaces intermédiaires, corridors, paliers, seuils sont aussi importants que les espaces programmés. La flexibilité et la dynamique sociale des lieux s'affirment dans ces espaces ouverts, neutres et permissifs; expression du tiers lieu.
Ce qui comporte le plus d'effets n'est pas la forme du bâtiment, mais son inversion, l'espace, le vide qui s'étend avec rythme entre les murs et délimité par eux. Cette dynamique est plus importante que les murs eux-mêmes.
August Endell, Die Schônheit der grBen Stadt, 1896-1925
L'entre-deux _ entre l'explicite et l'implicite
La recherche de l'ontologie du projet supporte notre approche. Qu'est-ce qu'une bibliothèque au XXIe siècle? L'archétype historique, jusqu'à la fin du XXe siècle, n'a plus d'emprise sur la bibliothèque actuelle qui affirme son rôle social, communautaire et son ouverture à de multiples usages et pratiques liées au faire, à la création, et au partage de connaissance, etc. Elle devient un lieu privilégié de rencontres et de socialisation.
Sa présence urbaine forte en fait un signal dans la ville. Un équilibre entre collections, aires d'animation et espaces intermédiaires liés au mouvement et aux espaces publics tissent un ensemble culturel flexible. Sa grande porosité et l'exposition de sa dynamique interne invitent à la découverte. La répartition des espaces, suivant la logique des foyers, instaure les conditions pour l'émergence de nouveaux croisements programmatiques, propices à la création et à la découverte. La bibliothèque est un lieu étonnant, à la fois réel et imaginaire. C'est un espace qui doit contenir la totalité du monde, tout en lui conservant son mystère.
Au-delà de la composition architecturale habituelle, nous proposons une approche ouverte et non hiérarchique, dans laquelle les circulations et les aires publiques se superposent subtilement à l'espace des lieux programmés. Entre l'explicite et l'implicite programmatique s'introduit l'espace de l'entre-deux. Lieu du mouvement et de la découverte, il autorise la compréhension de l'espace et de ses usages et offre au regard une vision synthétique de l'espace depuis l'accueil.
2) Accueil _ Parcours _ Installation d'un paysage intérieur
L'accueil est une composante fondamentale de la bibliothèque. Il lui confère son identité, c'est-à-dire qu'il met en place une vision synthétique des usages, activités, événements et autres composantes du programme s'articulant au sin des FOYERS. D'un seul coup d'oeil, on perçoit le comptoir d'information, le café, l'espace civique et les premiers Foyers associés aux jeunes. Un vestibule-pont, au plancher en verre semi-transparent, révèle les gradins plongeant vers le sous-sol, ainsi que les dispositifs d'ascension, escalier sculptural et ascenseur panoramique, donnant accès à l'aire publique de la salle de diffusion suspendue à l'étage. Cette salle est reconnaissable par son enveloppe capitonnée de tissu acoustique. Les activités publiques pourront se tenir en dehors des heures d'accès de la bibliothèque. L'accueil participe de l'extension de la place publique et de la rue ; il est traité tel espace urbain intérieur.
Kaléidoscope _ définition d'un lieu inédit : l'Agora
L'agora, grand vide intérieur, matérialise un mouvement en vrille ascendante. L'originalité de ce programme consiste à mettre en vitrine la vitalité interne des Foyers et de provoquer des interactions. Le volume de la BGR se veut ainsi à la fois introverti par ce mouvement ascendant et les activités qui l'accompagnent, et extraverti par une enveloppe expressive avec son épaisseur habitée s'adressant à l'espace public de la ville.
L'expression physique de ce grand dispositif du mouvement s'effectue par la définition d'un espace périphérique. Une surface textile blanche et réflexive, agissant tel un tulle, par sa dématérialisation, sa transparence et ses qualités acoustiques, que par la diffusion de la lumière zénithale : une émanation de l'esprit, en lien avec l'essence culturelle du lieu. Tel un cocon diaphane, cette enveloppe intérieure s'affirme par sa légèreté et sa délicatesse. La géométrie de ce « voile » périphérique culmine au sommet dans la définition d'un nouveau lanterneau baignant l'Agora de sa lumière filtrée.
Creusé au coeur du bâtiment, ce volume évanescent matérialise le vide, son flux et ses activités variées. Ces limites floues et indéfinies laissent une place à l'interprétation et à la dilatation-compression possible des différents usages dans le temps. Ce paysage intérieur, perçu dès l'accueil, devient une composante référentielle et identitaire de la BGR. Théâtre de la dynamique sociale, il souligne l'animation liée au choc des rencontres thématiques. Une série de galeries collaborative s'organisent autour du vide central et mettent en scène les grandes transparences horizontales et verticales. Ensemble, ces éléments définissent la nouvelle Agora du faire et de l'échange.
Cette agora virtuelle faciliterait la navigation et l'orientation dans la connaissance ; elle favoriserait les échanges de savoirs ; elle accueillerait la construction collective du sens ; elle offrirait des visualisations dynamiques des situations collectives ; elle permettrait enfin l'évaluation multicritère en temps réel d'une foule de propositions, d'informations et de processus en cours...
Pierre Lévy, L'intelligence collective. Pour une anthropologie du cyberespace
L'effet kaléidoscopique s'exprime par l'interpénétration des activités et par la juxtaposition de différents espaces émotionnels. Les
différentes générations, intérêts et autres personnalités individuelles s'y rencontrent dans un forum permanent, offrant un lieu de débat ouvert aux idées nouvelles. Ce lieu axé sur l'interaction, privilégie l'événementiel, mais supporte également le quotidien, la découverte, la création et le faire.
L'oeuvre d'art de Micheline Beauchemin habite cet univers constitué de réflexion, de diffraction lumineuse et d'apesanteur. Cette oeuvre faite de fils d'argent et de plomb, de filaments d'aluminium à différents finis or et argent, tisse la lumière et le temps. OEuvre lumineuse, elle traduit les éléments naturels des paysages environnants, pétris par la glace, la neige et le fleuve miroitant.
Inspirée de cette oeuvre, la matérialité identifie les principales composantes du lieu. Les quatre escaliers principaux sont revêtus, à l'extérieur, par de l'acier inoxydable brossé et, à l'intérieur, par une surface résiliente de couleur anthracite, en référence au cap rocheux de la Ville de Québec. Le plancher des Foyers sur le vide central sera en bois d'érable et le dessous des dalles de béton sera exposé en périphérie. Elles recevront, avec les garde-corps en verre, des pictogrammes et une dénomination des différents foyers. Un verre dichroïque est prévu pour les garde-corps afin de soutenir l'effet kaléidoscopique du parcours.
L'histoire a beau prétendre nous raconter toujours du nouveau, elle est comme le kaléidoscope : chaque tour nous présente une configuration nouvelle, et cependant ce sont, à dire vrai, les mêmes éléments qui passent toujours sous nos yeux.
Shopenhaur, Le monde comme volonté et comme représentation
Le dispositif central lié au mouvement ascendant facilite la navigation et l'orientation dans la connaissance, les échanges de savoirs et offre une visualisation dynamique des situations, usages et événements. Il devient récepteur et distributeur de la lumière au coeur de la bibliothèque. Il souligne de façon naturelle l'évidence des parcours et accompagne la promenade architecturale. Ainsi clarté et liberté permettent une grande flexibilité et appropriation des lieux.
Telle une oeuvre ouverte, l'architecture de la nouvelle bibliothèque Gabrielle-Roy fera émerger des processus; « work in progress », plutôt que des certitudes, des finalités.
Couronnement _ Aboutissement du parcours
La coupe initie la nouvelle proposition spatiale. L'agora, vide central intérieur, est remodelée afin de dynamiser les vues et d'autoriser une découverte spatiale culminant à un pavillon de verre sur le toit végétalisé. La définition de vues cadrées sur les bâtiments et lieux iconiques environnants, ainsi que vers le profil des Laurentides animeront les lieux de détente et de concentration périphérique. Cette ascension se termine avec le Foyer Nature, science et technologie logé aux niveaux 3 et 4. Un mur végétal, en bordure sud-est de l'agora, appelle à la découverte et à l'appropriation de cet espace double hauteur se projetant vers les vues lointaines de la ville.
3) Processus du projet ouvert et participatif
Le principe de « Maker Space » sera appliqué lors de la conception du projet post-concours. Il s'agira de mettre en valeur les capacités de l'architecture à évoluer dans le temps et sur laquelle il serait aisé d'intervenir pour sa transformation et adaptation aux différents usages et événements. L'appropriation, la flexibilité et l'évolution fulgurantes des technologies exigent une attention particulière lors du processus de conception et de réalisation. Nous proposons une approche collaborative qui laisse place à la parole citoyenne et à la modulation subséquente à la livraison du bâtiment.
4) Approche environnementale et de développement durable
Une enveloppe à respiration contrôlée, orientée au sud, autorise la récupération de l'énergie solaire en hiver, et offre une protection contre l'éblouissement et la surchauffe en été. La double paroi de verre intègre des composantes de protection solaire, des panneaux photovoltaïques et permet une ventilation hybride, à la fois naturelle et mécanisée.
La façon la plus évidente de rencontrer les exigences liées à la conception de bâtiments et de projets urbains écologiques est principalement de se prévaloir d'une approche de conception intégrée (PCI). Une vision holistique et un engagement envers la viabilité écologique du bâti se fondent à la base sur l'analyse du cycle de vie (ACV), comme méthode environnementale. Le choix de matériaux locaux et de procédés à faible incidence énergétique nous permet de rencontrer les plus hauts standards en développement durable.
(Tiré du texte du concurrent)
H/BMD
2 .1.1- La proposition offre une indéniable présence urbaine et un certain intérêt spatial. 2 .1.2- Le non-respect de plusieurs exigences énoncées au PFT rend le projet difficile à réaliser sans un réaménagement majeur qui risque de dénaturer la proposition.
2 .1.3- La localisation principalement au sous-sol du foyer Jeunesse pose problème pour des questions de sécurité et d'accessibilité et ne répond pas à l'exigence du PFT.
2 .1.4- Le tulle proposé pour enrober (partiellement ou entièrement) le pourtour de l'atrium est perçu comme un élément séparateur plutôt que distinctif. Sa matérialité n'ayant pas été clairement définie, son apport à la richesse de l'atrium ne convainc pas les membres du jury.
2 .1.5- Compte tenu des nombreuses interventions proposées sur l'enveloppe et à l'intérieur du bâtiment, le risque de dépassement budgétaire est considéré élevé.
2 .1.6- L'ensemble de la proposition, avec ses multiples interventions, paraît confus et sans ligne directrice évidente. L'encombrement visuel des perspectives intérieures rendait plutôt difficile la compréhension des intentions architecturales. Dans cette optique, il est difficile de connaître et de protéger l'essentiel du concept advenant un réaménagement forcé.
2.1.7- La passerelle proposée dès l'entrée risque de limiter, sinon d'étouffer, le lien avec la place publique plutôt que de le renforcer. Il en va de même de l'arche d'entrée monumentale qui semble séparer l'intérieur de l'extérieur plutôt que d'inviter les usagers de la place.
2 .1.8- L'apport bénéfique de la construction d'un escalier en saillie sur la rue du Roi n'a pas été démontré clairement. De plus, ce geste a une répercussion budgétaire.
2 .1.9- L'écart important entre l'estimation budgétaire présentée par l'équipe et celle du comité technique a soulevé plusieurs questionnements chez le jury. Certaines interventions proposées risquent d'engendrer également une augmentation des coûts de fonctionnement (administration décentralisée, foyer Jeunesse sur deux niveaux). 2.1.1 0- Les membres du jury ont perçu peu d'ouverture de la part de l'équipe afin d'ajuster la proposition pour qu'elle respecte mieux les besoins énoncés.
(Tiré du rapport du jury)
24 numérisés / 24 accessibles
- Planche de présentation
- Planche de présentation
- Planche de présentation
- Perspective
- Perspective
- Perspective
- Perspective
- Perspective
- Plan d'implantation
- Plan
- Plan
- Plan
- Plan
- Plan
- Plan
- Coupe
- Élévation
- Élévation
- Élévation
- Détail de construction
- Croquis
- Croquis de conception
- Schéma
- Schéma