En flânant vers le nord sur Saint-Laurent, je me sens appelé par une faille brisant le rythme du tissu urbain. Un mur désaxé de pierre grise, haut et puissant, gravé d'inscriptions de langues diverses, se dresse en rupture du rythme des façades de la Main et propose une invitation. Discontinuité. Intrigué.e, j'entre. Je franchis un petit café, une librairie, puis, longeant ce mur jusqu'à ce que soudainement, l'espace s'ouvre généreusement. Une agora. Je m'y arrête, debout, les yeux levés, je perçois et ressens le déploiement vertical du musée, je vois des ponts à l'étage et par une ouverture au plancher je perçois le foyer de l'auditorium inondé par la lumière du jour. Ce mur est maintenant lisse et doux et s'y enchaîne des projections. Images de protestations, de gens dans les rues. Symboles de justice. Symboles d'injustices.
J'entreprends l'ascension de l'escalier monumental, le mur sur ma gauche. Devant, tout au sommet, la lumière le lèche, s'infiltrant à travers des puits imperceptibles. J'apprends qu'ici commencent les galeries de l'exposition permanente, dont la première section célèbre la Vie juive en Europe avant la Seconde Guerre. Musique. Films. Témoignages. Menorahs. Livres. Plateaux du Seder. Idées. Histoires. Je me souviens de ces noms et de ces lieux dans les Bubbameisters. Interpelé.e vers l'avant, je me retrouve au coeur du récit de la Vie pendant la Période nazie. Pénombre. Pression. Pressentiment. Le parcours muséal alterne entre ombre et lumière. Je me dirige de l'autre côté du jardin clos.
Tout juste avant ma traversée d'une galerie marquant ce seuil, je découvre l'espace commémoratif. Sis sous un cône de quiétude, de protection, j'exprime en silence mon incompréhension. Torpeur. Des surfaces minérales. Un seul objet de mémoire en son coeur. Un jardin clos m'interpelle.
Une fois de l'autre côté, je me sens glisser lentement. La Shoah. La Noirceur. Face à moi, le mur est de nouveau visible, tel un repère dans mon parcours à travers les galeries. Mais il est maintenant celui, assombri, des interdictions, celui des ghettos, celui des exécutions. Des aperçus récurrents et des subreptices regards du jardin de mémoire, s'estompant. Annonçant la certitude d'une perte, d'un deuil, d'un départ. Alors que semble se dessiner la fin de l'exposition et que le poids de l'horreur crue et mordante de la Shoah m'écrase, je remonte. Se présente ainsi à moi une brèche dans le mur pour permettre ma fuite vers la fin de l'exposition. Après avoir emprunté une passerelle ; Reconstruire la Vie au Canada ; un nouvel avenir à Montréal.
La fin de mon voyage, de retour au-dessus de l'agora, un salon circulaire. Je suis invité à m'asseoir et partager mes impressions et questionnements. Une grande toiture-jardin s'offre à moi et aux autres visiteurs ; un lieu de rassemblement. Plantations. Semences. Contemplation. Kaddish. La rue en contrebas exulte de vie et me fait songer à toutes celles et ceux qui se sont épanoui.e.s et ont prospéré ici. Saint-Laurent certes divise la ville en deux, mais n'a jamais constitué un mur, un obstacle.
Je reviens, cette fois en accompagnant la classe de mes enfants. Depuis l'agora, nous allons porter nos manteaux à l'arrière. L'expérience reprend. Les enfants sont fascinés par la magie qui s'opère dans la salle des hologrammes, par les voix des survivantes et des survivants. Descente à l'auditorium et la salle multifonctionnelle. La géométrie spatiale guide notre regard vers le jardin en gradins, source de lumière naturelle. Encaissé dans la volumétrie du musée, il monte en palier du sous-sol pour rejoindre la rue St-Dominique, tel un amphithéâtre qui se prête au jeu des saisons et qui permet le repos et les discussions informelles. Après la présentation, nous revenons au rez-de-chaussée pour visiter l'exposition temporaire puis reprendre notre flânage et nos bavardages au coeur de l'agora, puis la place publique, puis la rue. Dialogue. Échange. Expériences transformatrices.
Nous quittons. Ce mur, métaphore de la manière dont l'holocauste a déchiré le tissu de la civilisation et ébranlé les fondements mêmes de l'humanité, nous le sentons s'effacer maintenant derrière nous. Il soutient l'organisation spatiale, séparant l'agora et les espaces publics baignés de soleil des espaces où règne l'ombre, dans lequel la haine, le racisme et le génocide sont révélés. Nous comprenons maintenant son testament, ce message de souvenir, de chagrin et de sacrifice, mais également celui de résilience, de solidarité et d'espoir.
Entre l'ombre de l'oppression et
la lumière de la liberté.
(Texte du concurrent)
Le jury apprécie le respect du lotissement traditionnel du boulevard Saint-Laurent, mais exprime des réserves sur l'apparence générale de la façade. Les espaces semblent adéquats. Le jury est d'avis que l'opposition ombre/lumière est un peu simpliste et offre peu de possibilités de nuances dans le discours, surtout en localisant l'exposition permanente dans la partie « ombre ».
(Tiré du rapport du jury)
7 numérisés / 7 accessibles
- Planche de présentation
- Perspective
- Perspective
- Plan
- Coupe
- Axonométrie
- Schéma