Avant qu'il devienne un repos pour les sens, le paysage demande un travail de l'esprit. Le site se construit autant avec des strates de mémoire qu'avec des couches de roches.
Simon Schama, Landscape and Memory,
New York : Alfred A. Knopf, 1995 (notre traduction)
Depuis l'ouverture du premier musée de l'Holocauste en 1949 dans un kibboutz en Israël, l'architecture est devenue un médium privilégié dans la transmission de la mémoire de la Shoah. Un grand changement est cependant en train de se produire, car les derniers survivants arrivent à la fin de leurs vies, et la mémoire vivante de la Shoah passera à l'histoire. Cette réalité va changer radicalement les méthodes de commémoration de l'Holocauste. De même, l'architecture des musées se doit de changer. Ainsi, comment pouvons-nous transmettre en notre ère la mémoire de l'Holocauste sans le témoignage des survivants? Comment pouvons-nous renforcir la mémoire collective pour les générations à venir?
Se présentant sous la forme d'une forêt de bouleaux, notre projet engage le paysage comme médium immersif. Tel que suggéré par Simon Schama, il s'agit d'un espace qui peut mélanger la métaphore et le référent, nous permettant de développer une impression de familiarité et d'étrangeté - une impression envoutante, mais troublante, qui se fixerait dans notre mémoire, résistante à notre envie de la classer ou de l'oublier. À la place du conventionnel et de l'institutionnel, nous proposons une invitation au voyage qui nous porte au-delà des limites du site, dans l'imagination des visiteurs, des passants et de la ville même.
On peut se perdre dans la forêt. On peut y trouver de la joie. C'est un lieu où se jouent les drames de la vie et de la mort. La présence des bouleaux rappelle les populations autochtones ainsi que celles de l'Europe de l'est des années 1940. Ils rappellent les arbres de la vie et de la connaissance du Bien et du Mal. Ils rappellent aussi l'arbre généalogique, indicateur des ascendants et des descendants. Leurs troncs ressemblent à l'histoire de l'immigration juive et leurs racines s'étendent au-delà des limites du Port de Montréal - jusqu'à Vienne et Vilnius, Budapest et Varsovie. Leurs branches s'étendent aujourd'hui au-dessus de Snowdon, d'Outremont, de Hampstead, de Côte-Saint-Luc, de Chomedey et de Dollard-des-Ormeaux.
Les bouleaux sont de nature fragile; ils se présentent souvent groupés dans des bosquets. Ce sont les premiers arbres qui apparaissent dans la forêt suite à l'incendie. Ils sont à
la fois les témoins de drames passés et des messagers de régénération. La vie limitée de cet arbre évoque les cycles de renouvellement des écosystèmes qui comportent la vie, la mort et la survie. Ses faiblesses sont à l'image de ses qualités : interdépendance, fragilité, régénération.
Quel est le rôle du musée au 21e siècle? Et est-ce qu'on sert la mémoire de l'Holocauste en reformulant une approche traditionnelle au musée? Notre proposition est celle d'un paysage fortuit qui évoluera au fil du temps, donnant naissance à un musée dont les qualités innées et manifestes de régénération assureront la mission. Cette mission restera au centre de notre culture, toujours en mutation.
Le musée sera construit sur un territoire autochtone non cédé et sur les tracés du Quartier Saint-Louis du dix-neuvième siècle. La géométrie du site est offerte par l'unité morphologique typique du quartier historique : on y voit un édifice à usage mixte avec son implantation carrée de 9 par 9 mètres. En utilisant cette unité de mesure comme pierre angulaire, le musée est érigé avec l'agglomération de multiples carrés. Quatre carrés composent un bloc à l'ouest donnant sur Saint-Laurent. Quatre autres carrés forment un bloc sur Saint-Dominique. L'ensemble du site, carré encore, avec une agora de quatre étages en son centre.
Cette géométrie simple et lisible crée une image forte sur le Boulevard. Dans la tradition de la Main, l'édifice affiche clairement sa vocation. La peau, la structure et le tissu du bâtiment sont composés d'éléments verticaux rappelant les arbres. Cette matérialité s'adapte à l'usage, ainsi qu'à la mise en valeur du bois et de ses qualités éco-responsables. L'espace de commémoration est situé dans une clairière de la forêt. Le parcours muséal est organisé par l'escalier central de l'agora qui offre une ascension dans les arbres. Les salles d'exposition qui volent au-dessus de la cime des arbres complètent l'expérience, inusitée.
Il existe de nombreuses oeuvres architecturales impressionnantes qui portent le poids de la Shoah. Notre projet reconnait que l'ère du bâtiment-objet, forcément intérieur et autosuffisant, porteur de son indépendance, est révolue. Pour conserver vivante la mémoire de cette histoire si cruciale, il faut changer les moyens avec lesquels nous nous en souvenons.
En recevant au sol, en devenant ce sol pour un édifice emblématique, la forêt de bouleaux enveloppe le musée et y pénètre en conditionnant ses espaces. Toujours en évolution, la forêt de bouleaux est à la fois le passé, le présent et le futur. Le jardin est forêt, la forêt est musée, la mémoire de la Shoah est vivante.
(Extrait du texte du concurrent)
Le jury apprécie la métaphore de la forêt de bouleaux, la percée reliant les deux rues et l'espace de l'agora. Des réserves sont toutefois exprimées sur l'organisation fonctionnelle des espaces, ainsi que sur certains aspects du jardin (visibilité, sécurité, croissance des arbres, monoculture du bouleau). Le parti architectural ne semble pas particulièrement porteur de la vision du Musée.
(Tiré du rapport du jury)
7 numérisés / 7 accessibles
- Planche de présentation
- Perspective
- Plan
- Coupe
- Axonométrie
- Axonométrie
- Croquis