(Une conversation entendue à la machine à café de la salle des professeur.e.s de la DECA.)
- Pis, faites-vous quelque chose de spécial cette session pour célébrer les 20 ans ?
- Ouais ! On a monté quelque chose de pas pire, on va faire la nouvelle génération de panneaux de rue en chips d'ordinateurs. Ils vont en avoir de la job jusqu'en décembre, t'inquiète pas !
- Wow! C'est fou comment vous êtes toujours capables de trouver des nouvelles affaires à leur faire faire à chaque année.
- C'est ça le fun d'être prof. Le jour où on saura plus quoi faire avec nos déchets, c'est quand y'en aura pu !
- T'as ben raison. Mais là, faut que je file, c'est pas mal l'heure de la collecte à Villeray. La semaine dernière, on dirait qu'ils se sont passé le mot : y'a une rue au complet qui ont mis des polypropylènes dans leur bac de polyéthylènes, c'tait don' niaiseux ! Mais bon, j'ai laissé une couple d'amendes, ils la feront pas deux fois.
- Ah ouais, en plus je sais que t'haïs ça quand tu dois faire la police !
En mars 2025, la Ville de Montréal a adopté une politique exemplaire de traitement des matières résiduelles. Les gardien.ne.s des matières, anciennement éboueur.se.s, ont désormais pour mission de sensibiliser la population et de veiller au respect du cycle de vie des matières. Ces matières, collectées avec soin, attirent les meilleurs talents de cette industrie en plein essor vers l'ancien incinérateur Des Carrières, désormais un centre d'innovation de premier plan pour le traitement des déchets. Rebaptisé l'Institut Des Carrières (DECA), ce lieu propose une formation d'excellence pour la relève : une programmation annuelle constamment renouvelée pour développer de nouvelles techniques de transformation des déchets en ressources utiles. L'incinérateur a également rétabli son réseau de chaleur, dont la vente d'énergie finance une partie des activités de l'Institut.
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(La portière se referme sur la cabine d'un camion benne chargé de neige, un froid matin de janvier.)
- Bon, let's go, on s'en va dropper la neige à Dickson. Faut pas que je sois en retard pour le lunch avec ma mère, surtout que c'est un des derniers ! J't'avais-tu dit qu'elle prend sa retraite la semaine prochaine ? C'est fou, quand tu y penses, ça va faire 20 ans qu'elle fait cette run-là à chaque hiver. Tsé ma mère, c't'une écolo! Une vraie de vraie, là ! Je me souviens encore de quand elle est revenue de sa première journée de job après la réforme, elle était tellement émue, j'pense qu'elle pleurait. Toute mon enfance, je l'ai vu partir dans son truck le matin. Pi là, moé, maintenant, je fais pareil. Ça va faire bientôt 8 ans que je fais ça ! J'dis tout le temps à mes kids que je fais la plus belle job du monde. J'serais tellement fier si eux autres aussi ils devenaient gardiens des matières. Quand je pense à avant, quand ils gaspillaient la neige à Francon dans le temps que c'tait juste un trou, pi qu'on crevait de chaud l'été à Hochelag'. J'tavais-tu dit que ma grand-mère était morte en pleine canicule ? ...Ouin, en tout cas.
- Ouin.
Le Grand Réseau du Résiduel (GRR) conçoit la gestion des matières, des espaces et de l'énergie résiduels comme opportunités d'innovations sociales pour combler les besoins sociaux et urbanistiques de la Ville de Montréal. Selon cette planification, l'ancien incinérateur Dickson devient un lieu de valorisation des neiges usées montréalaises. Après le recyclage de la ferraille de sa machinerie désuète et l'approfondissement de sa fosse, le refroidisseur Dickson permet d'alimenter un réseau de fraîcheur interquartiers. Ce réseau à double système utilise d'abord des canalisations souterraines pour faire circuler de l'eau très froide, issue de la fonte contrôlée des neiges récupérées, pour climatiser les espaces intérieurs desservis. D'autre part, la surface du lot Dickson est le premier site de requalification des espaces urbains résiduels en « pôle de fraîcheur autonome ». Ce modèle repose sur le principe de la végétalisation organique non contrôlée, né des valeurs inculquées par la friche sauvage de Viauville. Depuis son déploiement à l'échelle de la ville, cette méthode a rafraîchi de nombreux secteurs grâce à ces pôles végétaux qui ne nécessitent presque aucun coût de construction et d'entretien, encourageant la croissance naturelle des plantes.
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(Une odeur fraîche de feuilles mortes s'engouffre dans le vaste espace lumineux du parc par les généreux vantaux entrouverts qu'on s'apprête à fermer pour la soirée. Les larges baies vitrées donnent sur les toits de Rosemont et les cimes des arbres déjà presque dégarnis. Une ambiance feutrée règne dans ce coin de la grande pièce, le jasmin s'entortille sur les treillis galvanisés de la toiture et les citronniers en pot aménagent de petits espaces intimes. Une chaleur confortable émane du plancher, on entend plus loin de la musique et des discussions animées: il fait bon.)
- Salut ! Désolé d'être en retard, beaucoup de trafic sur la piste cyclable...
- Mais non, t'inquiète! Je chauffe pas encore chez nous, j'suis arrivée y'a une heure pour lire un peu au chaud.
La chaleur émise par les différents fours et brûleurs de l'Institut Des Carrières, en plus de son rôle dans la gestion des matières résiduelles, permet l'intégration d'un parc urbain tempéré à même le toit du bâtiment. Ce quatrième-lieu (intérieur, chauffé, noncommercial) s'inscrit dans une idéologie de démocratisation du chauffage propre au GRR. Le parc DECA est accessible à tous.tes et entretenu comme tous les autres parcs de la ville.
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(La luge ralentit puis s'arrête au fond de l'ancienne carrière devenue le parc Francon. Sans complètement réaliser la grandeur du paysage qui l'entoure, avec ces grandes falaises de calcaire qui s'élèvent sur 80 mètres avant de rejoindre le niveau du plancher montréalais, l'enfant se retourne vers le haut de la pente.)
Maman ! Encore !
(Tiré du texte du concurrent)
Le jury souligne l'inventivité de la proposition qui concilie une approche ancrée dans la réalité du lieu et de son contexte tout en incorporant une trame narrative de récits colorés, ce qui contribue à l'aspect évocateur de la proposition. La variété des récits dépeignant un quotidien vécu par divers usagers expose une réflexion sociale achevée à de multiples échelles, d'autant qu'elle permet d'envisager la proposition dans l'avenir avec habileté. Les programmes complémentaires proposés pour les incinérateurs des Carrières et Dickson, évoquant l'autonomie conceptuelle de la réflexion des membres de l'équipe, font écho aux opportunités qu'offrent leur contexte immédiat tout en puisant dans le potentiel d'un réseau structurant à l'échelle urbaine.
(Tiré du rapport du jury)
3 numérisés / 3 accessibles
- Planche de présentation
- Perspective
- Collage conceptuel