« Ce bout de l'avenue Van Horne est mort. Le soir, c'est même parfois un peu épeurant. Notre objectif est de redonner ça au public, de rendre ça vivant »,(1)
Affirme le designer Zébulon Perron, mandaté pour le réaménagement de l'entrepôt Van Horne. Ces mots perdent de leur sens lorsqu'on considère que le programme proposé comporte un hôtel et des commerces. La réhabilitation de sites patrimoniaux est-elle seulement probante lorsqu'il est question d'un apport à but lucratif ? Quel aurait été le sort de nos anciens incinérateurs, aujourd'hui obsolètes, sans les défis liés à leur décontamination ?
Le projet proposé, sciemment radical, est une prise de position critique face à l'impact de la crise de l'immobilier sur le patrimoine bâti ainsi que du rôle des artistes dans la cité.
Les lofts Moreau dans le quartier d'Hochelaga-Maisonneuve étaient un espace d'habitation et de création pour de nombreux artistes. Cette cohabitation s'étendait au-dehors de ses murs. Une communauté s'y était tissée. Revendus à des promoteurs immobiliers, ils furent évincés. Des lofts bien plus dispendieux occupent maintenant les vestiges de cet ancien pôle artistique.(2) Le 305 Bellechasse connaîtra le même sort. Racheté en 2018, ses artistes seront, pour les plus chanceux, éparpillés à travers la ville ; pour d'autres, un changement de carrière s'impose.(3)
Le projet est ainsi une réponse manifeste, une revendication du droit à l'appropriation d'espaces jugés inhabitables. L'incinérateur anarchiste est intouchable, ses deux cheminées se dressent dans un tissu urbain qui l'isole progressivement. Dénué de sa fonction, aliéné, il n'a que pour sens d'attiser la répulsion ou le questionnement. Les artistes prennent le contrôle de cet extérieur aliéné. L'oeuvre est l'aménagement totalement informel et continuel de l'édifice. Une communauté se crée à travers cette critique de l'ordre actuel, obnubilé par un trop-plein de contraintes bureaucratiques et financières étouffant toute proposition potentielle.
L'intervention est une série d'escaliers longeant la façade de l'incinérateur. L'escalier offre une affordance et une connexion à des espaces auparavant inaccessibles. Les façades et toitures deviennent des tableaux blancs permettant la création d'espaces aux usages divers. La relation entre l'habitant et l'habitat est symbiotique, et le rôle de l'architecte s'arrête là où celui de l'artiste commence. L'élévation est physique mais aussi allégorique. L'échelle de Jacob vers la cheminée menant à vers une appropriation totale, une communauté greffée à un vestige du passé.(4)
On borde l'usine. Sans y entrer, le contact se fait totalement à l'extérieur. Au fil de l'ascension, les percées visuelles dans la façade donnent sur les immenses intérieurs abandonnés de l'incinérateur. Le rapport à la ruine n'est pas obsolète ; il marque notre passé.
Le projet proposé est une prise de position volontairement utopique. Les artistes sont contraints de s'éparpiller dans nos villes où l'art est fondamentalement une question de partage. Il s'agit de concilier nos moeurs au profit du développement de communautés marginales dans des lieux tout aussi marginaux. L'incinérateur brûlait, autrefois avec nos déchets ; aujourd'hui, il se consume sous le désintérêt. Brûlera-t-il aux mains de la spéculation immobilière ?
1. Denis, L. (2022, 6 septembre). Transformation en vue pour l'entrepôt Van Horne. Le Devoir. Le Devoir.
2. Radio-Canada. (2013, août). Lofts Moreau : des dizaines d'artistes et locataires seront évincés d'ici un mois. Radio-Canada. Radio-Canada.
3.https://www.lapresse.ca/cinema/entrevues/2022-09-23/documentaire/ca-s-est-passe-au-305-bellechasse.php?sharing=true
4. A Jacob's Ladder. Remembering Gordon Matta Clark. - M HKA Ensembles. (2022). Ensembles.org.
(Tiré du texte du concurrent)
3 numérisés / 3 accessibles
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