Un grand laboratoire de la résilience urbaine
par Jean-Pierre Chupin, publié le 2020-12-08
Cent propositions, présentées de façon particulièrement didactique, font déjà de ce concours d’idées et d’urbanisme, un jalon de la réflexion canadienne sur le devenir des villes de la « ceinture de rouille ». Un concours en deux volets conduits en parallèle, puisque ce sont à la fois de jeunes professionnels et des étudiants qui ont fait parvenir leur vision des trente prochaines années : trois décennies dont il n’est plus besoin de démontrer qu’elles seront cruciales pour l’avenir de la planète. La masse de documents se double ici de matériel vidéographique, chaque proposition livrant un résumé sous la forme d’un court montage. Notre éditorial offre quelques commentaires personnels sur la valeur didactique des projets retenus et n’effectue que des sondes superficielles dans l’ensemble des 99 propositions. Nous publierons un complément dès que le rapport du jury aura été rendu public. Compte tenu de la qualité générale et du grand nombre de projets détaillés, il n’est pas exagéré d’affirmer, par ce concours, que Sudbury devient un grand laboratoire de la résilience urbaine.
Organisé sous l’égide de l’École d’architecture McEwen, avec un soutien particulier de la famille McEwen dont l’impact sur cette région minière éprouvée par les crises postindustrielles est déjà remarquable, ce concours d’idées portait sur le futur du Grand Sudbury à l’horizon 2050. Comme l’image double que nous avons choisie pour illustrer ce concours dans le CCC, la comparaison deux par deux, ou appariement, pourrait être le mot clé de ce grand concours d’idées. Il est très rare qu’un concours à l’échelle urbaine fasse se rencontrer à la fois des professionnels et des étudiants, il est encore plus rare que les concurrents soient aussi bien récompensés pour leurs idées. Grâce à la générosité de la fondation McEwen, et grâce à l’engagement de l’École d’architecture de Sudbury, plus de $63000 en prix étaient offerts pour stimuler des réflexions approfondies sur une question pressante. Ce laboratoire de projets se doublait d’une intention didactique, puisqu’il s’agissait également d’un exercice de communication invitant les concurrents à traduire leurs visions dans un langage visuel aussi créatif qu’accessible. Il est d’ailleurs significatif que les organisateurs aient ajouté un prix du public pour reconnaître qu’un concours est aussi une plateforme ou des voix multiples doivent pouvoir s’exprimer et tenter de mieux comprendre la complexité des mutations urbaines. L’évaluation des propositions portait sur des aspects très divers :
- Des idées qui tiennent compte et qui discutent du contexte général de la ville, tout en mettant de l’avant des exemples plus détaillés d’aménagements dans la zone urbaine visée par l’étude;
- Des solutions polyvalentes qui visent et qui intègrent les objectifs du concours;
- Des avenues claires pour les actions à court, à moyen et à long terme dans chaque phase/action proposée;
- L’expression des idées sous forme d’images claires et stimulantes à présenter au public;
- Une bonne stratégie d’animation de la participation publique au processus de conception.
Le projet gagnant de la section ouverte mise sur une métaphore générique et plutôt facile – la sève – dont le titre ne rend pas justice à la grande richesse des propositions patrimoniales, communautaires et paysagères qu’il illustre brillamment. Comme dans bien des projets de concours d’idées, il est préférable de ne pas s’arrêter aux titres des projets. Le filtre esthétique est ici rendu par des visuels parfaitement compréhensibles et les clins d’œil sur la version hipster du « vélo-neige » donnent le ton d’une triade de principes : révéler, régénérer, unir. L’idée de « tester » un nouveau système de circulation avec la population devrait faire réfléchir les services d’urbanisme et de transport souvent coincés dans leurs silos respectifs.
Le gagnant de la section étudiante adopte un langage visuel schématique qui rappellerait presque certaines utopies des années 1970, mais qui s’en distingue par son pragmatisme. Les étudiants d’aujourd’hui ne sont plus ces rêveurs déconnectés des années hippies, ils veulent en découdre avec le réel et, dans le cas présent, ils proposent de le « re-coudre ». Les planches enchainent les vignettes, comme autant de cartes postales, très lumineuses, qui adoptent ce que les théoriciens de la bande dessinée nomment la « ligne claire ». Un futur rétrospectif en quelque sorte.
S’ensuit une série de projets mentionnés, deux pour chaque section. Le projet Ma-sh-ki-ki-ke, inspiré d’un vocable Atikameksheng, mise sur le bien-être et la guérison : deux valeurs qui comment à faire consensus dans les nouvelles théories de l’environnement bâti. Le maître mot de la conduite architecturale serait ici la bienveillance. Son pendant de la section étudiante reprend des diagrammes organiques faisant justement écho à une interprétation organiciste de la communauté urbaine. La description des « systèmes » activant cette lecture organique de la ville est particulièrement professionnelle démontrant que ces étudiants sont prêts pour la « vraie vie », contrairement à ce que l’on entend parfois des déficiences de nos programmes d’enseignement. L’autre mention de la section ouverte, mise sur le concept très en vogue de « réutilisation adaptative ». Là encore, oublions le titre du projet « Northern Traction » pour examiner les visuels particulièrement détaillés qui dépassent de loin ce que l’on attend généralement d’un concours d’idées. La deuxième mention de la section étudiante entend mettre le rêve au centre de la vision de Sudbury pour les trente prochaines années dans un grand territoire ludique et verdoyant. Si Bernard Tschumi avait sciemment évité d’utiliser la couleur verte pour son projet de Parc du XXI siècle à la Villette dans les années 1980, on comprend qu’aujourd’hui, les temps ne sont plus en faveur du rouge et du noir, ces deux emblèmes du réalisme pessimiste qui inspira Stendhal au XIXe siècle.
Mais il ne faudrait surtout pas s’arrêter aux seuls lauréats et mentionnés. Dans les 93 autres projets, les visions et propositions affluent, et parfois de très loin comme ce projet qui a remporté le prix du public, et qui se présente très franchement comme « Bold », « Beautiful » et « Biophilique » et démontre, de façon particulièrement détaillée, tout ce qui peut être fait dans un contexte urbain tel que celui de Sudbury, tel que vu depuis Singapour!
Les projets ont afflué de plus d’une vingtaine de pays, il faudra les découvrir un à un, tourner les pages et commencer à envisager un avenir post-covid de nos villes canadiennes. La qualité des personnes rassemblées sur le jury laisse présager d’intenses réflexions. Attendons le rapport du jury préparer par l’excellent Toon Dreesen, dont on ne doutera pas de l’engagement dans la promotion de la qualité architecturale.
Jean-Pierre Chupin
Organisé sous l’égide de l’École d’architecture McEwen, avec un soutien particulier de la famille McEwen dont l’impact sur cette région minière éprouvée par les crises postindustrielles est déjà remarquable, ce concours d’idées portait sur le futur du Grand Sudbury à l’horizon 2050. Comme l’image double que nous avons choisie pour illustrer ce concours dans le CCC, la comparaison deux par deux, ou appariement, pourrait être le mot clé de ce grand concours d’idées. Il est très rare qu’un concours à l’échelle urbaine fasse se rencontrer à la fois des professionnels et des étudiants, il est encore plus rare que les concurrents soient aussi bien récompensés pour leurs idées. Grâce à la générosité de la fondation McEwen, et grâce à l’engagement de l’École d’architecture de Sudbury, plus de $63000 en prix étaient offerts pour stimuler des réflexions approfondies sur une question pressante. Ce laboratoire de projets se doublait d’une intention didactique, puisqu’il s’agissait également d’un exercice de communication invitant les concurrents à traduire leurs visions dans un langage visuel aussi créatif qu’accessible. Il est d’ailleurs significatif que les organisateurs aient ajouté un prix du public pour reconnaître qu’un concours est aussi une plateforme ou des voix multiples doivent pouvoir s’exprimer et tenter de mieux comprendre la complexité des mutations urbaines. L’évaluation des propositions portait sur des aspects très divers :
- Des idées qui tiennent compte et qui discutent du contexte général de la ville, tout en mettant de l’avant des exemples plus détaillés d’aménagements dans la zone urbaine visée par l’étude;
- Des solutions polyvalentes qui visent et qui intègrent les objectifs du concours;
- Des avenues claires pour les actions à court, à moyen et à long terme dans chaque phase/action proposée;
- L’expression des idées sous forme d’images claires et stimulantes à présenter au public;
- Une bonne stratégie d’animation de la participation publique au processus de conception.
Le projet gagnant de la section ouverte mise sur une métaphore générique et plutôt facile – la sève – dont le titre ne rend pas justice à la grande richesse des propositions patrimoniales, communautaires et paysagères qu’il illustre brillamment. Comme dans bien des projets de concours d’idées, il est préférable de ne pas s’arrêter aux titres des projets. Le filtre esthétique est ici rendu par des visuels parfaitement compréhensibles et les clins d’œil sur la version hipster du « vélo-neige » donnent le ton d’une triade de principes : révéler, régénérer, unir. L’idée de « tester » un nouveau système de circulation avec la population devrait faire réfléchir les services d’urbanisme et de transport souvent coincés dans leurs silos respectifs.
Le gagnant de la section étudiante adopte un langage visuel schématique qui rappellerait presque certaines utopies des années 1970, mais qui s’en distingue par son pragmatisme. Les étudiants d’aujourd’hui ne sont plus ces rêveurs déconnectés des années hippies, ils veulent en découdre avec le réel et, dans le cas présent, ils proposent de le « re-coudre ». Les planches enchainent les vignettes, comme autant de cartes postales, très lumineuses, qui adoptent ce que les théoriciens de la bande dessinée nomment la « ligne claire ». Un futur rétrospectif en quelque sorte.
S’ensuit une série de projets mentionnés, deux pour chaque section. Le projet Ma-sh-ki-ki-ke, inspiré d’un vocable Atikameksheng, mise sur le bien-être et la guérison : deux valeurs qui comment à faire consensus dans les nouvelles théories de l’environnement bâti. Le maître mot de la conduite architecturale serait ici la bienveillance. Son pendant de la section étudiante reprend des diagrammes organiques faisant justement écho à une interprétation organiciste de la communauté urbaine. La description des « systèmes » activant cette lecture organique de la ville est particulièrement professionnelle démontrant que ces étudiants sont prêts pour la « vraie vie », contrairement à ce que l’on entend parfois des déficiences de nos programmes d’enseignement. L’autre mention de la section ouverte, mise sur le concept très en vogue de « réutilisation adaptative ». Là encore, oublions le titre du projet « Northern Traction » pour examiner les visuels particulièrement détaillés qui dépassent de loin ce que l’on attend généralement d’un concours d’idées. La deuxième mention de la section étudiante entend mettre le rêve au centre de la vision de Sudbury pour les trente prochaines années dans un grand territoire ludique et verdoyant. Si Bernard Tschumi avait sciemment évité d’utiliser la couleur verte pour son projet de Parc du XXI siècle à la Villette dans les années 1980, on comprend qu’aujourd’hui, les temps ne sont plus en faveur du rouge et du noir, ces deux emblèmes du réalisme pessimiste qui inspira Stendhal au XIXe siècle.
Mais il ne faudrait surtout pas s’arrêter aux seuls lauréats et mentionnés. Dans les 93 autres projets, les visions et propositions affluent, et parfois de très loin comme ce projet qui a remporté le prix du public, et qui se présente très franchement comme « Bold », « Beautiful » et « Biophilique » et démontre, de façon particulièrement détaillée, tout ce qui peut être fait dans un contexte urbain tel que celui de Sudbury, tel que vu depuis Singapour!
Les projets ont afflué de plus d’une vingtaine de pays, il faudra les découvrir un à un, tourner les pages et commencer à envisager un avenir post-covid de nos villes canadiennes. La qualité des personnes rassemblées sur le jury laisse présager d’intenses réflexions. Attendons le rapport du jury préparer par l’excellent Toon Dreesen, dont on ne doutera pas de l’engagement dans la promotion de la qualité architecturale.
Jean-Pierre Chupin