Benny Farm : gérer la complexité
Destiné à loger des vétérans, l’ensemble
Benny Farm a récemment évité la démolition pour devenir, entre autres, un projet de développement durable reconnu à l’échelle internationale grâce au prix Holcim remporté par l’OEUF.
Un tel parcours ne s’est pas fait sans heurts. Il comprend nombre d’étapes dont un volet s’apparente au concours : la définition du plan d’ensemble. Mais s’agit-il vraiment d’un concours? Comme un concours d’idées conventionnel, il y a bien eu la réalisation de plans d’ensemble par quatre agences, mais il n’y a pas de jury à proprement parler. Au préalable, un Groupe de travail, formé de résidents du site et du quartier, a élaboré les objectifs. Les architectes ont assisté à ces réunions. Les projets soumis ont été débattus par le Groupe de travail et présentés pour fins de commentaires à la population. Les architectes Saïa, Barbarese, Topouzanov et associés ont été retenus par le maître d’ouvrage, la SIC, mais leur plan d’ensemble a continué d’évoluer et une partie de sa réalisation a été confiée à l’OEUF.
Devant tous les aléas que connaissait le projet, le concours est devenu un moyen de canaliser les idées et de les faire avancer. En comparaison du concours typique qui vise à trouver une solution originale, que devient la finalité d’un concours dans un processus ouvert de planification et de consultation? Le concours révèle ici un moyen de contrôler de manière toujours plus serrée le processus. Ici, pas de place pour l’autoritarisme au profit de l’écoute. Compte tenu des énergies nécessaires, un tel type de concours ne semble se justifier que dans des cas de grande complexité sociale, où les intervenants ne sont plus de simples consommateurs, mais des usagers et citoyens à part entière.
Quoi qu’il en soit, on peut certainement placer
Benny Farm dans les belles expériences montréalaises de pro- jets sociaux, comme l’a été par exemple
Milton Park. Mais, à un tout autre niveau, il soulève la question du logement social dans l’architecture actuelle et de la pertinence des concours face à cette problématique. À cet égard, le LEAP s’implique par le biais du concours lancé par Anne Cormier auprès des étudiants des écoles d’architecture canadiennes qui connaîtra à l’été 2007 son deuxième volet.
Un concours de plan d'ensemble à l'intérieur d'une démarche participative
La genèse du projet de redéveloppement de Benny Farm : les controverses
La construction de l'ensemble d'habitations à loyer modiques de Benny Farm remonte à 1946-1947. L'architecte Harold James Doran avait alors été chargé de la conception du plan d'ensemble. Incarnation éloquente des réflexions modernes sur le logement social, les bâtiments s'implantent isolément au sein d'un site paysager. La Société canadienne d'hypothèques (SCHL) et de logement devient propriétaire du site en 1947 et accorde dès lors la priorité aux vétérans dans la distribution des logements. Au cours des décennies qui suivent, un fort esprit communautaire se crée. En témoigne le phénomène d'appropriation de Benny Farm par les familles des vétérans.
En 1991, la SCHL annonce son intention de réaménager le site. Elle embauche alors la firme Gauthier Guité Daoust pour concevoir un plan d'ensemble. Sont prévus : la démolition de l'ensemble puis la cession des terrains libérés à des promoteurs privés et une densification importante du site (1200 logements prévus contre 384 logements à l'origine). Les vétérans vieillissants sont quant à eux relogés dans des bâtiments nouveaux construits sur une portion du site conservée par la SCHL.
De nombreux aspects du projet suscitent des débats : la forte densité introduite sur le site, l'importance de l'ensemble pour le patrimoine architectural moderne, la démolition de l'existant dans la perspective du développement durable, etc. Au sein de toutes ces préoccupations, c'est surtout la perte de la vocation sociale du site qui suscite le plus la controverse. La construction d'autant de logements privatifs menace l'équilibre de la communauté du quartier Notre-Dame de Grâce.
En partenariat avec l'Office d'éclectisme urbain fonctionnel (l'Oeuf), des organismes communautaires contestent par un contre-projet, où 100 % des constructions existantes sont conservées. En parallèle, le projet de la SCHL est finalement rejeté par la Ville de Montréal. Durant les années qui suivent (1992-2001), plusieurs nouveaux projets de redéveloppement succèderont à autant de nouveaux contre-projets - les premiers prévoyant grosso modo la conservation du tiers du cadre bâti existant et la démolition du reste, les seconds, à l'inverse, conservant tout. C'est dans ce climat de contestation que la firme Gauthier Guité Daoust réalise néanmoins la phase I, entre 1995 et 1997.
La Société immobilière du Canada (SIC) devient propriétaire du site de Benny Farm en 1999. Elle procède alors à la construction des phases II et III, selon un autre plan directeur, celui-ci proposé par la firme Saia Barbarese (aujourd'hui Saia Barbarese Topouzanov Architectes).
Après ces tentatives infructueuses de mettre en place un projet de plan directeur qui ferait consensus entre les membres de la communauté et le propriétaire, la SIC décide finalement d'agir en tant que maître d'oeuvre du projet et de définir elle-même un nouveau plan d'ensemble.
La démarche participative :
C'est dans cette optique qu'elle propose en 2002, une démarche participative pour l'élaboration du plan d'ensemble. L'objectif est de répondre le mieux possible aux attentes, besoins et préoccupations de la communauté. Pour élaborer cette démarche, la SIC a fait appel à une
organisation externe, le Centre d'intervention pour la revitalisation des quartiers (CIRQ), aujourd'hui connu sous le nom de Conversité.
Dans le cadre de cette démarche, un Groupe de travail, formé de 10 personnes fortement engagé au sein de Benny Farm ou au sein du quartier, agit à titre consultatif pour la SIC. Ses membres ont la responsabilité d'exprimer et de prendre en considération les préoccupations perçues au sein de la communauté. L'opinion publique est ainsi canalisée au sein de la nouvelle démarche.
Le premier mandat du groupe consiste en l'établissement d'un consensus sur des objectifs à atteindre pour le redéveloppement du site. Les conclusions de cette réflexion servent de base à l'élaboration de quatre avant-projets réalisés par quatre firmes d'architectes. À l'exception du consortium Braq - In Situ, les trois autres firmes ont déjà été impliquées à Benny Farm : Daoust Lestage - autrefois Gauthier Guité Daoust -, Saia Barbarese Topouzanov Architectes et l'Oeuf. Le second mandat du Groupe de travail est double : évaluer les avant-projets proposés à la lumière des commentaires du public et donner ensuite des recommandations à la SIC quant aux composantes à intégrer dans le plan d'ensemble.
Pour établir le plan d'ensemble, les firmes d'architectes ont assisté en tant qu'observatrices aux réunions du Groupe de travail qui ont mené à l'obtention d'un consensus sur les objectifs de redéveloppement du site. C'est sur la base de ce consensus que chaque firme a réalisé un avant-projet de plan d'ensemble qui ont servi à alimenter les débats au sein du Groupe de travail et au sein de la communauté. Ils ont ainsi constitué une base de réflexion à partir de laquelle le Groupe de travail a formulé des recommandations pour la conception d'un futur plan d'ensemble.
Suite aux recommandations du Groupe de travail, la SIC a finalement décidé, en sa qualité de maître d'ouvrage et de propriétaire du site, de retenir les services du consortium formé par les firmes Saia Barbarese Topouzanov Architectes et Claude Cormier architectes paysagistes Inc. pour la conception du plan d'ensemble.
La suite de la démarche participative : le développement durable
Suite à la démarche participative, l'avant-projet de Saïa Barbarese Topouzanov Architectes est modifié afin de s'adapter aux commentaires du public recueillis, aux recommandations du Groupe de travail et à celles de la Ville de Montréal. Le plan directeur en cours de réalisation n'est donc pas celui proposé lors de la démarche participative de 2002.
Par ailleurs, c'est dans le cadre de ce plan directeur révisé que la SIC a chargé l'OEUF de la réalisation de quatre projets de logements sociaux à construire au sein du site réaménagé. L'expertise architecturale de cette firme montréalaise en matière de développement durable a donc fortement marqué la réalisation du plan directeur de 2002. En plus de ces bâtiments durables où les constructions de 1947 sont entièrement rénovées, c'est un tout nouveau modèle de gestion communautaire écologiquement responsable qui a été inventé par l'Oeuf pour Benny Farm (projet Verdir l'infrastructure à Benny Farm).
La fondation Holcim pour la construction durable a d'ailleurs remis l'une de ses prestigieuses récompenses à l'Oeuf en 2006, reconnaissant d'abord l'implication de l'équipe dans le projet de redéveloppement du site de Benny Farm depuis 1992, mais surtout les avancées technologiques mises en place dans les projets de logements sociaux construits depuis 2002.
(Texte CCC)
juillet - octobre 2002 : Consultation de certains intervenants menée par Conversité, recommandation à la SIC d'aller de l'avant avec une démarche participative ; Réflexion du Groupe de travail ; Le Groupe de travail arrive à un consensus sur le plan d'ensemble pour le réaménagement du site
28 octobre 2002 : Présentation par les concurrents des avant-projets de plan d'ensemble au Groupe de travail
30 octobre 2002 : Présentation des avant-projets de plan d'ensemble à la population
novembre 2002 : Le Groupe de travail analyse les avant-projets de plan d'ensemble et les commentaires émis par les citoyens et formule des recommandations
5 décembre 2002 : La Société Immobilière du Canada retient les services de la firme Saïa Barbarese Topouzanov pour l'élaboration du plan d'ensemble
Articles de presse :
Voir 01-12-2005
La Presse 02-10-2005
La Presse 04-12-2004
La Presse 02-04-2002
Les Affaires 08-07-2004
Revues spécialisées :
Azure 05-2006
Canadian Architect v.49 , 07-2004
- Résumé
- Programme
- Programme
- Plan
- Rapport du jury (global)