L’École primaire en 1964 : à la recherche d’une équation entre des plans types et le pari de l’industrialisation
Organisé par le gouvernement du Québec, le « concours provincial d’architecture pour les écoles primaires » fut lancé en pleine « révolution tranquille », sous le regard attentif des autorités religieuses jusqu’alors chargées de l’éducation. Les écoles traditionnelles devaient faire place à de nouvelles organisations spatiales et un vaste chantier pédagogique s’amorçait avec la publication du désormais célèbre « Rapport Parent » (1964). Ce qui est ressenti aujourd’hui comme la triste mémoire des lieux d’éducation dits « préfabriqués » n’est probablement pas ce qu’avaient prévu les organisateurs en matière de renouveau de l’architecture scolaire. Il reste que l’analyse du rapport de jury montre l’importance démesurée de deux critères qui convergeaient sur un même principe : identifier de nouveaux plans types et vérifier qu’ils pourraient accommoder l’industrialisation de la construction.
Près de soixante années après sa parution, le « Rapport Parent » fait aujourd’hui figure de document historique, parfois désuet. Mais, au moment de sa parution, le rapport dirigé par Alphonse-Marie Parent en 5 volumes de près de 1500 pages, sera publié par la Commission royale d’enquête sur l’enseignement entre 1963 et 1964 et s’affirmera comme un jalon de la « révolution tranquille » au Québec. On y propose, ni plus ni moins, que de créer un ministère de l’Éducation, de rendre la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, de créer des « cégep » et, de façon générale, de démocratiser l’enseignement supérieur. Autant dire que l’on passe de l’éducation religieuse à l’éducation pour tous comme l’écrira Claude Corbo, ancien recteur de l’Université du Québec à Montréal, en 2002.
C’est dans ce vaste chantier de l’éducation au Québec, que le « concours provincial d’architecture pour écoles primaires » sera organisé dès 1964. Il avait pour but de proposer des nouveaux concepts d’écoles primaires et recherchait des « plans types ». Le programme – qui apparaîtra sommaire au regard des « programmes fonctionnels et techniques » (PFT) contemporains – comprenait : douze classes, dont une de maternelle, une bibliothèque, une salle à manger, un espace de rassemblement ainsi que des vestiaires et des locaux du personnel. Le clientélisme que l’on reproche parfois aux autorités académiques était déjà inscrit à même la « liste des locaux » : « Environnement immédiat : Tenir compte des différentes clientèles : les écoliers, le corps professoral et le public en général. Prévoir que chacune de ces clientèles peut avoir accès à l’école soit à pied, soit dans des véhicules-automobiles. »
Présidé par l’architecte Jean Damphouse, le jury était composé des architectes Raymond Affleck, Jean Paul Carlhian, Alfred Roth, Victor Prus, et du « designer » (sic dans les publications) François Lamy. Soulignons que le jury ne comportait pas d’expert en éducation ou de représentant du milieu scolaire mais était composé d’un designer industriel et de cinq architectes, dont le célèbre Alfred Roth, considéré comme l’expert suisse pour avoir contribué au renouveau de l’architecture éducative dans les années 1950. Assistant de Le Corbusier puis collaborateur de Marcel Breuer, représentant du mouvement « Neues Bauen », la « nouvelle objectivité » moderniste, Alfred Roth s’établit à Zurich et travailla régulièrement avec Alvar Aalto.
Autant dire que le programme du concours « canadien » de 1964 dût lui paraître élémentaire au moderniste suisse. On demandait de tenir compte de l’environnement immédiat, sans préciser lequel, et on distinguait trois types de salles de classe selon qu’elles accueillent 30, 33 et 35 élèves. On suggérait par exemple, pour les salles de 35, qu’au cours d’une période d’enseignement, les élèves seraient appelés à utiliser trois méthodes différentes de travail : soit le travail en groupe homogène, le travail en sous-groupe pour la recherche, le travail individuel pour le perfectionnement.
Équipé d’un tel raffinement pédagogique le jury sélectionna 14 projets, selon des critères particulièrement déterministes, dont ceux de Melvin Charney, de Jean Michaud, du consortium Rosen, Caruso, Vecsei et celui du consortium Ouellet, Reeves, Guité, Alain. La description des quatorze projets et les commentaires du jury paru dans la revue Architecture-Bâtiment-Construction d’avril 1965 et si les documents graphiques imprimés en noir et blanc sont parfois difficile à lire aujourd’hui, le dualisme des commentaires du jury s’affiche clairement en deux colonnes d’énoncés lapidaires listant les « pour » et les « contre ».
Le jury soulignait ainsi, pour tel projet, que « son caractère universel s’adapte à une préfabrication possible » puisque son « plan est clair et bien discipliné », pour tel autre, qu’il « se prête à l’agrandissement » ou que « le plan est bien organisé », que le « projet se prête à des possibilités d’expansion » ou encore, que le « bon éclairage naturel des classes au moyen de lanterneaux est bien conçu ». Le projet de Melvin Charney est crédité comme une « proposition intéressante de préfabrication » dont les escaliers de secours sont qualifiés de « prétentieux ». On déplore la « différence de niveaux entre la cafétéria et la salle commune » du beau projet moderniste de St-Gelais, Tremblay et Tremblay, tandis que l’extrême raffinement du projet de Rosen, Caruso, Vecsei, subtil et savant mélange d’emprunts aux architectures de Louis Kahn et de Aldo Van Eyck, est considéré comme un « projet bien étudié dans tous ses aspects » mais dont « l’abondance des murs extérieurs et l’excès des surfaces de circulation » fait craindre un « coût élevé de la construction ».
La publication comparative des résultats du concours en avril 1965, dans la seule revue québécoise spécialisée d’alors, Architecture – Bâtiment – Construction, eut un grand impact sur l’imagination des architectes pendant plus d’une décennie, avec des résultats parfois contestables.
Il n’y eut que de rares concours dans le domaine de l’éducation au Canada dans les années 1960 et 1970, essentiellement pour des universités, et il fallut attendre la fin des années 1980 et surtout les années 1990 pour que le parc immobilier vieillissant impose de nouvelles consultations et réflexions. Celles-ci seront fortement encouragées, cette fois, par les nombreuses études, essentiellement sociologiques, menées en particulier dans les contextes suisses et français. Mais, de façon caractéristique et contrairement à l’importance des concours dédiés aux édifices scolaires dans tous les pays d’Europe, on peut s’étonner légitimement du fait que les écoles ne soient pas considérées comme des questions architecturales en Amérique du Nord.
Jean-Pierre Chupin
Le concours provincial d'architecture pour écoles primaires avait pour but de proposer des concepts d'écoles de douze classes avec services de maternelle inclus. La conception devait tenir compte des différents utilisateurs de l'école: les écoliers, le corps professoral et le public.
A) Environnement immédiat
Tenir compte des différentes clientèles: les écoliers, le corps professoral et le public en général. Prévoir que chacune de ces clientèles peut avoir accès à l'école soit à pied, soit dans des véhicules-automobiles.
Sauf pour l'arrivée le matin et fort probablement le départ le soir où les groupes sont de l'ordre de 360, en tout autre temps de la journée, les groupes sont de l'ordre de 120 élèves.
B) Secteur pédagogique
4 salles de 30 élèves, de 650 à 700 pi. ca.
Ces locaux devront loger les élèves du premier cycle, c'est-à-dire les enfants de 1ère et 2e année dont l'âge varie entre 5 et 7 ans.
Le professeur cherchera généralement à placer son groupe dans des situations telles qu'il puisse acquérir par une observation personnelle ou collective les connaissances requises au programme. L'élève aura aussi à se familiariser avec les arts plastiques, le chant et la musique. Ces locaux doivent se trouver de préférence au rez-de-chaussée.
4 salles de 33 élèves, de 650 à 700 pi. ca.
Ces locaux devront loger les élèves du 2ième cycle, c'est-à-dire les enfants de 3e et 4e année dont l'âge varie entre 7 et 9 ans. Ces groupes d'élèves seront généralement sous la direction immédiate d'un professeur titulaire qui leur enseignera les matières de base du programme soit la langue maternelle, la religion, l'arithmétique.
Pour certaines matières, telles que les arts, la langue seconde, ces groupes bénéficieront d'un enseignement donné par des professeurs spécialisés et parfois de locaux spécialisés (Bibliothèque polyvalente).
Au cours d'une période d'enseignement, les élèves sont appelés à participer en groupe homogène à une démonstration du titulaire ou à se subdiviser en sous-groupe de travail. Occasionnellement, des périodes de travail individuelles seront obligatoires. Le titulaire cherchera le plus souvent possible à placer son groupe dans des situations telles qu'il puisse acquérir, par une observation personnelle ou collective à l'intérieur ou à l'extérieur, les connaissances requises au programme.
Ces locaux peuvent se trouver au rez-de-chaussée ou à l'étage.
3 salles de 35 élèves, de 650 à 700 pi. ca.
Ces locaux devront loger les élèves du 3ième cycle, c'est-à-dire les enfants de 5e et 6e année. Si nécessaire un 4ième groupe utiliserait comme local régulier, la bibliothèque.
Il y a lieu de noter que l'âge de ces enfants varie entre 9 et 11 ans.
Ces groupes d'élèves seront sous la responsabilité d'un professeur spécialisé dans une ou deux des matières au programme. Les titulaires des 3 ou 4 groupes de ce cycle pourront former équipe pour se partager l'enseignement du programme en son entier. Ces groupes feront une grande utilisation des locaux spéciaux (bibliothèque et cafétéria polyvalentes pour toutes les matières qui s'y prêteront soit les langues, les arts, l'histoire, la géographie, etc.
Au cours d'une période d'enseignement, ces élèves sont appelés à utiliser trois méthodes différentes de travail soit le travail en groupe homogène, le travail en sous-groupe pour la recherche, Je travail individuel pour le perfectionnement. Le titulaire cherchera le plus souvent possible à placer les élèves dans des situations telles qu'ils puissent acquérir, par l'expérimentation personnelle ou collective à l'intérieur mais surtout à l'extérieur, les connaissances requises au programme.
Ces locaux doivent être situés de telle façon que les communications avec la bibliothèque polyvalente soient les plus faciles possibles.
Bibliothèque, 35 élèves, 800 à 900 pi. ca.
Cette salle en plus de servir aux élèves du troisième cycle de la même façon que les salles qui leur sont appropriées contiendra la réserve centrale de livres pour toute l'école. Elle devra aussi être aménagée comme salle spéciale polyvalente et pouvoir être utilisée par n'importe lequel des 11 groupes d'élèves prévus plus haut, pour compléter l'enseignement, par exemple, au moyen de projections animées ou d'auditions musicales.
Maternelle, 25 élèves, 1,000 à 1,100 pi. ca.
Les enfants de 4 et de 5 ans qui viennent à la maternelle ont un immense besoin d'agir. C'est pourquoi le programme prévoit des activités nombreuses et variées d'ordre corporel et sensoriel, moteur et intellectuel, esthétique et social. Ces activités sont ou individuelles, ou collectives, libres, ou suggérées, mais elles s'exercent dans un climat dont toute rigidité est exclue. L'enfant doit y vivre. La maternelle sera située au rez-de-chaussée et aussi isolée que possible. L'orientation doit assurer le plus grand soleil possible, tout en évitant l'éblouissement. L'ameublement doit tenir compte de l'échelle des enfants qui vivent dans ce local.
En plus de l'accès vers l'extérieur par un petit vestibule, la maternelle doit avoir une communication avec l'ensemble de l'école, à l'usage principalement de la monitrice.
De plus, la maternelle sera munie de son propre vestiaire d'une capacité de 25, et d'un dépôt d'environ 100 pieds carrés.
Une salle de toilette doit être attenante à la classe.
C) Espaces communs ou para-académiques
Salle de groupement (récréation), 120 élèves, 2,500 à 3,800 pi. ca.
Cette salle, qui parfois peut permettre de grouper toute la communauté étudiante de l'école, servira surtout à l'occasion des courtes récréations pour des jeux libres.
De plus, chaque groupe d'élèves peut être appelé à l'utiliser pour l'éducation physique ou d'autres activités dirigées, telles que chant, musique, danse.
Cette salle sera de préférence au rez-de-chaussée et la hauteur du plafond devra être déterminée suivant la logique.
Locaux du personnel enseignant, services attenants y compris 14 personnes, de 350 à 400 pi. ca.
Ces locaux à l'usage exclusif des professeurs doivent comprendre un salon pour la détente, une petite cuisinette, un vestiaire et des salles de toilette appropriées.
Ces locaux devraient être situés à la proximité des locaux administratifs et en particulier du bureau du directeur.
Salle à manger, 120 élèves, 1,000 à 1,200 pi. ca.
Cette salle servira à tour de rôle aux élèves des trois cycles. En plus de servir principalement au repas du midi, cette salle pourra servir à toutes sortes d'activités telles que art plastique, enseignement de groupe, salle de projection et autres. Cette salle devra être attenante au hall de dégagement.
Clinique, 140 à 150 pi. ca.
Cette pièce devrait être considérée comme le coeur de l'école et en plus d'avoir une communication aussi directe que possible avec l'extérieur, les étudiants, de cette salle, devraient pouvoir accéder directement à la salle de toilette, à la cafétéria, et, aussi rapidement que possible, à leur salle de cours.
(Tiré du programme du concours)
(Consultez les projets des concurrents pour les commentaires spécifiques du jury)
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Jean Michaud
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Fish, Melamed, Croft & Grainger
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Longpre, Marchand, Goudreau, Dobush, Stewart, Bourke
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St-Gelais, Tremblay & Tremblay
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Longpre, Marchand, Goudreau, Dobush, Stewart, Bourke
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Bland, Lemoyne, Edwards, Shine
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St-Gelais, Tremblay & Tremblay
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Ouellet, Reeves, Guite, Alain
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Maurice Gauthier
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Jean-Marie Roy
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David, Barott, Boulva
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Donaldson, Drummond, Sankey
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Melvin Charney
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Rosen, Caruso, Vecsei
Président du jury |
Damphousse Jean, Architecte
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Jury | Raymond T. Affleck, Architecte |
| Carlhian Jean Paul, Architecte |
| François Lamy, Designer |
| Victor Prus, Architecte |
| Alfred Roth, Architecte et professeur |
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Concours provincial d'Architecture pour Écoles primaires, Architecture-Bâtiment-Construction, 1965
- Programme
- Commentaire du jury