Lecture contemporaine d’un édifice patrimonial
La conservation par la reconversion constitue la posture implicite du concours international d’architecture à trois étapes qui fut organisé par l’institution PHI pour son nouveau pavillon d’art contemporain à Montréal. L’objectif : concevoir un écrin pour accueillir les installations de PHI Contemporain à partir de quatre bâtiments patrimoniaux et un lot vacant. Après la Fondation PHI (2007) et le Centre PHI (2012), PHI Contemporain est le troisième pavillon à s’établir dans le Vieux-Montréal. Les projets proposés à cette occasion offrent un bon échantillon des stratégies actuelles du « réemploi ».
Le « réemploi » architectural peut également être qualifié de « problématique de la reconversion » en raison de la complexité de la transformation des matériaux, des programmes et des usages, dans ce cas pour des bâtiments vieux de près de 300 ans. PHI a décidé de résoudre ce défi par le biais d'un concours international. Au total, 65 équipes ont répondu à l’appel, et seulement 11 d’entre elles se sont qualifiées. Dans cette publication du CCC, les 18 propositions réalisées dans le cadre des trois étapes du concours sont présentées en détail : les 11 propositions de la première étape, les 5 de la deuxième étape et les 2 propositions retenues pour la troisième étape.
Le concours fut remporté par le seul consortium du lot, formé des firmes Kuehn Malvezzi (Allemagne) et Pelletier de Fontenay (Canada). Ce duo n'en est pas à sa première collaboration, puisqu’il a remporté le concours visant à renouveler les installations de l’Insectarium de Montréal en 2014. Notons par ailleurs que la proposition lauréate du concours PHI Contemporain a déjà remporté un prix d’excellence et ce, dans sa forme potentielle, décerné par la revue Canadian Architect en 2022.
Pour répondre à des contraintes et des attentes élevées de la part des nombreux acteurs institutionnels impliqués dans ce projet patrimonial, un jury multidisciplinaire a été assemblé, conjuguant des perspectives locales et internationales provenant des milieux muséaux, architecturaux, académiques et artistiques. Plusieurs paliers de gouvernement sont parties prenantes, puisque les bâtiments à transformer dans le cadre du concours sont identifiés aux documents d'évaluation du patrimoine urbain (municipal), et protégés en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel dans la mesure où ils sont «situé[s] dans le site patrimonial de Montréal (Vieux-Montréal)» (provincial).
Le concours international pour PHI Contemporain révèle la complexité d’un patrimoine en transformation. À ce sujet, la documentation du concours anticipait plusieurs scénarios réglementaires et autres descriptions des instances impliquées. Par exemple, les instances municipales et provinciales qui assument sa gestion faisaient l’objet d’un schéma avec les autorisations auxquelles se soumettra le projet lauréat pour sa construction. Au prisme du projet d’architecture, la reconversion du patrimoine ne saurait cependant être réduite à un simple exercice de conformité à des cadres législatifs ou à des critères institutionnels.
Dans l’ensemble, les propositions du concours actualisent l’usage des bâtiments hôtes, tel que cela est requis dans la commande. Mais le programme souligne également qu’il ne s’agit pas «tant d'identifier les dimensions historiques de facto du site et de les préserver conceptuellement, mais plutôt de déterminer celles qui peuvent être mises en valeur grâce à leur lien avec la vocation contemporaine du bâtiment, le caractère de l'institution qui l'animera, les œuvres et les personnes qui l'occuperont» (Programme B, p.29).
Sachant que la vocation de PHI est résolument tournée vers la promotion des pratiques contemporaines en art, on comprend que le projet architectural attendu ne devait pas adopter une posture de commémoration ou de restitution, mais plutôt de support aux œuvres d’art exposées : de mettre en «contraste l'historique et le contemporain» (Programme B, p.29). On cherche ici à produire une nouvelle forme pour accueillir les 6900 mètres carrés dont PHI Contemporain a besoin.
Pour ce qui est des propositions soumises à la troisième et dernière étape, Kuehn Malvezzi et Pelletier de Fontenay conçoivent une plateforme libre, geste architectural qui invite à un flottement déambulatoire autour des édifices patrimoniaux conservés, à la manière d’une scène à partir de laquelle le public contemple le patrimoine immédiat et le contexte urbain. Ce dispositif exprime une distinction claire entre l’existant conservé et les nouvelles interventions et, en même temps, constitue un nouveau lien physique indissociable entre le vieux et le neuf. Dans une logique de maximisation de l’espace, deux étages sont prévus en sous-sol, et la Maison Louis-Viger est évidée sur trois côtés. La proposition prévoit un phasage des travaux, incluant des fouilles archéologiques, ce qui démontre une réflexion ancrée dans la réalité de la construction avec un existant historique.
Kersten Geers David Van Severen ont plutôt misé sur la multiplication des espaces ouverts au rez-de-chaussée et l’ajout de jardins, considérant que les espaces publics végétalisés se font plutôt rares dans le Vieux-Montréal. L’entrée principale est prévue sur Bonsecours via un jardin, ce qui pourrait être plus complexe à gérer en termes d’accessibilité et d’entretien dans les conditions hivernales que nous connaissons. Notons tout de même la volonté de travailler dans la spatialité existante des fondations et du gabarit de la Maison Viger. Ici, la relation avec l’existant est plus subtile, moins contrastée. La densité du projet est également plus élevée, et la volumétrie plus compacte, car il y a moins d’espace construit en sous-sol et au rez-de-chaussée.
Quel legs pour la culture architecturale de Montréal?
La documentation de ce concours est porteuse de pistes de réflexion sur la recherche d’une relation avec le patrimoine bâti historique à la culture architecturale de Montréal, dans un rapport de transformation manifeste pour lequel un patrimoine bâti historique des plus anciens accueille une intervention architecturale des plus contemporaines. Dans cet échange, les limites entre la conservation du patrimoine et l’architecture contemporaine tendent à être brouillées : ces deux systèmes de valeurs semblent fonctionner conjointement.
Bien que la question de l’intégration du patrimoine historique dans la vie contemporaine consiste, comme l’a bien montré la regrettée chercheure et théoricienne Françoise Choay décédée en 2025 : « à réintroduire un monument désaffecté dans le circuit des usages vivants » (Choay, 1996, p.163), il y a lieu de préciser les conditions de cette réintroduction. Il importe en effet que les critères quantitatifs typiques de certaines réglementations en construction soient accompagnés d’indicateurs visant à anticiper ou qualifier le type de relation dans laquelle architecture et patrimoine s’engagent.
L’architecture, par l’entremise du concours de projets, apparaît ici comme un moyen de penser ces transformations, et de bâtir un engagement conceptuel, éthique, et constructif avec le patrimoine. Pour poursuivre la réflexion, dans le passage du rêve à la réalité, on peut se demander ce qu’il restera de la proposition gagnante du concours après la consultation avec les multiples instances concernées. Le projet construit permettra-t-il d’honorer le concept lauréat ?
Références
Documents du concours (Règlement, programme, annexes, rapports du jury, projets)
Choay, Françoise. 1996 [1992]. L’allégorie du patrimoine. La couleur des idées. Paris: Éditions du Seuil.
Kalman, Harold, et Marcus R. Létourneau. 2021. Heritage Planning: Principles and Process. New York, NY: Routledge.
Plevoets, Bie, et Koenraad Van Cleempoel. 2019. Adaptive Reuse of the Built Heritage: Concepts and Cases of an Emerging Discipline. London ; Routledge, Taylor & Francis Group.
Incarnant et déployant le legs de PHI, PHI Contemporain sera un nouvel espace permanent pour consolider, étendre et faire se rencontrer l'offre culturelle de PHI, les communautés de PHI et la vie publique de la ville.
Situé dans le Vieux-Montréal et construit sur un site chargé d'histoire - comprenant un assemblage de quatre bâtiments historiques et un lot adjacent - PHI Contemporain consolidera l'offre culturelle publique de la Fondation PHI et du Centre PHI. Le projet de 6 900 m² / 74 000 pi² hébergera des espaces d'exposition, un réseau de galeries de nouveaux médias, des espaces de médiation, de recherche et de studio, ainsi qu'un domaine public étendu.
(Tiré du site web)
(Consultez les projets des concurrents pour les commentaires spécifiques du jury)
Kollectif, PHI Contemporain | Les 2 grands finalistes sélectionnés, Kollectif, 2022
Baillargeon, Stéphane, Cinq manières de concevoir le nouveau Phi Contemporain, Le Devoir, 2022, Montréal
PHI Contemporain : les lauréats du concours architectural sont dévoilés, Portail Constructo, 2022
Lanthier, Christine, PHI Contemporain - Les finalistes sont connus, Ordre des architectes du Québec, 2022
Clément, Éric, Projet de Phi Contemporain | Kuehn Malvezzi+Pelletier de Fontenay signeront l’architecture, La Presse, 2022, Montréal
Radio-Canada, PHI Contemporain, un nouveau centre d’arts numériques au Vieux-Montréal en 2026, Radio-Canada.ca, 2022